Les écoles de management françaises se sont engagées depuis plusieurs années dans la course aux accréditations internationales sur un marché particulièrement concurrentiel. Cette recherche de reconnaissance institutionnelle a pour principale vocation de rassurer les parties prenantes (étudiants, parents, financeurs, etc.), nationales et internationales, sur la qualité de l’enseignement délivré.
Cette qualité est mesurée à travers différents indicateurs tels que la professionnalisation des cursus, leur robustesse académique, leur internationalisation ainsi que leur dimension innovante dans un contexte accru de digitalisation des contenus et des processus pédagogiques.
Coûts et avantages de la quête des labels
Cette quête de la « triple couronne » (AACSB, EQUIS, AMBA) est parfois décriée en raison des lourds investissements qu’elle nécessite : recrutement de chercheurs productifs, internationalisation des programmes de formation, dépenses de communication externe pour se démarquer des concurrents, innovations pédagogiques, etc. D’aucuns soulignent encore le risque de mimétisme stratégique qu’elle induirait.
Pourtant, cette stratégie volontariste de labellisation a aussi permis aux écoles de management de rattraper leur retard en matière de standards académiques internationaux par le développement de nouvelles compétences : capacité à produire des connaissances scientifiques permettant de délivrer des savoirs à la pointe grâce à l’activité de recherche, capacité à s’internationaliser et à être reconnues par des médias internationaux (exemple des classements du Financial Times), capacité à faire preuve de réflexion et de cohérence stratégiques via la définition d’une mission précise qui doit structurer l’ensemble des décisions et des actions, etc.
Cette évolution, à l’origine d’une modification profonde des pratiques, atteste, de notre point de vue, de la capacité d’apprentissage organisationnel incontestable de nos écoles de management françaises. Ainsi, d’un corps professoral restreint coordonnant des diplômes et des vacataires extérieurs, en somme d’un enseignement quasi sous-traité, elles ont investi massivement dans le cœur de métier quitte à perturber grandement leur équation économique : la production de connaissances contemporaines, articulées avec expertise et déployées dans des cursus de formation.
Les écoles de management françaises : inertie ou agilité organisationnelle ?
Peut-on alors raisonnablement parler d’inertie pour des institutions qui sont parvenues, en un temps record, à prendre le cap de l’international et à professionnaliser leurs pratiques de management de l’activité d’enseignement et de recherche ? Est-ce être inerte que d’accroître rapidement ses résultats en matière de publications académiques relativement à d’autres établissements partageant la même vocation mais sans une réelle contrainte de l’obligation de résultats ?
L’inertie est bien souvent le résultat d’insuffisances ou de rigidités managériales… Si inertie il y a, l’imputer aux accréditations internationales nous semble constituer un raccourci particulièrement rapide car la recherche de l’excellence, à travers l’obtention d’accréditations, a favorisé le changement stratégique et organisationnel des établissements.
Nombre de leurs dirigeants en témoignent (voir le dernier dossier de l’Essentiel du Sup-Prépas intitulé « Comment les écoles de management sont accréditées »). Les accréditations internationales entraînent un changement identitaire qu’il faut accompagner en interne.
Par l’obtention et le renouvellement de ces accréditations, les écoles de management françaises ont développé une culture du reporting et du résultat bénéfique à une meilleure optimisation de leurs ressources dans un contexte de réduction des financements publics et de faibles marges de manœuvre en matière de frais de scolarité.
Ce qui en apparence relève du mimétisme stratégique peut aussi s’interpréter comme une source d’agilité organisationnelle et de performance pour des institutions qui, nous l’acquiesçons, sont devenues de véritables entreprises confrontées à la gestion d’injonctions paradoxales : développement international et contribution à la compétitivité du territoire, gestion optimale du temps et de l’activité de l’enseignant-chercheur qui doit faire face aux multiples dimensions d’un métier qui s’est considérablement complexifié et étendu depuis la recherche à l’enseignement, à la valorisation et jusqu’aux activités parapédagogiques, etc.
Elles ont aussi diffusé en leur sein un management de projets intensif et volontariste, à l’origine du développement professionnel et des carrières des membres des facultés et d’articulation des différentes dimensions de la chaîne de valeur académique.
