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L'incroyable destin de Sebastian Marroquin, fils du caïd Escobar

Écrit par Nicolas Harguindey, Collaboration spéciale
12.01.2010
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  • La dépouille de Pablo Escobar gît sur un toit d'une maison à Medellin, Colombie(Staff: MEDELLIN POLICE / 大紀元)

Quelques mois auparavant, il aurait été insensé de penser que Rodrigo Lara Restrepo, Carlos, Juan Manuel et Claudio Galán accepteraient de respirer un jour le même air que Sebastian Marroquin. Pourtant, le 12 novembre dernier, ils se sont assis côte à côte pour la première de Los pecados de mi padre (Les péchés de mon père) au Festival du cinéma international de Mar del Plata, en Argentine. C'est avec des accolades fraternelles qu'ils saluent le fils du tristement célèbre narcotrafiquant Pablo Escobar, qui a froidement assassiné leurs pères. À la demande du réalisateur argentin Nicolas Entel, les quatre Colombiens se sont investis dans un projet inédit sur l’incroyable destin de Sebastian Marroquin.

En 1993, lorsque Pablo Escobar est abattu par les forces de sécurité à Medellin, Sebastian porte encore ses vrais prénoms : Juan Pablo. Âgé seulement de 16 ans, il change d’identité pour se dissocier d’un passé déjà trop lourd. Il fuit sa Colombie natale avec sa mère et sa sœur. Pour entrer en Argentine, Marroquin a menti aux autorités en alléguant que son père, «un cultivateur de café», avait été tué dans un accident d'auto. «C'était la seule manière de vivre en paix, d'arrêter de fuir en pensant qu'à n'importe quel moment on allait nous assassiner», a-t-il confié au quotidien argentin Clarin dans une rarissime entrevue. Marroquin est aujourd’hui architecte et vit incognito dans un quartier relativement modeste de Buenos Aires.

À 32 ans, Sebastian Marroquin a l'âge d'assumer son passé.

Pourtant, lorsque Nicolas Entel l'approche pour lui proposer un documentaire sur sa vie, il se désiste. Les souvenirs sont insupportables et sortir de l'anonymat, dangereux. Mais le patient réalisateur finit par le convaincre. Le documentaire sera une sorte de thérapie pour faire la paix avec sa conscience, l’occasion de demander pardon, même si Marroquin se sait innocent. Établir un pont avec Lara Restrepo et les frères Galán a été une opération bien plus épineuse. Pour briser la glace, Marroquin a écrit une lettre aux quatre hommes, les invitant à le rencontrer.

«Comment écrirais-tu à une famille à laquelle ton père a causé tant de peine? […] Comment commencerais-tu une conversation avec quelqu’un qui porte une douleur si légitime? [...] Comment peux-tu demander pardon sans offenser? Comment regarder dans les yeux les enfants d'un leader qui promettait de sauver ton propre pays? Comment peux-tu vivre de même? Qu'est-ce qui peut réellement te consoler chaque jour pour te donner envie de continuer? La paix. La paix que je cherche chaque jour en moi pour pouvoir dormir, pour pouvoir penser aux enfants que je n'ai pas encore eus avec mon épouse adorable... je ne veux pas pour mes enfants un pays ensanglanté.»

C'est Entel lui-même qui a joué le rôle de messager. «Au début, nous étions réticents», reconnaît Lara Restrepo. Mais l'idée a mûri. Dans le secret le plus total, les frères Galán et Lara Restrepo se sont réunis avec Marroquin à huis clos, quelque part à Bogotá. De retour en Colombie après 15 ans d’exil, Marroquin a sillonné les rues craignant une vendetta : « J'avais peur, alors que je n'ai jamais fait de mal à quiconque.» Par chance, peut-être, personne ne l’a reconnu. Il a aussi visité son Medellin natal pour se recueillir sur la tombe de son père, désormais une attraction touristique. Dans la foulée du documentaire, Marroquin raconte pour la première fois aux journalistes son enfance aussi vertigineuse qu’invraisemblable. Son récit s’apparente à celui que pourrait tenir l'un des personnages qui habitent l'univers violent et magique de Gabriel Garcia Marquez.

À Medellin, le petit Juan Pablo s'amusait dans son hacienda verdoyante avec les répliques de dinosaures grandeur nature que son père avait fait construire pour sa petite sœur Manuela et pour lui. Elle était affectueusement surnommée par son papa «sa petite ballerine sans dents». Fasciné par les animaux, le bambin allait quotidiennement visiter ses hippopotames dans sa cour arrière. Aujourd'hui en liberté, ils font partie de l'unique troupeau naturel de l'espèce en Amérique. Juan Pablo jouait aussi à cache-cache entre les hélicoptères et se soustrayait à la chaleur tropicale dans une gigantesque piscine. Les mitraillettes des gardes ne lui faisaient pas peur, il les côtoyait depuis toujours. «J’étais un enfant qui vivait dans un monde de fantaisie, j’avais un jardin zoologique et tout ce que je voulais. Je ne pouvais pas savoir alors qui était mon père et ce qu’il faisait. Lui, prenait bien soin de séparer la famille de ses activités.» Lorsqu'il n'était pas avec sa famille adorée, le mythique «Seigneur de la cocaïne», Pablo Escobar, terrorisait la Colombie.

Être le fils d'un parrain

Dans les années 1970, l'essor du négoce de la cocaïne a transformé le chef du cartel de Medellin en milliardaire, le premier dans l’histoire de ce trafic. Dans un pays gangrené par la violence, son ambition a élevé les standards de terreur et de corruption à des niveaux sans précédent. Sa devise : l'argent ou le plomb. Craint des caïds pour son sadisme sans bornes, il a mis à feu et à sang la Colombie dans une guerre sans merci contre les cartels rivaux et quiconque s'opposant à ses activités. En 1989, dans une tentative d'assassinat visant le candidat à la présidence, César Gaviria, Escobar a fait dynamiter le vol 203 de la compagnie Avianca. L’attentat fait 107 morts, mais averti de la menace, Gaviria ne prend pas l’avion.

