Les tableaux sont encore sur les murs mais les cartons encombrent déjà l’atelier de Sergueï Alexandrov : d’ici quelques semaines, ce peintre devra quitter le local qu’il louait pour une bouchée de pain dans le nord-est de Moscou.
L’immeuble où se trouve l’atelier qu’il occupe depuis 10 ans, dans le quartier d’Izmaïlovo, sera détruit pour laisser la place à un gratte-ciel. Ensuite, Sergueï Alexandrov n’a aucune idée d’où il ira.
« On ne m’a pas encore fait de proposition, alors je compte bien rester jusqu’à la fin », dit avec un sourire le peintre en regardant le ballet des camionnettes de déménagement, qui enlèvent les affaires de la poignée de personnes habitant toujours dans ce bâtiment de plusieurs dizaines d’étages.
Comme lui, de nombreux autres -peut-être des centaines-, artistes moscovites risquent de perdre leur lieu de travail à cause de la rénovation de la capitale russe, un gigantesque plan d’urbanisme de 100 milliards de roubles (un milliard d’euros) par an prévoyant la démolition de plus de 4.000 immeubles et le relogement de 350.000 foyers.
Les artistes dans l’incertitude
Si les familles seront relogées, les artistes sont quant à eux dans l’incertitude.
Ils bénéficiaient jusque-là d’un programme remontant à l’époque soviétique, grâce auquel l’Union des artistes de Moscou (UAM) jouit gratuitement de plus de mille ateliers qu’elle met à disposition de ses membres. Seule somme à régler pour leurs occupants : le montant des charges.
Mais ces locaux sont souvent situés dans des « khrouchtchevki », des bâtiments des années 1960 baptisés ainsi dans une allusion au nom du dirigeant soviétique de l’époque, Nikita Khrouchtchev.
Construits à la va vite, emblématiques des banlieues de Moscou et de Russie, beaucoup ont mal vieilli et la plupart doivent être démolis dans la capitale.
Aucune solution de remplacement n’a été offerte aux artistes concernés, dénonce le président de l’UAM Victor Gloukhov dans une lettre adressée à l’AFP, assurant qu’ils « n’ont nulle part où aller et (que) l’Union ne dispose pas de fonds suffisants pour les aider ».
Selon Victor Gloukhov, au moins 200 d’entre eux risquent de « tout perdre ». Plusieurs artistes ont toutefois assuré à l’AFP que ce nombre pourrait approcher le millier.
Volubile, Sergueï Alexandrov reconnaît sans peine ne pas être le plus à plaindre. A 65 ans, il a connu tous les honneurs. Une de ses toiles, monumentale et patriotique, orne même l’ambassade de Russie à Washington et son carnet de contacts est bien rempli.
« Je me suis adressé à un conseiller de Poutine. Il voulait m’aider (…) Mais, derrière moi, il y a des centaines d’artistes laissés de côté », dit le peintre.
Un des rares moyens de créer ou d’enseigner
Pour beaucoup, bénéficier de ces ateliers est un des rares moyens de créer ou d’enseigner, les aides étant quasi-inexistantes.
A Izmaïlovo, Polina Sourovova fait partie des derniers occupants d’une « khrouchtchevka » dont les artistes ont reçu en août 2020 des avis d’expulsion.
A sa conception, le dernier étage de l’immeuble avait été pensé pour les artistes : 14 ateliers le long d’un unique couloir, leurs occupants disposant d’une cuisine et de douches communes.
Les conditions sont idéales : 50 m2 d’espace en moyenne, de hauts plafonds et d’immenses fenêtres laissant passer la lumière. « Si je devais louer un local, cela coûterait des dizaines, des centaines de fois plus cher », relève cette femme de 28 ans.
« Moscou perd son âme »
Le maire de Moscou Sergueï Sobianine a affirmé dans la presse que « personne ne sera laissé à la rue » mais, selon Victor Gloukhov, toutes les réunions ont été infructueuses. La mairie n’a pas répondu aux questions de l’AFP.
Entamée il y a dix ans, la rénovation de la capitale a bouleversé son aspect. De nouveaux parcs, des rues redonnées aux piétons et des transports publics repensés ont rendu beaucoup plus vivable une ville connue pour sa circulation automobile chaotique.
Mais certains craignent la disparition d’un certain Moscou avec cette modernisation à marche forcée. Si la destruction des « khrouchtchevki » a été plutôt bien perçue par les Moscovites, les grands ensembles qui remplaceront ces petits immeubles entourés d’espaces verts, où existait une vie de quartier, inquiètent.
« Les Moscovites remarquent vraiment que Moscou perd son âme, son essence avec cette approche froide, commerciale que l’administration actuelle met en place », regrette Elena Iantchouk, une députée municipale d’opposition d’Izmaïlovo qui s’est mobilisée pour les artistes de son quartier.
« Si ça continue, l’avenir de Moscou s’annonce très pauvre ».
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