TRIBUNE — Les défis devant un monde en proie au chaos ne sont pas nouveaux. Comme souvent, les yeux rivés sur le passé, nous discernons avec précision ce que nous laissons derrière, tandis que devant s’ébauche un inconnu déstabilisant.
2022-2023 ont été deux années qui ont confirmé le démantèlement du monde tel que nous l’avons connu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a plus de régulation, même minimale, de l’usage de la force entre les États, ni par le poids des superpuissances, ni par le consensus autour d’un vague respect du droit international.
Ce contexte conduit à une dispersion de la puissance et du pouvoir d’influence entre de multiples pôles d’ancrage – Occident, États-Unis, Russie, Chine, Turquie, Iran, Égypte, Arabie saoudite, etc. – et contribue à multiplier les configurations et les alliances restructurées.
Par exemple, 2023 est l’une des années avec le plus de conflits dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En douze mois seulement, les violences politiques et militaires ont augmenté de 27 % en intensité et en fréquence. On estime qu’une personne sur six dans le monde a été exposée à un conflit au cours des douze derniers mois.
Le sentiment d’impunité dans l’utilisation de la puissance et le mépris du droit international se sont accrus. Pas seulement à Gaza ou en Ukraine. La guerre du Haut-Karabakh ou la série de coups d’État dans six pays africains illustrent clairement ce moment de l’histoire de dérégulation de l’usage de la force, qui est la conséquence logique du piétinement des normes internationales au cours des dernières décennies.
On peut en conclure qu’en 2024, la question vitale sera celle de la démocratie, menacée de toutes parts. Les pays occidentaux n’ont pas su redistribuer les fruits de la mondialisation au reste du monde. De même, ils ont échoué dans la lutte contre le trafic de drogue et la corruption. Sans une nouvelle mobilisation, leur échec en Ukraine n’est qu’une question de temps. Par ailleurs, les manœuvres stratégiques qui devaient contribuer à affaiblir les ennemis de l’Occident en renforçant les sanctions économiques (contre l’Iran ou la Russie) sont un autre échec. L’économie russe se porte beaucoup mieux que prévu, démontrant une ressource intérieure dont l’importance et le caractère déterminant ont été totalement ignorés par les analystes occidentaux.
La démocratie montre des signes inquiétants de faiblesse et de manque d’énergie pour faire face aux nombreux conflits, et plusieurs institutions démocratiques ont été ébranlées par des scandales spectaculaires de corruption et de trafic d’influence.
En 2024, plus de 4 milliards de personnes se rendront aux urnes dans 76 pays, soit près de 51 % de la population mondiale. Si la plupart des habitants de ces pays voteront dans des démocraties imparfaites, un électeur sur quatre participera à des élections organisées par des régimes autoritaires. Dans des pays comme la Russie, la Tunisie, l’Algérie, la Biélorussie, le Rwanda ou l’Iran, les dirigeants utiliseront ces élections pour consolider leur pouvoir. La série d’élections de 2024 sera décisive pour déterminer si les protestations, la fragmentation et la montée de l’extrémisme politique qui ont modifié les démocraties dans le monde entier s’intensifieront, ou si le système résistera sans fléchir.
Aux États-Unis, la mobilisation des jeunes Latinos sera particulièrement importante. Plus de 4,7 millions de jeunes Latinos ont obtenu le droit de vote au cours des dernières années et ils joueront un rôle important dans des États clés comme le Nevada ou l’Arizona. La polarisation aux États-Unis est plus tangible chez les hommes politiques que chez leurs électeurs. La crainte d’élections inéquitables a considérablement augmenté (de 49 % en 2021 à 61 % en 2023). Bien que les électeurs américains perçoivent toujours l’inégalité économique comme une menace majeure (69 %), le plus grand défi de cette course électorale est peut-être la présence des deux mêmes candidats de l’élection précédente, Joe Biden et Donald Trump, alors que l’establishment politique américain a démontré son impuissance à se renouveler et à trouver des candidats un peu plus frais. En France, par exemple, l’âge cumulé du président Macron et de son premier ministre Atal est inférieur (80 ans) à celui du président Biden (81 ans). Quant à Donald Trump, son avenir immédiat est toujours entre les mains de la justice.
