Aux sources du cacao, véritable nourriture des dieux

6 octobre 2017 19:00 Mis à jour: 2 mai 2023 20:25

Aujourd’hui consommé dans le monde entier et décliné sous toutes les formes, le cacao représente la troisième denrée agricole échangée sur la planète, après le sucre et le café.

Au cœur d’un vaste négoce international, il fait d’ailleurs l’objet de spéculation sur les marchés à terme et connaît de sérieuses variations de prix liées aux fluctuations de l’offre et de la demande.

Toutefois, les origines exactes de la domestication des plants de cacao et de la découverte des procédés de transformation complexes des fèves contenues dans ses fruits, restent encore incertaines.

On estime néanmoins que le cacao était déjà consommé il y a plusieurs milliers d’années, entre les aires tropicales de Mésoamérique et les régions équatoriales situées au nord du bassin amazonien.

La combinaison d’un climat chaud et humide favorisait en effet la croissance des cacaoyers à l’état sauvage, à l’ombre d’immenses canopées composées de formations végétales culminant à une hauteur vertigineuse.

Plusieurs fouilles menées dans les années 2000 au Mexique et au Honduras, sur les sites d’El Manati et de Puerto Escondido, signalent d’ailleurs la présence de résidus de cacao parmi les vestiges mis au jour.

Des traces des mucilages qui entourent les fèves de cacao furent ainsi retrouvées dans des récipients vieux de près de 4000 ans, ayant vraisemblablement contenu des boissons fermentées.

Des recherches archéologiques réalisées récemment au sud-est de l’Équateur permirent aussi d’identifier des restes de cacao dans des poteries fabriquées il y a plus de 5000 ans.

Ces découvertes incitent à penser que la culture du cacao avait déjà cours au sein des peuplades qui ont précédé la civilisation olmèque. Elle se serait ensuite perpétuée à travers les sociétés fondées par les Mayas, les Toltèques, puis les Aztèques.

Fèves de cacao entourées de pulpe mucilagineuse. (Frederic J.Brown/AFP/Getty Images)

Du reste, de nombreux mythes amérindiens rapportent que c’est Quetzacóatl – divinité précolombienne légendaire également connue sous le nom de Serpent à plumes – qui révéla aux autochtones les secrets inhérents à l’exploitation du cacao, il y a plusieurs siècles.

Depuis le 18e siècle, les Occidentaux ont d’ailleurs affublé de façon générique l’ensemble des variétés de cacaoyers du nom scientifique de theobroma cacao, dénomination latine empruntée au grec qui signifie « nourriture des dieux ».

Peu abondantes et parées de multiples vertus, les fèves de cacao faisaient l’objet d’un véritable culte et occupaient une place essentielle chez les peuples mésoaméricains.

Elles étaient ainsi largement utilisées dans le cadre de cérémonies rituelles, rythmaient les temps forts de la vie des indigènes – de la naissance au passage à l’âge adulte, jusqu’au voyage vers l’au-delà – et constituaient aussi une offrande très appréciée des divinités.

Des propriétés médicinales épatantes

En outre, elles entraient également dans la confection de nombreuses préparations alimentaires et médicinales. Les Amérindiens leur prêtaient en effet de multiples propriétés curatives et en tiraient parti pour traiter différentes affections.

La consommation de préparations cacaotées permettait ainsi de fortifier l’organisme et de lutter contre la fatigue ou la fièvre, mais aussi de soulager les maux d’estomac et les problèmes cardiaques.

Par ailleurs, la rareté des fèves de cacao – liée notamment aux limites imposées par la spécificité des conditions climatiques nécessaires à la culture des cacaoyers à grande échelle – et leur capacité à se conserver longtemps sans se dégrader, en firent également une monnaie d’échange très prisée.

Elles représentèrent ainsi rapidement une véritable référence comptable et facilitèrent l’essor du commerce interethnique sur l’ensemble de l’aire géographique occupée par les différentes peuplades précolombiennes.

À l’issue des conflits militaires dont ils sortaient victorieux, les Aztèques exigeaient d’ailleurs de leurs rivaux le paiement régulier d’un impôt sous la forme de graines de cacao.

Du fait de la grande valeur des fèves, la consommation de produits cacaotés restait toutefois essentiellement réservée aux élites et aux guerriers, a fortiori au sein des territoires les plus éloignés des principales régions productrices.

