L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 garantit le droit d’accès aux soins pour tous. Il précise en effet que :
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux […] »
Or, alors même que la population française vieillit, ce droit d’accès aux soins est de plus en plus difficile à garantir, dans un contexte de crise de l’hôpital et d’insuffisance des effectifs en médecine de ville.
Médias et personnalités politiques se font d’ores et déjà l’écho des problèmes que rencontrent certains citoyens pour se soigner. Dans une telle situation, il arrive que des individus renoncent aux soins. En quoi consistent précisément ces renoncements aux soins ? Qui concernent-ils ? Des travaux de recherche permettent d’éclairer ces questions.
Ne pas confondre « renoncer aux soins » et « ne pas consentir aux soins »
Soulignons tout d’abord que le renoncement au sens où nous l’évoquons ici ne concerne pas les situations où l’on refuse de consentir aux soins préconisés (pour des raisons, par exemple, de défiance envers le monde médical).
La première idée qui vient à l’esprit quand on pense « renoncement aux soins » concerne l’impossibilité de consulter un médecin lorsqu’un besoin de soins se fait ressentir. C’est ainsi que ce concept est envisagé par l’Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé (IRDES), depuis son introduction dans les années 1990. On considère dans ce contexte qu’il y a renoncement aux soins dès lors qu’une personne estime qu’elle aurait besoin de soins, mais qu’elle ne peut pas se les procurer en raison des circonstances.
Cette impossibilité de consulter un médecin n’est pas toujours due à un manque d’offre de soins. Ainsi, une personne en situation de précarité qui n’a pas les moyens de payer une complémentaire santé (et anticipe donc qu’une consultation ne lui sera remboursée que partiellement) peut estimer n’avoir pas les moyens de dépenser de l’argent chez un médecin et s’abstenir de consulter, alors même qu’elle se sent en mauvaise santé. Elle renonce donc aux soins. Des personnes très occupées par leur vie professionnelle ou familiale peuvent aussi renoncer aux soins par manque de temps, notamment dans le cas où les spécialistes les plus proches de leur domicile sont trop éloignés.
Dans de telles situations, le renoncement aux soins est plutôt de l’ordre de la frustration, du regret. Renoncer, c’est en quelque sorte ne pas pouvoir suivre l’adage « quand on veut, on peut ».
Les limites des enquêtes déclaratives
Il faut avoir conscience que le fait de « renoncer aux soins » peut ne pas avoir la même signification selon les personnes considérées. L’analyse du phénomène de renoncement aux soins repose en effet sur des enquêtes déclaratives : ce sont les individus interrogés qui affirment avoir – ou non – renoncé à se soigner. Il existe donc une part de subjectivité qui doit inciter à la prudence lorsque l’on analyse ce phénomène.
Cette situation induit également des difficultés à comparer les enquêtes entre elles, tant les réponses aux questions sur le renoncement aux soins sont sensibles à la formulation de ces dernières.
Selon les échantillons, la prévalence du renoncement aux soins dans la population adulte en France peut être évaluée à 3 % comme à plus de 20 %.
Pourquoi renonce-t-on aux soins ?
De multiples facteurs peuvent empêcher les individus de recourir aux soins : situation personnelle compliquée, statut socio-économique, raisons culturelles… Mais le renoncement aux soins ne dépend pas uniquement de telles contraintes.
Celles-ci indiquent surtout pourquoi des individus ne peuvent pas recourir aux soins. Mais comme mentionné précédemment, c’est la question d’un « souhait » ne pouvant être réalisé qui est au cœur de cette notion. Comprendre le renoncement suppose donc à la fois de savoir pourquoi les individus envisagent, dans un premier temps, de recourir aux soins, et pourquoi, finalement, ils ne le peuvent pas.
Vouloir accéder réellement aux soins suppose avant tout d’identifier un problème ou un enjeu de santé et, dans un second temps, d’estimer qu’il faut y répondre par un contact avec le monde médical. Il faut pour cela faire attention à sa santé, savoir un minimum vers qui se tourner et faire suffisamment confiance aux professionnels de santé et au système de soins.
On peut ne pas vouloir recourir aux soins parce qu’on ne perçoit pas de problème ou d’enjeu de santé, soit parce qu’il n’y en a pas, soit parce qu’on ne le comprend pas, soit parce qu’on n’y accorde pas d’importance. Dans des cas extrêmes, il peut aussi exister une défiance intégrale envers le monde médical (le refus par certains de la vaccination contre le Covid-19 a été une illustration saillante de cette situation).
Franchir les barrières pour accéder aux soins
Accéder aux soins implique ensuite d’être capable de franchir différentes barrières. La première, la plus connue sans doute, est la barrière financière. Face aux soins, selon sa couverture maladie, un individu peut devoir personnellement supporter des frais. C’est ce qu’on appelle le « reste à charge des patients ». Plus on est pauvre, plus il est évidemment difficile d’y faire face.
En France, cette barrière correspond surtout à l’absence de couverture complémentaire. Avoir une couverture complémentaire protège largement contre le renoncement aux soins. Il a d’ailleurs été montré que la Couverture maladie universelle-complémentaire (CMU-C) pouvait permettre de moins renoncer aux soins qu’en disposant d’une complémentaire classique.