L’avenir de l’Union européenne se jouera également lors de ces élections. Outre les élections du Parlement européen, qui se dérouleront du 6 au 9 juin 2024, 12 États membres se rendront aux urnes. Les élections générales en Belgique, au Portugal ou en Autriche seront un bon indicateur de la force de l’extrême droite, qui apparaît comme l’un des vainqueurs des élections européennes. Si le vote de 2019 a signifié la fin de la grande coalition qui garantissait aux sociaux-démocrates et aux chrétiens-démocrates une majorité en plénière depuis le tout début du Parlement européen, la grande question est maintenant de savoir non pas si l’Union européenne va prendre un virage à droite, mais jusqu’où elle va le faire.
Les dernières prévisions montrent des résultats en nette augmentation pour le groupe Identité et Démocratie (ID), qui comprend des partis d’extrême droite tels que ceux de Marine Le Pen et de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui devrait dépasser l’autre famille de la droite radicale, les Conservateurs et Réformistes européens (ECR), dirigés par la Première ministre italienne Giorgia Meloni.
Les sociétés sont de plus en plus fatiguées, submergées par la surcharge de contenus et épuisées par la rapidité des changements qu’elles doivent digérer et assimiler. L’incertitude politique et électorale et les multiples conflits qui marqueront 2024 ne feront qu’accroître la distance et le divorce entre les sociétés, les institutions et les partis politiques.
Le nombre de personnes qui déclarent « éviter » les informations reste proche de son plus haut niveau historique et est particulièrement élevé en Grèce (57 %), en Bulgarie (57 %), en Argentine (46 %) et au Royaume-Uni (41 %). Les principales raisons en sont la répétition excessive de certains sujets d’actualité et l’impact émotionnel qu’ils ont sur la santé mentale de la population. Selon l’Institut Reuters, cette lassitude est notamment causée par des sujets tels que la guerre en Ukraine (39 %), la politique nationale (38 %) et les nouvelles relatives à l’injustice sociale (31 %), qui présentent des niveaux élevés de politisation et de polarisation. Les images de violence liées à la guerre et l’impact économique de ces événements sur le niveau de vie de plus en plus dégradé de la population renforcent cette tendance à la déconnexion du monde.
Le risque d’une guerre à grande échelle est réel. Que ce soit au Moyen-Orient ou en Asie avec la Chine, qui cherche par tous les moyens à ramener Taïwan sous son influence, la guerre sur tous les continents n’est plus une option abstraite ou hypothétique. Les citoyens ordinaires ont raison de s’inquiéter du fait de subir les conséquences d’événements qui leur échappent totalement.
De plus en plus, les gouvernants profitent de cette apathie, de cet abandon du rôle du citoyen actif et informé, pour prendre des décisions et mettre en œuvre des réformes au détriment de la population. Cependant, même si la démocratie ne fonctionne pas toujours, même si le monde est conscient de ses faiblesses, elle reste la seule véritable alternative, tout comme l’État de droit. Tous les avatars reflétant une solution sociale, économique ou politique issue de l’autocratie ou de la semi-dictature doivent être relégués au passé.
« En démocratie, chaque génération est un peuple nouveau », écrit Alexis de Tocqueville. C’est pourquoi il est primordial de déployer les mêmes efforts chaque jour, chaque année et sans relâche, pour éduquer les nouvelles générations aux valeurs qui ont fait leurs preuves au cours des siècles et qui garantiront leur avenir.
Boyan Radoykov est un expert international en sciences politiques et sur les questions de sécurité, avec une longue expérience de la diplomatie multilatérale. Membre de plusieurs groupes de réflexion en Europe et aux États-Unis, il travaille actuellement sur des projets pour soutenir le développement humain et le partage des connaissances globales.
Titulaire d’un diplôme des hautes études économiques, il a également soutenu une thèse de doctorat en sciences politiques à l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne. La carrière professionnelle de Boyan Radoykov l’a conduit dans plus de 120 pays à travers le monde. Il est l’auteur de plusieurs livres et de nombreux articles.
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