Les fameuses fèves de cacao, si précieuses aux yeux des peuples précolombiens. (Rodrigo Buendia/AFP/Getty Images)

Avant les premières expéditions espagnoles vers le Nouveau Monde, la nourriture des dieux demeurait cependant complètement inconnue des Européens.

En 1519, à la tête d’une troupe de conquistadors, l’ambitieux Hernán Cortés fut reçu en grande pompe à Tenochtitlan – capitale de l’empire aztèque – par l’empereur Moctezuma, qui croyait avoir affaire à un émissaire divin.

En signe de bienvenue, les chroniqueurs racontent que le monarque lui offrit une boisson cérémonielle à base de fèves de cacao broyées à chaud, mélangées avec de l’eau et additionnées de farine de maïs : le xocolatl.

Servi dans des gobelets d’or fin, le breuvage était rehaussé d’épices et d’aromates comme la vanille ou l’urucum, mais aussi de piment fort et de poivre. Très amer et relativement corsé, il ne ressemblait pas du tout à la boisson que les Occidentaux prennent désormais plaisir à déguster.

Des débuts timides en Europe

Après la victoire définitive des légions de Charles Quint sur l’empire aztèque quelques années plus tard, des balles remplies de cacao figuraient d’ailleurs en bonne place parmi la cargaison des navires qui cinglaient vers les côtes espagnoles, chargés des premiers butins destinés au souverain.

Preuve que les conquistadors faisaient déjà grand cas des fèves de cacao, elles côtoyaient des marchandises d’une valeur considérable, telles que de riches étoffes précolombiennes, des gemmes ou des métaux précieux.

Toutefois, cet aliment exotique fut accueilli froidement en Espagne, où il suscita même un certain scepticisme. D’abord utilisé à des fins médicinales, il mit plusieurs années avant d’entrer dans la composition de préparations culinaires.

L’adjonction de sucre de canne ou de miel, ainsi que de lait, permit d’obtenir un mélange onctueux et d’adoucir l’amertume naturelle des fèves. Le chocolate devint finalement une boisson prisée par la noblesse ibère, avant de séduire progressivement l’ensemble des cours européennes.

À partir du 17e siècle, le commerce du cacao s’intensifia et commença à susciter la convoitise de puissances rivales. Afin de concurrencer le monopole de la couronne espagnole, les Hollandais, les Portugais, les Français et les Anglais introduisirent la culture du cacao dès cette période dans les Caraïbes, au Brésil et sur le plateau des Guyanes.

À la même époque, la domestication et la production à grande échelle du cacao s’étendirent jusqu’au Venezuela, en Colombie, ou en Équateur.

Néanmoins, le chocolat demeurait encore un produit de luxe, fragile et coûteux. De lourdes taxes freinaient son entrée sur le marché européen et il restait l’apanage des membres de l’aristocratie.

Une expansion progressive facilitée par l’essor industriel

Ce n’est qu’à partir de la fin du 19e siècle que les produits dérivés du cacao finirent peu à peu par se démocratiser et qu’une part plus importante de la population eu le loisir d’y accéder.

Les progrès techniques et l’industrialisation croissante permirent notamment de mécaniser une partie des procédés de transformation des fèves et d’augmenter leur efficacité, mais aussi d’améliorer la qualité des préparations et d’élargir l’éventail des produits proposés.

Ancien modèle de mélangeuse à cacao équipée d’une meule en granit. (Emmanuel Bouter/Wikimedia Commons)

Les différentes opérations consacrées à la transformation du cacao exigeaient en effet une main d’œuvre importante, ainsi que l’exercice de processus artisanaux à la fois complexes et fastidieux.

Au même titre que l’exploitation des plantations de sucre et de café en Amérique latine et dans les Caraïbes, la culture du cacao entraîna d’ailleurs la sujétion de nombreux esclaves, souvent originaires d’Afrique, dans le cadre du commerce triangulaire.

Au début du 19e siècle, le développement de l’ingénierie encouragea la création de prototypes industriels à même de moudre la matière première et de mélanger la pâte de cacao obtenue.

Quelques années plus tard, le Néerlandais Van Houten bouleversa de manière décisive les procédés de transformation en vigueur, en mettant au point la première presse à cacao hydraulique.

