La pandémie de Covid-19 a eu un impact négatif sur les femmes, leur santé et leurs droits. Les Nations unies évoquent à ce sujet une pandémie cachée au sein d’une autre pandémie.
Elle a entraîné une forte augmentation des violences envers les femmes et a accentué les difficultés d’accès aux consultations médicales, hôpitaux et pharmacies (par exemple pour recourir à la contraception ou à une interruption volontaire de grossesse). Elle a par ailleurs obligé à réorganiser, dans la précipitation et sans instruction institutionnelle et gouvernementale, les soins dans les services hospitaliers, y compris dans les maternités.
En matière de santé maternelle, des pratiques médicales qualifiées d’abusives, car ne reposant sur aucune preuve scientifique, ont été rapidement documentées dans différentes régions du monde : césariennes systématiques chez des patientes positives au Covid-19 ; recours aux forceps, aux spatules ou à la ventouse pour éviter que les femmes ne poussent lors des efforts expulsifs ; ou encore séparation entre des femmes testées positives et leur nouveau-né juste après la naissance et ce, pendant plusieurs jours.
En France, dès le début de la pandémie, deux pratiques ont attiré l’attention sur les réseaux sociaux et dans les médias : l’imposition dans certains établissements du port de masques pendant l’accouchement ; et le refus aux femmes, dans certaines maternités, d’être accompagnées de la personne de leur choix.
Les restrictions imposées dans les maternités
Face à ces nouvelles contraintes, le collectif Tou·te·s contre les violences obstétricales et gynécologiques a mené une enquête en mai 2020 auprès de femmes enceintes ou ayant accouché. Celle-ci a montré que 25,8 % des femmes interrogées avaient envisagé d’accoucher chez elles par appréhension des nouvelles mesures imposées dans les maternités. En effet, lors du premier confinement, une restriction des visites a été imposée dans les maternités françaises et seul·e·s les accompagnant·e·s en salle de naissance étaient autorisé·e·s.
Une enquête scientifique coordonnée par la professeure en maïeutique Anne Rousseau (UVSQ) dans des maternités publiques et privées françaises, a montré que durant cette période, les visites n’étaient pas autorisées dans 51,9 % des services d’urgences obstétricales, 39,3 % des services postnatals, 37,4 % des services d’hospitalisation prénatale, 10,4 % des services de néonatologie et 3,4 % des salles d’accouchement.
Le port du masque a été largement recommandé aux femmes enceintes pendant leur travail d’accouchement, ainsi que lors des efforts expulsifs, respectivement dans 70,5 % et 31,0 % des maternités interrogées.
Des conditions d’accouchement difficiles
La France a également participé à une vaste enquête européenne sur les conditions d’accouchement durant la pandémie. Les femmes qui ont accouché en France entre mars 2020 et mars 2021 ont rapporté des conditions d’accouchement difficiles : 62,5 % des femmes ayant accouché par voie basse instrumentale ont déclaré qu’aucun consentement ne leur avait été demandé ; 51 % des femmes ayant été en travail ont expliqué que leur accompagnant·e n’a pas été autorisé ; 23 % ont déclaré ne pas avoir été traitées avec dignité et 18,5 % ont déclaré des abus physiques, verbaux ou émotionnels.
Notre recherche « Accoucher en temps de pandémie : faiblesses et résiliences des maternités en France (Mater-Covid19) » vient compléter ces résultats statistiques. L’objectif était de recueillir l’expérience de femmes ayant accouché dans quatre maternités publiques d’Île-de-France et de La Réunion, dont une maison de naissances, entre mars 2020 et avril 2021.
L’étude montre une très forte appréhension de la part des femmes en fin de grossesse de devoir accoucher « seules » (angoisse encore plus présente que celle de porter le masque pendant l’accouchement). Au final, peu de femmes interrogées ont accouché sans la présence d’un·e proche. L’écart important entre ce que les femmes craignaient et les conditions réelles de leur accouchement a amené la plupart d’entre elles à déclarer que « tout s’était bien passé ».
