L’esprit humain dispose d’outils étonnants, tels que la raison et la logique. Mais il peut aussi être infesté d’inquiétudes infondées et de scénarios catastrophiques qui s’obstinent à obscurcir le cerveau.
Nous pouvons justifier ce dialogue intérieur négatif en nous disant que nous nous préparons prudemment à l’avenir ou que nous réfléchissons au passé. Pourtant, la grande majorité de ces pensées ne semble jamais trouver les réponses ou la résolution que nous recherchons.
Une fois que nous en avons assez de ce bavardage négatif, il se peut que nous ayons encore du mal à l’arrêter, ses sillons habituels étant profondément ancrés dans les plis de notre esprit. C’est comme si notre esprit avait désormais son propre esprit puisqu’il ne cesse de ressasser nos insécurités, nos inquiétudes et nos plaintes – sans relâche – que nous voulions les entendre ou non.
Les chercheurs définissent ce genre de bavardage avec soi-même comme des « pensées négatives répétitives » (PNR), car il tend à s’attarder sur des sentiments et des événements négatifs. Les PNR se caractérisent par une combinaison de rumination (habitude d’examiner la cause et la signification d’une préoccupation particulière) et d’inquiétude (idée lancinante d’un résultat négatif).
Le stress, les mauvaises nouvelles ou les souvenirs traumatisants peuvent pousser n’importe qui à s’inquiéter et à ruminer, bien que certaines personnes souffrent de cet état d’esprit plus que d’autres. Les PNR ne sont pas un trouble mental en soi, mais on a constaté qu’elles jouaient souvent un rôle dans des problèmes de santé mentale graves, tels que la dépression, l’anxiété, les troubles obsessionnels compulsifs et le syndrome de stress post-traumatique.
Qu’est-ce qui motive cet esprit noir en boucle ? Apporte-t-il un quelconque bénéfice ? De plus, avons-nous le pouvoir de l’arrêter ? Nancy Colier, psychothérapeute et pasteure interconfessionnelle, a quelques idées à proposer à ces questions.
Nancy Colier, auteur du livre « Can’t Stop Thinking: How to Let Go of Anxiety and Free Yourself from Obsessive Rumination », explique que cet état d’esprit peut prendre plusieurs formes. Nous pouvons l’utiliser pour nous effrayer, nous critiquer ou nous dire tout ce qui ne va pas avec chaque personne qui est entrée dans notre vie (même dans des scénarios imaginaires). En général, c’est la pensée qui est à l’origine de la souffrance.
« C’est un peu comme si l’on se promenait avec quelqu’un qui nous dit des choses horribles », a dit Mme Colier. « En vérité, il pense qu’il nous aide d’une manière un peu bizarre. »
L’addiction à la pensée
L’aptitude humaine à la pensée complexe est l’un de nos traits les plus remarquables, et pourtant cette pratique ne produit pas toujours des résultats positifs ou productifs. Notre cerveau peut ruminer certaines idées pendant des jours, des semaines, voire des années, sans autre résultat qu’une insomnie.
Alors pourquoi notre cerveau, qui a un tel potentiel d’excellence, s’obstine-t-il à nous torturer avec des soucis, des arguments et des préoccupations pénibles ?
Selon Mme Colier, il s’agit d’une sorte d’addiction. Son observation provient de son travail de thérapeute pendant près de 30 ans. Elle a parlé à des centaines de personnes, dont certaines décrivent en fait qu’elles sont désespérément dépendantes de leurs pensées négatives, un peu comme un buveur devient accro à l’alcool.
Au cours des dernières années, nous avons vu l’étiquette de dépendance s’étendre au-delà des limites traditionnelles de l’abus de drogues, à des choses comme la nourriture, le sexe ou les jeux vidéo. Pousser la frontière encore plus loin en s’attaquant à quelque chose d’aussi intangible et personnel que les pensées peut à première vue sembler exagéré. Mais comment décrire autrement l’expérience d’être piégé dans un cercle d’habitudes indulgentes et destructrices qui échappe magistralement à tout contrôle ?
Selon Mme Colier, l’une des raisons pour lesquelles les gens ont du mal à considérer les pensées comme une dépendance est que notre culture vénère tellement la pensée. Nous tenons en haute estime notre capacité à raisonner, à analyser et à réfléchir.
