Avec l’avènement d’Internet, la recherche généalogique est devenue plus accessible et se démocratise de plus en plus. Preuve en est avec le développement récent de sites dédiés à la généalogie (Ancestry, Geneanet, MyHeritage, etc.). Au Québec, elle connaît un véritable engouement et la création d’émissions télévisées qui mettent en scène des personnalités québécoises en quête de leurs origines en est le meilleur exemple. D’ailleurs, l’affirmation de l’identité québécoise (où le français est la seule langue officielle) au sein d’un Canada majoritairement anglophone n’est sûrement pas étrangère à cette activité.
Depuis quelques années, on constate en France l’émergence d’un tourisme généalogique québécois. Pourtant, cette nouvelle forme de tourisme reste confidentielle alors que son potentiel de développement économique ne serait pas négligeable à l’échelle locale, notamment pour les territoires ruraux qui ont vu partir bon nombre de pionniers. Alors, le tourisme généalogique peut-il répondre aux enjeux de redynamisation de ces campagnes qui sont de plus en plus vieillissantes et de moins en moins attractives ? Voici quelques éléments d’éclairage avec l’exemple de la région normande où ses nombreux pionniers ont laissé une descendance prolifique au Québec et dont le potentiel touristique généalogique est encore peu exploité par les acteurs territoriaux.
L’immigration vers la Nouvelle-France : un pan méconnu de l’histoire française
Après la découverte de l’actuel Québec par Jacques Cartier en 1534, le Royaume de France prend possession des lieux et fonde la Nouvelle-France. Après plusieurs tentatives avortées, la campagne de colonisation initiée par Samuel de Champlain en 1608 puis par la Compagnie des Cent-Associés en 1627 – notamment motivée par le commerce de fourrures – est la bonne. Dès lors, plusieurs centaines de pionniers principalement originaires des provinces de Normandie, du Perche (dont son territoire sera intégré en partie à la Normandie en 1789), d’Aunis et de Saintonge (correspondant actuellement à l’ex région Poitou-Charentes) partent défricher ce nouveau territoire dans l’espoir d’une vie meilleure.
Par la suite, plus de 800 femmes appelées « Filles du Roy » sont envoyées en Nouvelle-France pour se marier et fonder une famille avec les hommes sur place. Elles proviennent généralement d’orphelinats ou d’hôpitaux des villes de Dieppe, La Rochelle, Paris ou Rouen et sont âgées de 15 à 30 ans. La population de la Nouvelle-France doublera rapidement après l’arrivée de ces jeunes femmes et une nouvelle vague de nouveaux migrants de moindre importance viendra par la suite s’y installer au XVIIIe siècle. Par conséquent, il est fortement probable aujourd’hui qu’un québécois d’origine « canadien-français » ait plusieurs ancêtres parmi ces pionniers du XVIIe et XVIIIe siècles.
Plus de deux millions de Québécois porteraient un nom de famille hérité d’un ancêtre normand
Parmi les dix noms de famille les plus portés actuellement au Québec, quatre d’entre eux proviennent exclusivement d’ancêtres originaires de l’actuelle Normandie (Tremblay, Gagnon, Côté et Gagné) et cinq d’entre eux en contiennent partiellement (Roy, Gauthier, Morin, Lavoie et Fortin). Citons le plus prolifique d’entre eux, Pierre Tremblay, originaire de Randonnai (Orne) et dont son nom est désormais porté par plus de 80 000 québécois avec une descendance estimée à 150 000 personnes en Amérique du Nord. Pour l’anecdote et pour bien mesurer la descendance laissée notamment par les percherons au Québec, le géographe Élisée Reclus disait de la commune de Tourouvre (Orne) qu’elle fut « le lieu d’Europe qui a contribué, pour la plus grande part, au peuplement du Nouveau Monde ». Pas étonnant que cette commune accueille depuis 2006 le Musée de l’émigration française au Canada.
Le tourisme généalogique : un levier de développement local pour les territoires ruraux ?
Le potentiel touristique généalogique est donc bien réel en Normandie si on tient compte du nombre important de Québécois concernés et de leur engouement pour la généalogie. D’ailleurs, j’ai cartographié ce potentiel touristique par commune après avoir identifié l’ensemble des ancêtres normands (masculin et féminin) qui ont laissé une descendance au Québec jusqu’à nos jours (cette recension n’est pas encore totalement exhaustive). En effet, les lieux de mémoire de ces ancêtres se concentrent presque exclusivement dans leur commune d’origine (maison ancestrale, église de baptême et/ou mariage, rue portant son nom, etc.).
Cette géographie communale d’origine de ces ancêtres montre deux choses :
- Un potentiel touristique qui est hétérogène géographiquement (les 5 départements normands sont concernés même si celui de l’Eure le semble moins que les autres).
- Outre trois villes de taille moyenne ou importante (Rouen, Dieppe et Caen), de nombreuses communes rurales sont concernées par ce potentiel, généralement dans des espaces ruraux peu attractifs économiquement et vieillissants (Perche, Pays de Caux, Pays d’Auge et le sud-Manche).
D’autres sites touristiques régionaux très fréquentés (Le Mont-Saint-Michel, Giverny, le Memorial de Caen, etc.) ainsi que plusieurs lieux ayant un lien avec l’histoire du Québec (Musée de l’émigration française au Canada de Tourouvre, cimetières canadiens de Dieppe et de Bény-sur-Mer, port de Honfleur qui a vu le départ de plusieurs expéditions de Samuel de Champlain, etc.) ont été rajoutés dans cette carte afin de mieux se rendre compte de ce potentiel touristique.
Dès lors, si les acteurs publics et privés du territoire décidaient de capter ce potentiel (élus locaux et entreprises dédiées au tourisme notamment), il est certain que ces territoires ruraux bénéficieront directement de retombées économiques locales (établissements hôteliers, restaurants, etc.). Face aux enjeux (difficiles) de la redynamisation des espaces ruraux, est-ce que cette nouvelle forme de tourisme peut-elle être une réponse (certes modeste) aux territoires concernés ?
François Raulin, Ingénieur de recherche, Laboratoire Métis EM Normandie, École de Management de Normandie – UGEI
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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