À 6h45, Philippe pointe au centre pénitentiaire de Riom en Auvergne, enfile son uniforme bleu rangé dans son casier couvert de photos, dont une d’Alcatraz. À 7h00, direction la maison d’arrêt numéro 1, avec une première mission : vérifier que tout le monde est en vie.
« Il faut un bonjour ou un geste des détenus pour s’en assurer, et ensuite ils sont autonomes », explique l’affable trentenaire entre deux remontrances à des détenus qui, dans cet « établissement à réinsertion active » inauguré en 2016, disposent d’une clé de leur cellule.
Sa journée va consister à observer, beaucoup.
« Surveillant, t’as pas des gants de boxe ? », l’apostrophe un détenu dans la salle de sport. « Et une manette pour la console ? », le sollicite un autre, en tailleur sur son lit tiré au cordeau, porte ouverte sur la coursive au violet rutilant.
« C’est pas ça partout, et ça change le métier »
« On est bien à Riom », une prison de 568 places dont 133 en régime ouvert préparant à la sortie. « C’est pas ça partout, et ça change le métier » de surveillant, assure Philippe, improvisé avocat d’une profession qui, avec ses « 2400 euros mensuels en fin de carrière » et sa rudesse, peine à recruter.
L’œil rivé sur des détenus qui circulent et causent avec l’étage du dessous, accoudés au-dessus du filet anti-suicide, le nordiste évoque « la merde » des débuts. La première année, à 22 ans, ce petit gabarit athlétique tatoué d’une croix des Andes s’est « fait les griffes » pour encaisser la violence carcérale, raconte-t-il à l’AFP, lors d’une conversation entrecoupée d’appels par haut-parleurs : « C. est attendu au parloir avocat ».
« À Grenoble, il fallait gérer seul jusqu’à 120 détenus dont 40 qui vous insultaient, 30 qui vous ignoraient », le tout « sans être paré du tout » après la formation, encore moins pour « la pesanteur » d’une maison centrale, où l’on enferme les condamnés à de longues peines.
« MA2, c’est la jungle, MA1 c’est bien mais pas bien bien bien non plus »
Alors Riom, son parc avec de vraies poules pondeuses, ses détenus « référents belote » et ses décibels de rap raisonnables, « c’est correct » et « c’est le jour et la nuit » par rapport à d’autres établissements, abonde un autre surveillant.
Preuve en est, ce dernier pousse vers le sas de sortie un chariot débordant de cintres, canettes de coca et autres effets personnels d’un jeune en jogging noir qui, bien que rétrogradé pour mauvais comportement de la MA1 à la maison d’arrêt classique MA2, s’exécute sans autre protestation qu’une mine fermée.
Pas de mirador ni de filin anti-hélicoptères en vue. Mais Riom reste une prison, avec ses barbelés, ses agressions, ses trafics et son manque de personnel.
Ici comme ailleurs, un disque compact « coupé devient une arme » contre quoi le gilet pare-lame ne peut rien, commente un surveillant. Ici comme ailleurs, « c’est pas la vendetta » mais quand « la colère monte, c’est là qu’il faut descendre deux minutes pour un café », dit Philippe.
« MA2, c’est la jungle, MA1 c’est bien mais pas bien bien bien non plus… », estime un détenu, venu passer une tête dans le bureau de Philippe et exhiber ses automutilations.
Dans la MA2, le béton des cages d’escaliers est maculé, l’odeur plus âpre, la façade fleurie le soir venu de « yoyos », bouts de draps reliant deux fenêtres de cellules. « C’est déjà plus tendu, mais ça reste Riom », tempère un surveillant.
En régime « portes ouvertes », « les détenus sont plus réceptifs ». Ils se plient à un règlement contraignant assorti d’un permis à points dont dépend leur maintien dans le quartier autonome. Se balader en claquette vaut de perdre un point ; lorgner par les œilletons, trois de moins.
Plus de dialogue
Travailler ici, « c’est plus de dialogue, pour les surveillants qui le veulent », résume Philippe. « On prévient (les détenus) avant de sanctionner, et je sais qu’untel lit L’Équipe, que tel autre aime le moto-cross. Mais on porte l’uniforme et on fouille les cellules, donc on n’est pas leur confident non plus. On est dans l’instant T ».
À 16H30, direction la commission de régulation hebdomadaire pour évoquer collégialement la « dangerosité, la vulnérabilité et le risque suicidaire » de détenus. Les échanges fusent entre « La Fouine », « Adidas », « Choco » et d’autres surveillants :
« Cette semaine F. est sorti avec pose de BAR » (bracelet anti-rapprochement), « téléphone trouvé » dans telle cellule, « chichon » (haschich) dans telle autre. Et « jeudi Y. a fait une TS (tentative de suicide), auto-strangulation », « alors il faut bien le surveiller, surtout aux abords des fêtes ».
La séance terminée, rappel des troupes. « Il est 17h30, merci de réintégrer votre cellule pour la distribution des repas », lancent les haut-parleurs. Ce qui se fait, en silence.
« Buenas noches et à bientôt », dit Xavier, chaussons aux pieds, prenant son poisson et ses courgettes. « À demain, pardi », rétorque Philippe.
Puis le clic des verrous, la porte refermée de l’extérieur, jusqu’au lendemain, 7h00.
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