Accéder aux soins d’un kiné, d’une orthophoniste ou d’une infirmière, en étant remboursé mais sans passer par la visite au médecin traitant : la France est loin d’y être encore, mais vient d’accomplir un premier pas dans cette direction.
Députés et sénateurs se sont mis d’accord la semaine dernière sur une proposition de loi de la députée Renaissance Stéphanie Rist qui avait pour but d’ouvrir l’accès direct aux kinés et orthophonistes, ou aux infirmières en pratique avancée (dites « IPA », intervenant notamment sur certaines maladies chroniques). Avec pour objectif de désembouteiller un peu les cabinets des médecins généralistes alors qu’il est de plus en plus difficile pour bon nombre de Français d’y avoir accès.
L’accord a été trouvé difficilement, lors de la commission mixte paritaire (CMP) jeudi, et « après d’âpres et longues discussions », a reconnu Stéphanie Rist. Sous la pression des médecins, les sénateurs ont insisté jusqu’au bout pour limiter au maximum cet accès direct aux kinés et infirmières en pratique avancée. Finalement, il sera réservé uniquement à ceux qui exercent en association avec des médecins, dans des structures comme les MSP (Maisons de santé pluriprofessionnelles).
« Nous avons cédé devant le lobbying médical »
Exit l’accès direct pour les professionnels qui travaillent seuls, mais sont inscrits dans une Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), comme le voulaient le gouvernement et les députés. Les CPTS sont environ 400 en France aujourd’hui et couvrent environ la moitié de la population -plusieurs centaines d’autres sont en projet. « Une fois de plus, nous avons cédé devant le lobbying médical, principalement sénatorial (…) faisant fi des difficultés d’accès aux soins de nos concitoyens », a réagi Emmanuel Hardy, président de l’Union national des infirmiers de pratique avancée.
Le texte « n’aura qu’un effet cosmétique », estime de son côté Sébastien Guérard, le président de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR). « Seuls 3% » des kinés exercent en MSP, a regretté M. Guérard, soulignant que médecins ou services d’urgence devront continuer à prendre en charge des accidents bénins « entorses par exemple », qu’un de ses collègues pourrait parfaitement prendre en charge.
Pour les orthophonistes « une ouverture » limitée
Pour les orthophonistes, les sénateurs se sont montrés un peu moins inflexibles. S’ils sont membres d’une CPTS, ils pourront accueillir des patients non envoyés par un médecin. Mais encore faut-il que cette communauté territoriale autorise explicitement l’accès direct dans son « projet de santé ». « Cela revient à le laisser au bon vouloir des professionnels de santé locaux », regrette Sarah Degiovani, présidente de la fédération nationale des orthophonistes. « Nous avons obtenu une ouverture, mais il va falloir encore transformer l’essai ».
Le compromis députés-sénateurs est plus ouvert à un rôle accru dans les soins des pharmaciens. Les pharmaciens pourront ainsi renouveler d’eux-mêmes, pour trois mois, une ordonnance pour une affection chronique. « On va devoir faire un travail conventionnel pour organiser tout cela, mais j’espère que cela sera fait pour la fin de l’année », se félicite Philippe Besset, le président de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
« Une digue a sauté en terme de partage de compétences »
Les tests rapides pour certaines affections « comme ceux de l’angine bactérienne ou de la cystite », vont pouvoir se généraliser. Et les préparateurs en pharmacie vont désormais pouvoir vacciner, comme les pharmaciens eux-mêmes. Au total, « une digue a sauté en terme de partage de compétences entre le médecin » et les autres soignants, estime Maria Roubtsova, de l’UFC Que Choisir. « Mais il ne faut pas trop se faire d’illusion sur l’impact immédiat pour les patients », ajoute-t-elle.
« On a fait un petit pas alors qu’on aurait pu faire un grand saut en avant », résume de son côté Gérard Raymond, le président de France Assos Santés, qui fédère des associations de patients. « Ce sont des transformations profondes » des métiers des uns et des autres, « qu’il faut amener petit à petit », reconnait-il toutefois.
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