Une deuxième barrière, également bien connue, est géographique. Recourir aux soins suppose d’accéder physiquement à un professionnel de santé disponible. Il faut donc que les soins ne soient pas trop éloignés des patients potentiels. Il faut également que le nombre de médecins présents sur un territoire soit suffisant pour faire face aux besoins de la population.
À ce sujet, soulignons que les « déserts médicaux » ne se situent pas uniquement dans les campagnes reculées : si, dans un quartier peuplé d’une grande ville, le cabinet médical de proximité ne comporte qu’un seul médecin, la situation n’est pas différente de celle d’une zone rurale peu peuplée, mais dépourvue de médecin. Pour appréhender cela, l’indicateur d’Accessibilité potentielle localisée a été développé par la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) et l’IRDES. L’objectif est de parvenir à mesurer les tensions existant entre l’offre et la demande de soins sur les territoires de France.
Les communes ayant un faible accès sont plutôt les communes rurales situées en dehors de l’influence des grands pôles urbains. En 2013, déjà, plus de 20 % des personnes vivant en zones rurales ou hors de l’influence des pôles urbains habitaient dans des lieux où l’accès aux médecins généralistes était très faible. Ces « déserts médicaux » où manquent les généralistes ont tendance à concerner des communes du centre de la France, ou celles situées autour de la région parisienne et dans les outremers. Dix ans plus tard, la situation ne s’est vraisemblablement pas améliorée.
Au-delà de ces deux barrières évidentes, d’autres, moins connues, existent. Il arrive par exemple que certains professionnels de santé se montrent discriminants envers certains patients, pour diverses raisons (genre, origine ethnique, statut social…). Que cela se produise de façon volontaire ou non, cette barrière discriminatoire influe parfois sur l’accès aux soins.
Enfin, une autre barrière, organisationnelle, celle-là, peut se dresser sur la route de l’accès aux soins. Elle correspond au fait que les ressources matérielles ou humaines d’une unité de soins ne répondent pas aux besoins des patients. C’est par exemple le cas lorsqu’un service a mis en place un système de prise de rendez-vous exclusivement par Internet, excluant par là même de nombreuses personnes âgées. L’absence d’un professionnel maîtrisant la langue des signes est également une barrière pour certaines personnes porteuses de handicaps auditifs.
Les exemples pourraient être multipliés, mais il s’agit simplement de comprendre que, lorsque le système de soins ne s’adapte pas aux besoins spécifiques de certains patients, alors ces derniers peuvent en venir à renoncer.
Mieux cibler les populations qui risquent de renoncer aux soins
Il est difficile d’évaluer véritablement l’ampleur du phénomène de renoncement aux soins en France. En effet, comme évoqué précédemment, puisque le renoncement est subjectif, les réponses varient beaucoup en fonction de la façon dont sont interrogés les individus.
Généralement, les enquêtes introduisent des questions sur le renoncement aux soins sans en préciser les raisons, ou bien en les focalisant spécifiquement sur les raisons financières. On observe généralement des questions du type « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous renoncé à des soins pour des raisons financières ? Si oui, à quels soins ? » De ce fait, les données sur les autres formes de renoncement sont malheureusement très parcellaires, voire inexistantes.
Bien que les mesures diffèrent, on trouve cependant généralement des similarités entre les profils des individus qui renoncent aux soins. Ces travaux ont aussi permis d’identifier les caractéristiques qui augmentent le risque de renoncer et celles qui, au contraire, protègent.
On sait par exemple que les femmes renoncent davantage aux soins que les hommes. Cela pourrait être dû aux différences de rapports à la santé et aux soins entre les hommes et les femmes, qui poussent ces dernières à avoir davantage conscience de leurs besoins de soins : contrairement aux hommes, moins à l’écoute de leur santé, elles s’apercevraient davantage qu’elles ne peuvent accéder aux soins nécessaires.
On sait également que c’est durant les âges de la vie active que l’on renonce le plus, potentiellement par manque de temps à consacrer à sa santé. Le fait de fumer est également associé à davantage de renoncement.
De même, plus on est en mauvaise santé physique et mentale et plus on renonce. Il est cependant difficile de déterminer ce qui est de l’ordre de la cause et de la conséquence : renonce-t-on aux soins parce que l’on est en mauvaise santé, ou est-on en mauvaise santé parce que l’on renonce ?
Pour ce qui est du renoncement aux soins pour raisons financières, la littérature scientifique soulève logiquement le rôle des revenus (plus on est riche, moins on renonce) et de la précarité. Également, le fait de disposer d’une couverture maladie complémentaire diminue le risque de renoncer, a fortiori si cette couverture est de bonne qualité.
En définitive, ces travaux permettent donc d’identifier quelles populations doivent être particulièrement ciblées dans la lutte contre le renoncement. Pour être efficaces, les politiques visant à assurer un accès aux soins adéquat pour tous doivent mobiliser des outils adaptés à ces groupes. Cela implique de parvenir à une appréhension globale des déterminants du renoncement et de la façon dont ils agissent sur les décisions prises par les membres des différents groupes sociaux.
Iñaki Blanco-Cazeaux, Doctorant en santé publique, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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