L’arrimage à des normes internationales stimulant l’atteinte de résultats n’exclut pas pour autant la différenciation stratégique, même si cela suppose d’apprendre et d’être capable de gérer des injonctions paradoxales par l’identification de synergies entre les différentes activités du cœur de métier. La construction d’expertises de recherche adaptées aux besoins d’un territoire et irriguant les enseignements constitue une réponse possible parmi d’autres. L’ambition globale peut en être une autre.
Les accréditations internationales : vers un équilibre entre production de connaissances et impact
L’accréditation américaine AACSB est particulièrement attachée à la cohérence stratégique des décisions des business schools. Ces dernières doivent définir de façon précise une mission pour structurer l’ensemble de leurs actions. Elle accorde également beaucoup d’importance au maintien dans le temps de la qualification du professeur permanent ou de l’intervenant extérieur qui peut être fortement impliqué institutionnellement.
Pour le corps professoral permanent, l’activité de recherche, qui doit se matérialiser par des publications scientifiques (mais pas seulement…), est primordiale car elle contribue au maintien d’une expertise par l’accès et le test des toutes dernières connaissances. Elle incite enfin à la dissémination des résultats de recherche en valorisant un grand nombre de contributions intellectuelles (articles scientifiques, études de cas pédagogiques, tribunes de presse, etc.).
De son côté, l’accréditation européenne EQUIS se révèle très exigeante et sélective quant au niveau d’internationalisation de l’activité des business schools. Chaque maillon de la chaîne de valeur est évalué au regard de sa contribution au développement international de l’école : internationalisation des programmes d’enseignement et portefeuille de partenaires étrangers, internationalisation des publications scientifiques, relations entreprises à l’international, internationalisation de la gouvernance qui permet de stimuler la réflexion en terme de business model et de s’affranchir de perceptions parfois « trop locales » car déconnectées des challenges que doivent relever des écoles au leadership international, etc.
Mais toutes deux, elles-mêmes organisations apprenantes face aux discours critiques qui ont émergé pour dénoncer les limites du « tout recherche », ont su faire évoluer leurs critères d’évaluation en intégrant l’exigence de l’impact non seulement sur la communauté académique, mais également sur le praticien et sur l’étudiant.
Cela implique d’encourager la production de contributions intellectuelles variées (articles scientifiques, études de cas pédagogiques, tribunes de presse, etc.) et probablement à l’avenir, d’assurer une vérification encore plus approfondie du transfert des connaissances scientifiques produites par les business schools à leurs salles de classe. Car oui, la recherche est bien transférable en salle de classe et même à distance !
Si leurs études coûtent plus cher qu’hier, c’est pour une recherche qui enrichit la robustesse globale des enseignements suivis par les étudiants, leur soutenabilité dans le temps et leur reconnaissance internationale.
La création du label BSIS, centré sur l’impact de la business school sur son environnement local, procède de la mise en œuvre de ces nouveaux standards. Cette évolution favorise le recentrage de l’audit d’accréditation sur la capacité de l’institution à mettre en place des synergies entre enseignement et recherche ou bien entre recherche académique et recherche contractuelle (contrats de recherche, chaires, missions d’expertise, etc.) menée en collaboration avec des entreprises partenaires.
Au total, tout porte à croire que le développement des accréditations et leur adoption certes massive par la très concurrentielle filière des écoles de management françaises, les a rendues plus apprenantes et très agiles, au service de leur stratégie et maintenant de leur impact.
Les accréditations constituent à cet égard un amplificateur des stratégies, en aucun cas une stratégie en elle-même. Si on les applique comme une stratégie en soi, alors elles sont sources de mimétisme mais comme on dirait des universités qu’elles sont mimétiques quand elles délivrent toutes le diplôme national de master (DNM).
Si en revanche, on les considère comme un levier et au service d’une stratégie et de l’exercice distinctif et cohérent d’une mission, alors elles sont une source continue d’apprentissage de par les compétences seuil et les compétences stratégiques qu’elles permettent d’identifier et de développer durablement.
Pascale Bueno Merino, Directrice de la Recherche, Enseignant-Chercheur en Management Stratégique, Laboratoire Métis, École de Management de Normandie – UGEI; Samuel Grandval, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, Université du Havre et Tamym Abdessemed, Directeur Général Adjoint académique et recherche, ISC Paris Business School
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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