La reproduction sexuée est un processus biologique fondamental dans l’évolution du vivant. Dans le milieu terrestre, la pollinisation est un parfait exemple de co-évolution développée entre les plantes et les animaux au cours du temps, permettant d’augmenter l’efficacité de la reproduction chez les plantes, tandis que les animaux bénéficient d’une source de nourriture.
Ainsi, les pollinisateurs, en aidant plus de 90 % des espèces de plantes à fleurs à se reproduire, occupent une place essentielle dans nos écosystèmes. Si beaucoup de scientifiques se sont intéressés à la vulnérabilité de ses interactions face aux changements globaux et à ses répercussions sur le maintien des écosystèmes, personne, ou presque, ne s’est intéressé à la place de ces relations animaux-végétaux dans le milieu marin.
Pourtant le milieu marin est soumis à une pression anthropique croissante, et est lui aussi victime d’une dynamique d’effondrement de la biodiversité, qu’il est difficile d’enrayer sans connaître la complexité des relations entre les organismes qui constituent cet écosystème.
Notre équipe s’est intéressée aux relations animaux-végétaux dans le cadre de la reproduction des algues, et nous avons montré dans une étude récemment publiée dans Science que des animaux facilitaient la rencontre des gamètes chez les algues.
La reproduction sexuée en mer
Dans le milieu marin, de nombreuses espèces animales et végétales relâchent leurs cellules reproductrices mâles et femelles (les gamètes) directement dans l’eau de mer. Ils sont, pour la plupart, guidés par des phéromones sexuelles et pourvus de flagelle, un filament leur permettant de nager la distance finale jusqu’à leur partenaire. Mais, pour parcourir la majeure partie de la distance, les gamètes sont dépendants des mouvements d’eau, longtemps considérés comme le principal vecteur entrant en jeu dans leur rencontre.
Ce dogme a récemment été levé en 2016 chez la plante à fleurs Thalassia testudinum, qui constitue le premier cas connu de pollinisation en milieu marin. Nous avons cherché à savoir si les animaux jouent aussi un rôle dans la reproduction d’une autre espèce végétale emblématique de la mer : les algues ?
Des gamètes mâles sans flagelle
Cette question est particulièrement pertinente pour l’algue rouge Gracilaria gracilis dont les mâles libèrent dans l’eau de mer des gamètes dépourvus de flagelle, appelés « spermaties » tandis que les femelles gardent leurs gamètes qui ne sont pas relâchés dans l’environnement.
De même que le grain de pollen, la spermatie est totalement incapable de se déplacer seule et est dépendante des courants marins pour atteindre la femelle, sur laquelle se déroule la fécondation, comme chez les plantes. Comparé aux gamètes flagellés des algues brunes ou vertes par exemple, qui peuvent se déplacer d’eux-mêmes, nous pouvons penser que la probabilité qu’ont les spermaties d’atteindre la femelle est faible. Pourtant, la reproduction chez G. gracilis n’est pas rare comme on a pu le montrer dans des études précédentes sur une population suivies depuis plus de 20 ans, située au Cap Gris-Nez dans le Nord de la France, ce qui en fait un modèle de choix.
Une étude montre même que la majorité des fécondations dans cette population se fait à marée basse lorsque les individus sont immergés dans les flaques avec très peu de mouvements d’eau.
Sur le terrain, l’invertébré marin Idotea balthica – qui appartient au même ordre que les cloportes (Isopoda) – est souvent associé à l’algue rouge G. gracilis.
Cet animal, couramment appelé « idotée », se nourrit des « épiphytes » de G. gracilis, c’est-à-dire des petites algues parasites qui poussent sur l’algue rouge. Chez les plantes, c’est l’activité alimentaire des animaux – lorsqu’ils se nourrissent du pollen – qui seraient l’origine involontaire du processus de pollinisation. Notre équipe a donc exploré si l’idotée pouvait participer à la dispersion des spermaties lors de son activité alimentaire, comme l’abeille transporte le pollen.
