4 principes stoïciens pour résister au monde

Les lettres de Sénèque ont inspiré des millions de personnes à développer l'équanimité et à vivre une vie formidable au milieu de la souffrance et de l'incertitude

Par Leo Salvatore
25 juillet 2024 17:35 Mis à jour: 25 juillet 2024 18:13

Thomas Jefferson est mort avec un recueil des œuvres de Sénèque sur sa table de lecture. George Washington possédait un exemplaire précieux de la philosophie romaine Morals by Way of Abstract (Morales par voie d’abstraction) qu’il consultait régulièrement. Sénèque a inspiré de nombreux pères fondateurs américains, qui lui attribuaient, ainsi qu’à ses collègues stoïciens, des idées qui ont inspiré la Déclaration d’indépendance.

L’ouvrage du philosophe Ryan Holiday intitulé The Obstacle Is the Way: The Timeless Art of Turning Trials into Triumph (L’obstacle est le chemin : l’art intemporel de transformer les épreuves en triomphe) a montré au monde que l’influence de Sénèque se poursuit au XXIe siècle. Le livre, qui s’inspire des convictions du stoïcien sur la manière de relever les défis avec sang-froid, s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires depuis sa publication, devenant le favori des athlètes de haut niveau et d’une pléthore de personnes accomplies. Sénèque est même apparu dans un film récent qui constitue sa première biographie télévisée. Le film dépeint la carrière du philosophe en tant que conseiller de l’impétueux empereur Néron, mettant un visage sur cet homme souvent cité mais mystérieux.

Qui est donc ce Romain qui a inspiré d’innombrables personnes ? Et pourquoi est-il encore important ?

Les stoïciens, modernes et anciens

Lorsqu’Alexandre Soljenitsyne a exprimé, dans une lettre privée, ses réserves sur la dictature de Staline, les autorités soviétiques, très audacieuses, l’ont exilé dans un goulag. Au lieu d’écraser son esprit, la souffrance de Soljenitsyne a renforcé son engagement en faveur de la vérité. « Lorsque vous avez tout volé à un homme, il n’est plus sous votre pouvoir, il est à nouveau libre”, réfléchit-il des années après sa libération.

Les mots de Soljenitsyne auraient pu être prononcés par Sénèque lui-même. Fils d’un orateur renommé, d’un historien et élite équestre, Sénèque est né à Cordoue, en Espagne, en l’an 4 av. J.-C. Jeune garçon, il est parti à Rome pour étudier la rhétorique et la philosophie, ce qui a facilité son ascension en tant que sénateur et homme d’État renommé.

En l’an 41, Sénèque est exilé en Corse par l’empereur Claude pour sa participation présumée à un scandale politique. Il est privé de sa liberté et séparé de sa famille. Pourtant, l’exil l’a laissé indemne. Comme il l’écrira plus tard, faisant écho à la réflexion de Soljenitsyne, « un homme sage se contente de son sort, quel qu’il soit, sans souhaiter ce qu’il n’a pas. »

Un peu comme Soljenitsyne, Sénèque a été exilé pendant huit ans, après quoi il est revenu pour donner des leçons au futur empereur Néron. À l’âge de 69 ans, il est accusé d’avoir conspiré pour usurper le trône. Malgré son innocence, Néron lui ordonne de se suicider. La sérénité de ses derniers instants a inspiré des peintures aussi étonnantes que La mort de Sénèque de Manuel Sánchez.

La mort de Sénèque, 1871, par Manuel Domínguez Sánchez. Huile sur toile ; 2.7 mètres par 4.5 mètres. Musée du Prado, Madrid. (Domaine public)

Les lettres de Sénèque : la philosophie comme mode de vie

Sénèque a écrit douze essais, neuf tragédies, une satire et un célèbre recueil de lettres. L’ancien dirigeant de la Ligue nationale de football Michael Lombardi a récemment confié que les œuvres de Sénèque faisaient partie de ses lectures quotidiennes. Celles-ci lui conseillent que dans « une profession qui subit de nombreuses influences extérieures, il est bon de se rappeler chaque jour de s’inquiéter et de ne travailler que sur ce que l’on peut contrôler ».

Un buste de Sénèque. Copie en plâtre d’un buste antique (ded pixto/Shutterstock)

Les lettres comprennent 124 réflexions écrites au cours des dernières années de la vie de Sénèque. Elles s’adressent à un certain « Lucilius », que Sénèque décrit comme l’administrateur financier de la Sicile sous le règne de Néron. On ignore si Lucilius a existé et si le mentorat de Sénèque l’a aidé à devenir un grand dirigeant comme il l’a fait pour M. Lombardi. Ce qui importe, c’est que pour Sénèque et pour les Romains, la philosophie était avant tout un système permettant de vivre bien et efficacement.

La recherche philosophique est censée nous aider à surmonter les épreuves et les tribulations de la vie. Nous avons déjà constaté l’influence de certains principes stoïciens chez de grandes personnalités comme Soljenitsyne. Voici quatre autres préceptes pratiques tirés des lettres de Sénèque.

La meilleure vie est simple et modérée

Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a diminué régulièrement au cours des dernières décennies. Pour une grande partie de la population mondiale, l’existence offre un confort sans précédent dans l’histoire. Malgré les tendances positives en matière de bien-être matériel, l’humanité est également confrontée à des taux croissants d’anxiété, de dépression et d’affections psychologiques connexes. Beaucoup d’adultes souffrent de dépression. Pourquoi un monde plus riche est-il plus misérable ?

