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150 ans après, l’héritage compliqué de la Commune de Paris

mars 18, 2021 15:10, Last Updated: mars 18, 2021 15:14
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Elle est pour la gauche un rêve de République sociale, la pionnière de la révolution ouvrière. Pour la droite, un moment d’égarement de la rue et un épisode de violences. La Commune de Paris secoua le monde pendant 72 jours et se finit dans le sang. Il y a 150 ans. Elle fait encore débat aujourd’hui.

Le 18 mars 1871, excédés et affamés par le siège prussien, les habitants des quartiers populaires du Nord et de l’Est de Paris se révoltent contre le gouvernement de la IIIe République. Ils instaurent la « Commune de Paris » et adoptent plusieurs mesures emblématiques comme l’égalité salariale hommes-femmes ou la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

« Semaine sanglante » entre 7.000 et 20.000 morts

Après 9 semaines de lutte, l’expérience des « Communards » est liquidée par les autorités, les « Versaillais », lors de la « Semaine sanglante », pour laquelle les estimations sérieuses varient, pour l’historien Eric Fournier, entre 7.000 et 20.000 morts.

Barricades de la Commune de Paris, avril 1871, coin de la place de l’Hôtel de Ville et de la rue de Rivoli. Wikipédia

Est-ce un « triste moment de guerre civile » comme le dit la droite parisienne ou « 72 jours exceptionnels » d’avancées sociales quand le peuple se libère et se fédère, comme le pense la gauche radicale ?

« La droite n’est pas fière des massacres de la Semaine sanglante »

« La droite n’est pas fière des massacres de la Semaine sanglante. La gauche parlementaire ne sait trop que faire d’un gouvernement qui fit sécession de l’Assemblée nationale (…) Il n’y a qu’à l’extrême gauche que l’événement est salué », résume l’historien Pierre Vesperini dans « Philosophie magazine ».

-La maire de Paris Anne Hidalgo pose devant les Silhouettes des Communards et des Communardes créées par l’artiste Dugudus, présentées devant la Basilique du Sacré Cœur à Paris, le 18 mars 2021. Photo de Anne-Christine Poujoulat / AFP via Getty Images.

Jeudi commence un programme de commémorations organisé notamment par la Mairie de Paris, dirigée par la socialiste Anne Hidalgo à la tête d’une coalition de gauche, au grand dam de la droite.

« Commémorer oui, célébrer non »

« Commémorer oui, célébrer non », dénonce l’élu de droite Rudolph Granier. « C’est quand même un moment où, dans Paris, des Parisiens ont été assassinés par d’autres Parisiens » estime un autre élu de droite, Antoine Beauquier à quelques jours du début des commémorations.

La gauche y voit elle le creuset de l’émancipation du prolétariat et « le premier modèle d’auto-organisation populaire », selon les mots du chef de file de l’extrême-gauche française, Jean-Luc Mélenchon.

-Le Dernier jour de la Commune de Paris 1871, une affiche. Auteur Wikipédia Hope.

« La Commune représente la plus importante présence dans l’histoire de France d’ouvriers dans une assemblée représentative », relève l’historienne Mathilde Larrère.

« Danger mortel pour le vieux monde »

C’est cette prise en main par le prolétariat que loue la gauche révolutionnaire. « Le souvenir des combattants de la Commune n’est pas seulement vénéré par les ouvriers français, il l’est par le prolétariat du monde entier » écrivait Lénine en 1911. C’était « un danger mortel pour le vieux monde fondé sur l’asservissement et l’exploitation » selon lui.

La Commune, ce ne furent certes pas les « Dix jours qui ébranlèrent le monde », selon la célèbre formule de John Reed pour qualifier la Révolution russe d’octobre 1917. Mais elle n’en fut pas moins un évènement mondial sur lequel les yeux des cinq continents se sont rivés.

« Ainsi la Commune occupe 75% des mots qui circulent sur le réseau de l’agence Reuters la semaine du 18 mars, ce qui signifie que l’attention est immédiate et non seulement liée à la semaine sanglante. Elle est donc suivie heure par heure dans toute l’Europe, mais bien au-delà, jusqu’en Inde ou en Australie ou aussi au Mexique ou aux Etats-Unis », explique l’historien Quentin Deluermoz, auteur de « Commune(s) » chez Seuil.

Aujourd’hui, l’héritage est incertain, même s’il est encore revendiqué sur certaines banderoles dans les rassemblements d’extrême gauche ou récemment chez certains « gilets jaunes », ce mouvement de révolte populaire qui a secoué la France en 2018 et 2019, donnant lieu à de violents affrontements avec les forces de l’ordre.

« Ce qui est assez drôle, c’est que beaucoup du programme de la Commune de 1871 est devenu totalement courant et banal », relève l’historienne Alice de Charentenay.

« La mémoire ouvrière était morte dans son inspiration révolutionnaire »

L’historien Pierre Nora estime que quand le président Pompidou s’est incliné en 1971 devant le « mur des  fédérés », au cimetière du Père Lachaise, cela signifiait que « la mémoire ouvrière était morte dans son inspiration révolutionnaire propre et qu’elle ne menaçait plus rien ».

Pour autant, « beaucoup de gens (…) utilisent encore aujourd’hui » le slogan « La Commune n’est pas morte », estime Mme de Charentenay.

« Les +gilets jaunes+ sont en effet les descendants directs des Parisiens de 1871. Ici comme alors, on a affaire à un soulèvement de la misère – on veut vivre dignement –, et à un soulèvement éthico-politique – on veut la démocratie », estime M. Vesperini.

Le tableau de l’artiste soviétique Isaak Brodsky, le Passage de la bannière des Communards de Paris aux ouvriers de Moscou, Hall à Moscou le 10 novembre 2015. Photo Alexander  Nemenov / AFP via Getty Images.

En face, le préfet de police Didier Lallement, figure de proue de l’action policière contre les Gilets Jaunes s’est lui-même comparé à celui qui a réprimé la Commune. Selon le journal Le Monde, il aurait un jour déclaré « Il faut avoir son Galliffet », en référence au général Gaston de Galliffet, entré dans l’Histoire pour avoir dirigé la répression de la « semaine sanglante ».

Pour autant, malgré ces débats, malgré cette portée mondiale, la Commune reste relativement méconnue des Français, peu mise en valeur dans les programmes scolaires. « La Commune est un objet difficile, compliqué » dont l’enseignement incomplet traduit une « volonté d’oubli » et une « gêne ».

 

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