Un « Koh Lanta de la maternité »
Si le séjour en suites de couche a été souvent comparé à un « cocon », à une « bulle », les femmes ont également décrit une forte solitude émotionnelle et logistique : manque de relai pour se reposer et absence du partage des soins du nouveau-né avec le deuxième parent dont la présence était fortement restreinte, voire parfois interdite lors du séjour en suite de couche.
La majorité des femmes n’avaient pas anticipé que ce moment serait difficile à gérer et à vivre seules. La présence du partenaire était pensée comme essentielle pendant l’accouchement, mais sa présence semblait après coup tout aussi essentielle en suites de couche. Ce séjour à l’hôpital a alors été décrit comme « une descente aux enfers » (Miryam, 32 ans), comme un « Koh Lanta de la maternité » (Adèle, 41 ans).
Ce sentiment de solitude s’est poursuivi lors du retour à la maison. Parmi les femmes métropolitaines vivant à la Réunion mais aussi parmi les femmes immigrées vivant en Métropole, presque toutes avaient prévu que leur famille leur rendrait visite après l’accouchement pour connaître l’enfant, mais aussi pour les aider dans la gestion quotidienne du nouveau-né et du foyer, ce qui n’a pas été possible dans ce contexte.
La pandémie a donc créé un grand sentiment de solitude chez les femmes lors de la grossesse, à l’hôpital et lors du retour à la maison. Cela a été accentué par un sentiment de « maternité volée » : elles racontent avec tristesse ne pas avoir pleinement profité des « joies » de leur grossesse, ne pas avoir pu ensuite être fières de montrer leur nouveau-né, ne pas avoir pu les présenter comme elles le souhaitaient à la famille et aux autres éventuels enfants du foyer. La majorité des femmes interrogées n’a donc pas décrit une expérience positive de l’accouchement, telle que préconisée par l’Organisation mondiale de la santé.
Les difficultés sont apparues comme d’autant plus grandes lorsqu’il s’agissait du premier accouchement, même si des femmes ayant plusieurs enfants ont raconté avoir également été impactées, physiquement et psychologiquement, par les conditions imposées lors de l’accouchement et du séjour à la maternité. Aïcha, notamment, 37 ans et 6 enfants, a comparé son expérience à un « tsunami », à « Hiroshima » qui a provoqué ensuite « une grosse dépression qui n’a pas de nom ».
L’étude Mater-Covid19 révèle également d’importantes différences entre les expériences des femmes ayant accouché à l’hôpital et celles ayant accouché en maison de naissance. Ces dernières ont décrit la structure comme « une bulle sans Covid », qui semblait être préservée des effets négatifs de la pandémie. Malgré des adaptations marginales des locaux, toutes les femmes ont pu y accoucher avec leur conjoint et le retour précoce à domicile (trois heures après l’accouchement) a permis de maintenir les liens avec le père et les éventuels autres enfants.
La pandémie a également touché de plein fouet tous les professionnel·le·s de santé qui accompagnaient ces accouchements. L’étude Mater-Covid19 montre que leurs expériences ont été marquées par une polarisation des sentiments, certain·e·s ressentant une grande « excitation » du fait des nouveaux défis imposés par la pandémie et des solidarités qu’elle a suscité. Cependant, le quotidien de nombreux autres était fortement marqué par la peur : peur d’être contaminés, peur de transmettre le virus, peur de l’inconnu majorée par le flou entourant cette crise sanitaire. Cette dernière a fragilisé le bien-être mental des professionnel·le·s de santé. Elle a aussi été le révélateur d’un malaise plus général dans les maternités. La réémergence des controverses sur les violences obstétricales a renforcé ce malaise souvent silencieux.
Virginie Rozée, Chargée de recherche, Santé et Droits Sexuels et Reproductifs, Institut National d’Études Démographiques (INED) et Clémence Schantz, Sociologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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