En tant qu’homme d’État romain, Sénèque n’était pas étranger à la richesse. Pourtant, il savait aussi que l’opulence était synonyme de décadence spirituelle et psychologique plutôt que de réussite. « Mangez uniquement pour apaiser votre faim, buvez uniquement pour étancher votre soif », conseille-t-il, et “habillez-vous uniquement pour vous protéger du froid.” La relation entre la richesse et la satisfaction est complexe, mais une chose est claire : l’abondance peut créer de fausses nécessités. La modération est efficace contre les excès et les problèmes superflus. Pour ceux qui ont le choix, la simplicité est la meilleure solution.

L’esprit d’entreprise au service des bonnes causes

La simplicité est synonyme de frugalité, mais pas de léthargie. Sénèque savait que quelqu’un qui n’a pas d’objectifs et d’aspirations est voué à la misère ou à une morne léthargie. L’absence de but est l’une des caractéristiques de ce que le chercheur en sciences cognitives John Vervaeke appelle la « crise du sens », une aliénation du monde qui a engendré le nihilisme et l’angoisse chez une grande partie de la population mondiale. Pour éviter ce destin funeste, nous devons, comme le dit Sénèque, « nous occuper d’intérêts qui sont bons ». Nous pouvons travailler sur une proposition commerciale, étudier pour obtenir un diplôme ou désherber nos jardins. Sénèque avait une longue liste de réalisations pour illustrer les avantages de l’assiduité au travail. Sa philosophie de l’éthique du travail était profondément admirée par Georges Washington, qui reconnaissait que « l’homme très occupé n’a pas de temps à consacrer à l’insouciance, et il est évident que les maux des loisirs peuvent être secoués par un travail acharné ».

Accepter les émotions, mais ne pas leur donner raison

En 2013, le Getty Villa Theatre Lab a demandé à l’ensemble théâtral Not Man Apart de mettre en scène la tragédie de Sénèque The Madness of Hercules (La folie d’Hercule). La pièce dépeint une séquence de crises maniaques, au cours desquelles Hercule assassine sa famille. Les fréquentes rencontres de Sénèque avec la maladie, la prison et l’exil ont fourni plusieurs occasions d’expérimenter le pouvoir et le danger des émotions intenses. Il en va de même pour James Stockdale, vice-amiral de la marine américaine et candidat à la vice-présidence en 1992, dont les mémoires à succès In Love and War relatent son expérience de prisonnier de guerre au Viêt Nam, qu’il a supportée en partie grâce à sa pratique des principes stoïciens.

Les stoïciens sont souvent considérés à tort comme rejetant totalement les émotions. Ils savent cependant que les émotions sont naturelles et inévitables. Sénèque nous dit que « les larmes coulent, quels que soient nos efforts pour les retenir, et en les versant, elles soulagent l’âme ». La tristesse n’est pas mauvaise en soi. C’est l’excès de tristesse qui nuit à notre capacité de raisonner et d’agir en fonction des exigences de la situation. Stockdale s’en est rendu compte au cours de ses sept années d’emprisonnement effroyable. Comme le lui a rappelé Sénèque, nous devrions laisser les larmes « couler, mais ne pas leur ordonner de le faire ».

S’occuper de l’avenir, mais avec parcimonie

L’influent ouvrage du psychiatre américain Aaron T. Beck, intitulé Cognitive Therapy of Depression, attribue à l’insistance stoïcienne sur le rejet des « distorsions cognitives » les fondements de la thérapie comportementale et cognitive (TCC). En 2023, la TCC avait l’efficacité la mieux documentée dans les traitements à long terme de la dépression clinique.

Sénèque pensait que la plupart des distorsions cognitives provenaient de l’imagination. Nous prévoyons souvent des maux et des malheurs sans motif, nous catastrophons le passé immuable ou nous projetons sur notre présent des hypothèses qui suscitent la peur. Une vie vécue entre les courants de la pensée et du temps est perpétuellement instable. « Le seul port sûr contre les tempêtes bouillonnantes de cette vie », remarque Sénèque, « est le mépris de l’avenir, une position ferme. » Sénèque n’approuve pas le fait de négliger complètement l’avenir. Comme le recommande la TCC, il s’agit plutôt d’abolir les habitudes de l’esprit qui nous détournent du « maintenant » réel pour fabriquer un « alors » lointain. L’avenir est imprévisible, ballotté par des « tempêtes bouillonnantes ». Il est préférable de mesurer l’attention qu’on lui porte, de peur que les tempêtes ne nous engloutissent.

Les idées simples, mais formidables de Sénèque, sont omniprésentes dans l’imaginaire populaire, que ce soit dans les films biographiques, les innovations psychothérapeutiques ou les récits inspirants de résilience en temps de guerre. Les préceptes du stoïcien ont inspiré des millions de personnes à endurer la souffrance, à atteindre l’excellence.

Les stoïciens savaient qu’il est plus facile d’adopter des principes conceptuels que de les mettre en pratique au quotidien, d’où leurs nombreux « manuels de vie ». Sénèque lui-même pratiquait une foule d’exercices, notamment en consignant dans un journal ses réflexions sur ses exploits et ses revers quotidiens, en méditant sur la finitude de la vie et en affinant ses talents rhétoriques pour triompher en toute occasion. Ces pratiques ont aidé le Romain à résister au monde, et elles pourraient nous aider, nous aussi, à vivre mieux et plus longtemps.

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