Lorsque Escobar fait tuer Rodrigo Lara Bonilla, ministre de la Justice, leurs fils avaient respectivement six et sept ans. Quatre ans plus tard, Escobar commande le meurtre de Luis Carlos Galán, le candidat du Parti libéral à la présidence. Criblé de balles en pleine allocution, il laisse ses trois enfants dans le deuil.

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Pour beaucoup de Colombiens, Lara Bonilla et Luis Carlos Galán symbolisaient l'espoir d'un pays uni et pacifié. Entre-temps, la CIA remue ciel et terre pour s’emparer de l'homme le plus recherché au monde et Juan Pablo grandit malgré lui. «À sept ans, je menais déjà une vie de délinquant, comme si c'était moi qui avait commandé les meurtres», raconte-t-il à Entel. Une mystérieuse association de proches des victimes du narcotrafiquant s’attaque à la famille Escobar. Malgré leur richesse, les Escobar vivent dans la précarité, fuyant sans relâche et séparés du patriarche. L’adolescent doux et candide, selon les biographes, doit protéger sa famille et informer par radio le criminel en cavale.

  • uan Pablo Escobar (centre, ayant changé son nom pour Sebastian Marroquin), (Stringer: STR / 大紀元)

Ironiquement, la chasse à l'homme se termine à la veille de l'anniversaire de Juan Pablo lorsqu'une conversation est interceptée par une unité spéciale. Le gros barbu résiste in extremis et finit abattu d'un tir à la nuque : une fin épique immortalisée par le peintre Botero. Après la mort de son père, l'adolescent doit assister à une réunion des héritiers du cartel de Medellin pour se répartir les possessions d'Escobar. «Ils m'ont averti que si je choisissais de continuer sur les traces de mon père quelqu'un du cartel me tuerait à moins qu'un ennemi de mon père ne le fasse avant.» Message reçu.

«Mon papa»

Malgré le caractère mégalomane de Pablo Escobar, Nicolas Entel était décidé à ne pas produire un autre film de gangsters. «Dans Los pecados de mi padre, je voulais montrer les effets de ses actes sur ses propres enfants ainsi que sur ceux de ses victimes.» Mais Marroquin reconnaît que son pardon vise aussi à éviter le calvaire pour les enfants qu'il n'a pas encore : «Je ne veux pas qu'on les accuse pour ce qu'a fait leur grand-père seulement parce qu'ils portent son ADN.»

Comme pour Sebastian Marroquin, le coût émotionnel de l'expérience a été colossal pour Lara Restrepo et les frère Galán. Selon eux, Marroquin est une victime morale supplémentaire du narcotrafiquant. Avant même la sortie de Los pecados de mi padre, beaucoup de gens sont sceptiques quant à la véracité de la nouvelle amitié qui serait née de l’expérience.

Néanmoins, les cinq compatriotes ont présenté leur réunion comme un soulagement et un message de paix pour freiner la spirale de haine qui déchire la Colombie. Malgré son pardon au nom d’Escobar, Marroquin n’a pas honte d’avouer l’amour d’un fils pour un père. Si la cruauté d’Escobar n’épargnait ni femmes ni enfants, elle ne s'appliquait ni à Sebastian Marroquin ni à sa sœur : ni l'un ni l'autre n’auraient jamais été maltraités par lui. «Je ne me rappelle pas d'avoir eu peur de lui», assure Marroquin. C’est vers 11 ans que Marroquin dit avoir pris conscience de l’ampleur des activités criminelles de son père.

Selon lui, Pablo Escobar a été pour ses enfants un père irréprochable, «mon papa».

«C'était un père exemplaire qui me racontait des histoires avant de m'endormir et qui jouait avec moi. On regardait ensemble les dessins animés, il m'a appris à rouler en vélo et on jouait au football.» De nombreuses photos montrent une famille unie, malgré que Escobar avait un nombre incalculable de maîtresses. Pour rendre compréhensible son amour envers Pablo Escobar, malgré son mépris pour ses crimes, Marroquin cite son antithèse absolue : Gandhi. «Ayez de la haine pour le péché et de l'amour pour le pécheur», récite-t-il. Malgré sa ressemblance frappante avec son père, Sebastian Marroquin jure ne jamais avoir fait de mal à une mouche. Il dit être hanté par le fait qu'on l'associe à un criminel comme son père pour une question d’ADN, mais il déclare avoir la «responsabilité historique» de la violence de son pays comme tous les Colombiens.

Curieusement, lorsqu'il doit parler du truand, Marroquin se réfère à son père comme «ce monsieur». Il explique qu'il est parvenu à séparer le criminel sanguinaire du père qu'il aimait. «Personne ne peut m'empêcher d'aimer mon père, clame-t-il, mon père m'a enseigné de très belles choses. Par exemple, que pour rester en vie, je dois faire exactement l'opposé de ce qu'il a fait.»

Au-delà de l’amour, beaucoup de gens soupçonnent Marroquin de jouir d'une partie de la richesse de son père, ce qu'il dément avec véhémence. Il aurait ainsi financé lui-même l'œuvre pour projeter une image de victime de peur de subir une vengeance tardive. En ce qui concerne le documentaire, Entel assure que Marroquin n’y est pour rien : il y a déboursé toutes ses économies, soit 750 000 dollars US et cinq ans de travail.

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