Cette invention permit de séparer sans peine, en deux parties distinctes, la matière maigre et la matière grasse dont se composent les fèves.

La diffusion de systèmes novateurs facilita alors la confection de boissons chocolatées – à la fois plus digestes et commodes à délayer – préparées uniquement à partir de cacao dégraissé. La teneur réduite en matières grasses de la poudre de cacao obtenue favorisa également la réalisation de breuvages plus raffinés.

Ouvriers agricoles séparant la pulpe des fèves de cacao sur l’île de Trinidad, à la fin du 19e siècle. (Hulton Archive/Getty Images)

Par la suite, la conception d’appareils perfectionnés comme la conche – destinée à pétrir et à affiner la pâte de cacao – ainsi que l’essor de l’industrie chimique, permirent également de développer davantage de déclinaisons sous forme solide.

L’Afrique : nouvel eldorado du cacao

Sous l’impulsion de colons européens, l’acclimatation de plants de cacao en Afrique de l’Ouest dès le début du 19e siècle joua aussi un rôle déterminant dans le cadre de l’expansion de la production mondiale.

Les Portugais furent les premiers à introduire la culture du cacao dans le golfe de Guinée, au sein des archipels de Bioko, de São Tomé et de Príncipe. Quelques décennies plus tard, Bataves et Britanniques firent de même au sein de la Côte-de-l’Or – territoire qui correspond désormais au Ghana – bientôt imités par les Français en Côte d’Ivoire.

Ouvriers assignés à la cueillette des fruits du cacao dans les Îles-du-Vent britanniques, au milieu des années trente. (Fox Photos/Getty Images)

Issus d’une sélection quantitative opérée à partir des différentes variétés cultivées en Amérique latine, les plants importés en Afrique furent choisis pour leur propension à offrir rapidement des récoltes conséquentes, plutôt que pour la qualité et la finesse du cacao proposé.

Dès la première moitié du 20e siècle, le continent africain supplanta d’ailleurs l’Amérique latine et devint le premier exportateur mondial de cacao.

Travailleurs dévolus à la récolte de cabosses aux Antilles, dans les années trente. (Fox Photos/Getty Images)

Portée à la fois par des innovations technologiques majeures et par le développement massif des nouvelles cultures cacaoyères africaines – qui finit par provoquer une baisse significative du cours des fèves – la dynamique de l’offre contribua ainsi à réduire le coût du chocolat, qui s’affirma rapidement comme un produit de consommation courante en Occident.

Peu enthousiastes lors de l’arrivée du cacao sur le Vieux Continent quelques siècles auparavant, les Européens apprécièrent finalement beaucoup les friandises exquises qu’il permettait d’élaborer.

Dès l’entre-deux-guerres, le cacao représenta d’ailleurs une des principales matières premières agricoles échangées dans le monde et la demande des pays industrialisés ne cessa d’augmenter à partir des années cinquante.

Fèves de cacao en train de sécher naturellement au soleil, dans les Îles Samoa en 1955. (John Titchen/Three Lions/Getty Images)

Cependant, l’essor du cacao en Afrique pendant la période coloniale ne se fit pas sans heurts et fut jalonné de drames et de catastrophes. À travers des déforestations massives, l’expansion des cultures entraîna en effet la destruction d’écosystèmes abritant plusieurs espèces endémiques. Elle s’accompagna aussi de l’exode de certains peuples et du recours au travail forcé au sein des plantations.

Des variétés différentes aux caractéristiques spécifiques

Les cacaoyers produisent des fruits volumineux, charnus et colorés : les fameuses cabosses, qui poussent le long du tronc ou des grosses branches de l’arbre. Selon les variétés, ils peuvent se présenter sous une forme lisse et ovale, ou bien rugueuse et pointue.

À maturité, les cabosses – qui renferment en leur sein les précieuses graines de cacao – sont cueillies directement sur l’arbre à l’aide de couteaux ou de machettes affûtés.

Plant de cacao couvert de fruits prêts à être cueillis, au Brésil. (Yasuyoshi Chiba/AFP/Getty Images)

On distingue trois principales variétés de cacaoyers, qui présentent chacune des caractéristiques différentes : le Forastero, le Criollo et le Trinitario.

