S’il fallait choisir deux caractéristiques qui distinguent véritablement l’économie française des autres pays occidentaux, nous citerions le niveau très élevé de la dépense publique et la présence de l’État au capital de nombreuses entreprises du secteur concurrentiel. Ces deux caractéristiques conjuguées font que la France est loin d’être une économie libérale.
La dépense publique française
Lorsque la dépense publique représente environ 57 % du PIB, soit 13 points de plus que l’Allemagne – notre principal partenaire en Europe – et que ce pourcentage n’a fait qu’augmenter depuis 35 ans au moins, on mesure le degré de socialisation de notre économie. Pourquoi pas après tout si cela est le choix des Français ?
Rappelons-nous cependant que l’ancien président Giscard d’Estaing estimait qu’au-delà du seuil de 40 % on basculait dans la « société socialiste ». C’était il y a bien longtemps. Sans qu’il soit formellement démontré qu’un tel niveau de dépenses publiques soit un handicap pour notre économie, on peut néanmoins penser que cette particularité pèse sur son dynamisme et sa compétitivité dans la mesure où toutes ces dépenses ne sont pas toujours justifiées ou porteuses de croissance comme le souligne régulièrement la Cour des comptes.
Même le président Hollande dans sa conférence de presse lors des vœux pour 2014 dénonçait un État « trop lourd, trop lent, trop cher » et s’engageait sur un plan d’économie de 50 milliards d’euros. Néanmoins, la Cour des comptes doutait dès 2015 de la réalisation de ce plan d’économie. Son président, Didier Migaud, affirmait : « On ne voit pas beaucoup de mesures de baisses de dépenses prises en 2015 et qui vont porter effet en 2016 et en 2017. En revanche nous voyons beaucoup d’augmentations de dépenses qui auront des conséquences les années suivantes. »
Ainsi va la dépense publique en France.
Le poids de l’État
La deuxième caractéristique de notre économie est le poids de l’État sur les décisions des entreprises industrielles et commerciales. Cette pression s’exerce notamment à travers ses participations au capital de nombreuses entreprises du secteur concurrentiel.
Le bras armé de ces interventions est l’Agence des participations de l’État (APE) créée en 2004 et qui est placée sous la tutelle du ministre de l’économie et des finances. Comme on peut le lire sur son site: « L’agence des participations de l’état incarne l’état actionnaire, investisseur en fonds propres dans des entreprises jugées stratégiques par l’État, pour stabiliser leur capital ou les accompagner dans leur développement ou leur transformation. »
De façon encore plus précise, l’article 2 du décret portant la création de l’APE stipule que « l’agence examine, en liaison avec les ministères intéressés, les principaux programmes d’investissement et de financement des entreprises ainsi que les projets d’acquisition ou de cession, d’accord commercial ou de coopération et de recherche et développement. Elle propose au ministre chargé de l’économie la position de l’État actionnaire sur ces sujets et la met en œuvre. »
Des participations « stratégiques » ?
C’est dire le champ très étendu de sa mission dans les entreprises qui bénéficient de son soutien. Les entités relevant du périmètre de l’APE sont nombreuses (on en compte 81 en 2015) et variées. Il est permis de s’interroger, pour certaines, sur leur caractère « stratégique ».
Il faut dire que cette caractéristique est suffisamment élastique pour permettre de qualifier de stratégique toute entreprise tricolore dès lors qu’on fait référence au patriotisme économique. À cela il faut ajouter leurs filiales et les participations dans les entreprises dont l’État détient au moins 1 % du capital. Les entités relevant du périmètre de l’APE comprennent, pour n’en citer que les plus emblématiques : Aéroport de Paris, Casino d’Aix-les-Bains, Charbonnage de France, CNP-Assurances, France Télévisions, GDF-Suez, La Française des jeux, La Poste, Orange, Renault, Safran, SNCF, SNPE, Thales.
Comme le reconnaît l’APE sur son site, « le portefeuille détenu directement ou non par l’État est aujourd’hui à la fois étendu et très divers, tant au regard des secteurs d’activité concernés que du poids de l’État au sein des entreprises ou des formes juridiques existantes. »
On peut se demander si ce portefeuille relève d’une véritable stratégie d’investisseur ou du hasard de l’histoire. Entre les motifs idéologiques liés aux nationalisations du passé et la volonté de sauver des entreprises au bord du dépôt de bilan, l’État semble naviguer à vue et à court terme contrairement à ce qu’il affirme.
Mais l’APE n’est pas le seul outil à la disposition de l’état actionnaire. Il peut intervenir indirectement via Bpifrance dont il est actionnaire à 50 % avec la Caisse des Dépôts et consignations. Bpifrance privilégie des prises de participations minoritaires dans des PME et des entreprises de taille intermédiaires (ETI) avec une perspective de sortie au terme d’une étape de leur développement.
Le portefeuille de l’État actionnaire
Ainsi, notre État est loin d’être démuni pour intervenir dans la gestion des entreprises et sa position d’influence est unique dans les pays occidentaux. Mais que fait-il de ce pouvoir ? À travers l’APE il participe à la nomination de 765 administrateurs de sociétés qui réalisent un chiffre d’affaires total consolidé de 147 milliards d’euros. C’est dire si son périmètre d’interventions est très large.