Les invertébrés facilitent la fécondation chez l’algue rouge Gracilaria gracilis
Nous avons mis en place des expériences en laboratoire afin de démontrer que les idotées favorisent la dispersion et la rencontre des gamètes chez G. gracilis.
Nous avons placé des algues mâles et femelles dans des aquariums, soit en présence, soit en absence d’idotées. Lorsqu’une fécondation a lieu, une structure visible à l’œil nu, le « cystocarpe », se forme sur l’algue femelle. Ainsi à l’issue de l’expérience, le nombre de fécondations a pu être estimé en comptant les cystocarpes formés sur les algues femelles. Et le résultat est net : il y a vingt fois plus de fécondation lorsque les idotées sont présentes.
Mais à ce stade de l’expérience, rien ne permettait d’affirmer que l’idotée agissait comme un pollinisateur en transportant les gamètes mâles jusqu’aux femelles. En effet, les idotées pourraient participer simplement à la dispersion des spermaties par les mouvements d’eau créés lorsqu’elles nagent dans l’aquarium.
Dans une deuxième expérience, des algues femelles seules (sans algues mâles) ont été placées dans un aquarium en présence d’idotées préalablement « incubées » avec des algues mâles. Là encore, de multiples fécondations ont été observées, permettant d’affirmer que ces fécondations n’avaient pu être réalisées qu’avec des spermaties transportées par les idotées. Ces résultats ont été confirmés grâce à des images en microscopie montrant les spermaties accrochées sur le corps et les pattes de l’idotée.
Des implications écologiques et évolutives
Cette étude démontre pour la première fois le rôle d’un animal dans la fécondation chez les algues rouges, et cette relation pourrait être bien plus forte qu’on ne le pense, puisque les deux partis tirent des bénéfices réciproques de leur association.
Les idotées bénéficient d’une source de nourriture en broutant les épiphytes en surface de l’algue. Ils pourraient également s’en servir d’abris contre les prédateurs grâce à leur pigmentation leur permettant de se dissimuler parfaitement dans l’algue. D’un autre côté, l’élimination des épiphytes par les isopodes permet une meilleure croissance de l’algue et notre présente étude montre que les idotées augmentent le succès reproducteur des algues.
Ce résultat montre que les associations entre végétaux et animaux sont bien plus complexes qu’on ne le pense dans le milieu marin, et questionne sur la spécificité de cette relation : d’autres algues rouges pourraient-elles bénéficier de ce système de dispersion des gamètes ? D’autres invertébrés y participent-ils ? Il est important de répondre à ces questions et de découvrir la place que ces associations occupent dans le fonctionnement des écosystèmes marins, surtout dans un contexte où l’anthropisation et les changements globaux qui en découlent menacent la dynamique de ces écosystèmes.
Ces résultats questionnent également sur l’histoire évolutive des relations entre les végétaux et les animaux. En effet, la pollinisation animale serait apparue il y a 140 millions d’années, avec les premières plantes à fleurs. Or, nos résultats montrent que des relations similaires existent en milieu marin. Les premières algues rouges se sont différenciées il y a environ 900 millions d’années et les premiers animaux pluricellulaires il y a environ 650 millions d’années, soit bien avant la différenciation des plantes à fleurs. L’apparition des associations entre plantes et animaux pourrait ainsi être bien plus ancienne que nous le pensons actuellement et avoir eu lieu bien avant la colonisation du milieu terrestre par les plantes.
Bien sûr, il est également possible que le rôle des animaux dans la fécondation des végétaux ait évolué plus récemment en parallèle dans les milieux terrestre et marin. Un des moyens d’aborder cette question est d’étudier la fréquence de la pollinisation par les animaux dans les différentes espèces d’algues rouges. Si elle est largement répandue, cela suggère que le rôle des animaux est probablement très ancien.
Emma Lavaut, Doctorante dans l’unité internationale « Evolutionary Biology and Ecology of Algae (EBEA) » de la Station biologique de Roscoff, Sorbonne Université et Antoine Faure, Doctorant en sciences de l’eau, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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