« Paye ton treillis » dénonce le harcèlement dans l’armée française

23 novembre 2017 18:20 Mis à jour: 23 novembre 2017 18:21

Viol, chantage sexuel, photos prises en cachette dans les vestiaires…: l’armée française, l’une des plus féminisées du monde, est loin d’être épargnée par le harcèlement et les violences sexuelles. Mais elle s’efforce depuis trois ans de libérer la parole des victimes et de les accompagner.

À l’origine de cette prise de conscience, un électrochoc: la parution en février 2014 de l’ouvrage « La guerre invisible », écrit par deux journalistes, dénonçant la gestion calamiteuse des agressions sexuelles et viols au sein de « la grande muette », le surnom de l’armée française, qui compte 15% de femmes dans ses rangs.

L’armée française est la quatrième armée la plus féminisée du monde, selon le gouvernement, derrière Israël (33%), la Hongrie (20%) et les États-Unis (18%).

Lors de l’été 2014, le ministère de la Défense crée la cellule « Thémis », chargée de recueillir les témoignages des victimes, fournir un appui juridique, veiller à l’application de sanctions en interne, mais aussi faire de la prévention au sein d’un univers militaire aux codes très masculins.

« Il fallait libérer la parole », hors de la voie hiérarchique, résume le contrôleur général des armés Erick Dal, qui dirige Thémis.

« Un jour, une dame m’a montré 700 SMS. À un moment son interlocuteur lui écrit :  ‘ou maintenant nous avons des relations sexuelles ou je te fais virer de ton poste« , raconte-t-il. Mais « elle a mis beaucoup de temps à venir nous voir. Elle avait échangé des photos intimes avec lui et n’a pas voulu aller plus loin. La honte l’a empêchée de parler et d’aller voir son commandant ».

Depuis sa création, la cellule Thémis a ouvert près de 300 dossiers, dont 90% concernaient de femmes, à un rythme moyen de cinq par mois.

Un chiffre qui tend à augmenter depuis un an. « Selon moi, il n’y a pas plus de cas, mais il y a une meilleure connaissance du phénomène » à force de pédagogie, avance-t-il.

« Le harcèlement est l’infraction qui revient le plus fréquemment », souligne Erick Dal. Entre mi-2014 et fin 2016, Thémis s’est saisie de 64 cas.

Sur la même période, 26 viols et 40 agressions sexuelles ont par ailleurs été signalés à la cellule.

« Un seul viol est en cours de jugement », selon Erick Dal, mais « aujourd’hui, il n’y a plus de femmes qui font appel à Thémis qui ne portent pas plainte ».

« Nous avons aussi des classements sans suite, faute de preuve, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de punition », assure-t-il.

Au-delà de la procédure judiciaire, Thémis veille à ce que soient appliquées des sanctions disciplinaires : mutation, jours d’arrêt, très dommageables dans une carrière militaire, voire exclusion des armées.

« Un sous-officier s’est caché dans un vestiaire et a pris des photos. Récidiviste, il a eu 60 jours d’arrêt et il a été condamné à 10 mois de prison avec sursis », raconte Erick Dal.

L’homophobie est aussi un sujet. La Thémis a traité 18 cas depuis 2014, dont 8/10ème concernait des hommes. Des insultes homophobes ont récemment valu sa mutation à l’agresseur.

Le chemin reste cependant long à parcourir, si l’on en croit les dizaines de témoignages anonymes qui s’accumulent sur la page « Paye ton treillis » du réseau social Tumblr.

« J’espère que ta remplaçante aura de plus gros seins que toi : quand mon collègue apprend ma mutation »; « un de mes supérieurs plaque mon visage contre sa braguette pour mimer une fellation. J’étais secrétaire dans l’Armée de l’Air »; « Si tu sais pas gérer tes règles, fallait pas rentrer dans l’armée »… Depuis près d’un an, « Paye ton treillis » dénonce le sexisme ordinaire et le harcèlement dans l’armée française.

« Au travers des témoignages que nous postons, nous aimerions faire réfléchir à l’impact que ces phrases répétées peuvent avoir sur une carrière, une vie », font valoir les créatrices de ce blog.

R.B avec AFP

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