Le montant de ses participations en 2015 s’élevait à 90 milliards d’euros. Ces participations lui ont rapporté 3,9 milliards de dividendes en 2015 contre 4,1 milliards en 2014. Pour 2016, la prévision inscrite au budget est de 1,9 milliard d’euros (hors titres EDF). À cette baisse de revenus pour l’APE il faut ajouter la chute du rendement actionnarial du portefeuille qui est devenu négatif (-9,95 %) du fait de l’effondrement des valeurs dites « utilities ».
Si on sort ces participations, il ressort à + 28,9 %. À noter que ce rendement prend en compte les opérations de cessions (Engie, Safran, Adit, Aéroport de Toulouse). L’exercice 2015 a aussi été marqué par un résultat net négatif des participations de l’État de 10,1 milliards d’euros. Ces pertes sont dues à des éléments « non récurrents » comme les dépréciations d’actifs de la SNCF et d’EDF, la chute du prix du pétrole et du gaz pour Engie (ex GDF Suez), le coût du projet de stockage de déchets radioactifs Cigéo, etc. Avec de tels chiffres, il ne faut pas s’étonner que la performance du portefeuille de l’État soit inférieure à celle du marché.
Les interventions de l’État investisseur
Ceci étant, comparer la performance boursière du portefeuille des participations de l’APE à celle que peut faire le marché à travers la performance du CAC 40 n’est pas forcément pertinente dans la mesure où l’APE a aussi pour mission « d’intervenir dans des opérations de sauvetage d’entreprises dont la défaillance présenterait des conséquences systémiques », bref de sauver des canards boiteux. Mais par ailleurs – et on n’est pas à une contradiction près – l’APE doit « veiller à la juste rémunération des fonds propres et dans la composition du portefeuille à l’optimisation du rendement stratégique de l’euro public investi. » Difficile dans ces conditions de faire des arbitrages cohérents. Seule la volonté du prince doit permettre de résoudre ces conflits d’objectifs.
La justification principale de la présence de l’État actionnaire au capital des entreprises est, selon les lignes directrices de son action « sa capacité d’intervention ou d’anticipation qui lui sont propres » et que son intervention « s’inscrit dans la durée, en faveur notamment de projets qui peuvent avoir un retour différé. »
Bref, l’État serait un investisseur avisé, visionnaire et porteur d’un engagement à long terme, tout le contraire de ce que sont supposés être les actionnaires privés. On se demande pourquoi les autres pays n’y ont pas pensé et pourquoi ces derniers jouissent bien souvent d’une meilleure compétitivité ? Par ailleurs, nombreuses sont nos grandes entreprises cotées avec un actionnariat totalement privé qui se portent bien et ont une vision à long terme. À l’opposé les derniers développements de l’action de l’État ne témoignent pas forcément en faveur de sa présence.
À titre d’illustration des interventions plus ou moins heureuses de l’État citons le cas de Renault avec l’intervention sur la rémunération de son PDG, le cas d’EDF ou encore le cas d’Alstom.
Pour un désengagement
La multiplicité et la variété des interventions de l’État font que la lisibilité de son action pose un problème. L’État, en voulant poursuivre plusieurs objectifs, parfois antagonistes, semble agir plutôt comme un pompier dans l’urgence que comme un stratège à long terme (cf. le cas Alstom). Balloté entre les pressions politiques et syndicales, le gouvernement ne sait pas toujours où il veut en venir, sauf à gagner du temps d’ici la prochaine élection. Ajoutons à cela les choix politiques qui peuvent varier dans le temps suite aux élections et qui ne favorisent pas une vision à long terme de la part de l’État.
Alors faut-il en finir avec l’État actionnaire comme le suggère le professeur Jean-Marc Daniel ? Vraisemblablement oui. Dans son programme de candidat à la présidentielle, François Fillon a promis de reprendre les privatisations. Cette proposition ne doit pas nous faire peur. Après tout, le gouvernement Jospin n’a pas hésité à privatiser davantage que ses prédécesseurs. Il faut effectivement reprendre ce programme qui a été abandonné pendant le quinquennat de François Hollande.
Un tel désengagement de l’État dans des entreprises qui relèvent du secteur concurrentiel dégagera des marges de manœuvre non négligeables et permettra à l’État de se concentrer sur ses missions fondamentales. Ceci étant, et comme savent très bien le faire les États-Unis, il ne faut pas exclure la possibilité pour l’État d’intervenir ponctuellement et de façon limitée dans le temps pour sauver telle ou telle entreprise qui serait en difficulté. On pense à cet égard à l’action réussie du gouvernement américain pour sauver les constructeurs automobiles gravement touchées après la crise des crédits subprime en 2008.
Au-delà de la remise en cause du rôle de l’État actionnaire, il conviendra de renforcer l’actionnariat individuel en favorisant l’investissement en fonds propres et la création de fonds de retraite par capitalisation en complément des retraites par répartition. À cet égard, la fiscalité sur le capital qui est trop lourdement taxée en France (ISF + alignement des impôts sur les revenus du capital sur ceux du travail) devra aussi être revue. Aujourd’hui, plus de 50 % du capital de nos fleurons du CAC 40 est détenu par des investisseurs étrangers. C’est aussi, malheureusement, une autre spécificité de notre économie.
Au lieu de faire de beaux discours sur le patriotisme économique il conviendrait d’agir pour que les Français reprennent effectivement le pouvoir dans le capital de leurs entreprises.
Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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