La variété Forastero est désormais la plus cultivée dans le monde. On la retrouve notamment en Afrique de l’Ouest et en Asie, au Brésil, mais aussi en Équateur. Aujourd’hui, elle constitue plus de 80 % de la production mondiale de cacao.

Particulièrement résistante et vigoureuse, elle assure des rendements conséquents à l’origine de sa prééminence au sein des exploitations cacaoyères. Riches en tanins, les fèves issues de cette espèce présentent un arôme puissant, une amertume prononcée, ainsi qu’une certaine acidité.

Moins intéressantes sur le plan organoleptique que leurs cousines de la famille des Criollo ou, dans une moindre mesure, des Trinitario, elles sont essentiellement destinées à la production industrielle du chocolat de grande consommation.

Réputée pour sa qualité supérieure et très recherchée par les amateurs, une des variétés de cacao cultivées en Équateur – désignée sous le nom de Nacional – fait toutefois figure d’exception.

Bien qu’il ait longtemps été assimilé à un cultivar particulier de la famille des Forastero, les analyses menées ces dernières années semblent pourtant indiquer que le Nacional constitue une espèce de cacao à part entière.

Cabosses de cacao de différentes variétés issues de la province du Kivu, en République Démocratique du Congo. (Eduardo Soteras/AFP/Getty Images)

Parmi les trois principales variétés de cacao exploitées, le Criollo est la plus rare, puisqu’elle représente désormais moins de 5 % des fèves consommées dans le monde. L’espèce est essentiellement exploitée entre le sud du Mexique et le nord de l’Amérique du Sud, ainsi que dans les Caraïbes et les Antilles.

Fragile et sensible aux maladies, sa culture complexe nécessite des soins constants et rigoureux. Malgré la vigilance et l’expérience des producteurs, les pertes parmi les récoltes s’avèrent fréquentes et les rendements restent très limités.

Néanmoins, les fèves de cacao Criollo – douces et très aromatiques – jouissent d’une renommée considérable. Utilisées dans la confection de chocolats haut de gamme, elles bénéficient d’une longueur en bouche exceptionnelle et concilient délicatesse et caractère dans un équilibre subtil. Variété noble et prestigieuse, le Criollo exhale des saveurs à nulle autre pareilles.

Enfin, le cacao Trinitario est une espèce hybride, obtenue de façon naturelle à partir du croisement des variétés Forastero et Criollo. Apparu au 18e siècle sur l’île de Trinidad – où il est encore cultivé aujourd’hui – il compose environ 10 % de la production mondiale et prospère désormais aussi en Asie, à Madagascar et au Cameroun, ainsi que dans certaines régions d’Amérique latine.

Grâce à la combinaison des variétés Forastero et Criollo, cet hybride se montre relativement robuste, tout en disposant d’une certaine finesse aromatique. De qualité intermédiaire, les caractéristiques du Trinitario se révèlent variables et assez hétérogènes selon les zones de production.

Cabosses fraîchement récoltées dans l’exploitation brésilienne de Sao Felix do Xingu. (Yasuyoshi Chiba/AFP/Getty Images)

Bien que l’on distingue trois variétés de cacaoyers distinctes, le biotope dans lequel évoluent les plants de cacao influence pourtant de manière notable la saveur et les arômes développés par les fèves.

De façon similaire aux appellations dont disposent les produits viticoles, la typicité des fèves récoltées dans quelques régions spécifiques peut parfois amener les professionnels à parler de grands crus de cacao. Le terroir confère ainsi un caractère unique et des attributs particuliers à certaines variétés.

Une aventure inspirante et contrastée

Apprécié depuis la nuit des temps, le destin du cacao s’avère complexe et fascinant. Depuis sa découverte par les conquistadors, sa culture et son expansion à travers le globe ont en effet souvent été accompagnées de bouleversements écologiques et de tragédies humaines.

Davantage qu’une simple marchandise, le cacao s’inscrit dans une perspective plus large. Son commerce interroge sur le rapport à l’autre, la qualité et la réciprocité des échanges, ainsi que le respect de coutumes ou de modes de vie différents.

Il pose aussi la question de l’impact global des choix opérés par l’homme au cours de son développement. À l’heure du réchauffement climatique et de la diminution drastique de la biodiversité, l’histoire du cacao fournit ainsi un éclairage précieux, qui constitue d’ailleurs peut-être sa plus grande richesse.

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