Mais il faut envisager la possibilité que certaines pensées puissent être, non pas un chemin vers l’éveil, mais un moyen d’évasion. Nos esprits sont tellement obsédés par la préparation de l’avenir ou le règlement du passé que nous gaspillons notre précieux présent.
« Nous nous préoccupons de ce que nous ferons ou ne ferons pas. Ou bien nous ressassons les mêmes choses encore et encore. C’est parce que nous ne voulons pas vraiment le ressentir », a-t-elle dit. « Il peut sembler que nous essayons de nous en sortir d’une manière saine et productive, mais ce que nous faisons en réalité, c’est éviter le moment présent, tout comme nous consommons de l’alcool, du shopping ou des drogues. »
Pour penser avec modération, il faut d’abord reconnaître les limites de l’esprit. Bien que plusieurs situations exigent de la logique, de la raison et une analyse approfondie, ces outils ne sont pas toujours adaptés à la situation.
Si les pensées peuvent effectivement créer une dépendance, elles diffèrent considérablement des autres dépendances : nous pouvons décider de nous abstenir de consommer des drogues et de l’alcool afin de les arrêter. Cependant, ce serait une erreur d’arrêter de penser d’un coup.
« Dans les questions qui relèvent davantage du cœur ou du corps, lorsque nous essayons de dresser notre liste du pour et du contre, que nous essayons d’y réfléchir encore et encore et qu’il n’y a pas de pierre que nous n’ayons pas retournée, alors ce n’est pas le bon outil », a souligné Mme Colier.
L’objectif est de penser dans un but précis, et pas seulement par habitude, mais il n’est généralement pas facile de se défaire de cette habitude. Dans la société moderne en particulier, elle est devenue notre stratégie prédominante dans la vie. Mme Colier observe que les gens ont cessé de faire confiance à leurs autres modes de connaissance, tels que l’intuition ou les sentiments instinctifs. En conséquence, nous en sommes venus à attendre que tout soit vérifié scientifiquement pour en juger la valeur.
Oon me demande constamment : « Quelles sont les données probantes ? Où sont les IRM que vous avez vues ? Qu’en dit la science ? Comment avez-vous fait pour en arriver là ? »
Mme Colier ajoute : « Nous avons mis tous nos œufs dans le panier et cela exclut tant d’autres façons d’être un être humain. »
L’exercice physique
Certaines personnes se tournent vers l’exercice physique pour donner un peu de répit à leur cerveau bavard incessant et affirment que cela leur permet de changer de vitesse et de se mettre à l’écoute de leur corps. La recherche montre que l’exercice physique est un moyen efficace de lutter contre les conditions associées aux PNR, telles que la dépression et l’anxiété.
Une méta-analyse récemment publiée dans le British Journal of Sports Medicine a révélé que l’exercice physique était 1,5 fois plus efficace pour réduire l’anxiété légère à modérée, le stress et la dépression que les produits pharmaceutiques ou la thérapie cognitivo-comportementale. Il existe même un mème populaire dans la communauté des haltérophiles qui décrit cet effet : « Soulevez une pierre lourde – la voix triste se tait. »
Mme Colier reconnaît que l’exercice physique est excellent pour nous aider à sortir de notre tête pendant un certain temps, mais elle nous met en garde contre le fait que nous pourrions, par inadvertance, laisser notre esprit s’infiltrer dans l’expérience. Les applications ou les Fitbits conçus pour signaler des améliorations de données telles que votre fréquence cardiaque et le nombre de calories que vous brûlez pendant votre séance d’entraînement sont certes instructifs, mais ils ramènent aussi votre attention sur votre esprit.
« Nous sommes donc encore une fois à un pas de l’expérience directe. Nous sommes dans le discours », dit-elle à propos de l’utilisation de la technologie pendant l’exercice. « ‘Qu’est-ce que cela fait pour moi ? Comment cela va-t-il m’aider à rester en bonne santé ?’ Nous parlons du moment présent au lieu de l’habiter. »
Une approche consciente
L’inquiétude et la rumination ont toujours été profondément ancrées dans la lutte humaine. Mais il est particulièrement difficile d’échapper à la roue du hamster mentale négative avec tous les problèmes sans précédent qui affligent notre monde moderne. Pour y faire face, beaucoup d’entre nous se contentent de redoubler d’efforts pour s’orienter, ce qui ne fait que les désorienter davantage.
« Ce que nous essayons vraiment de faire, c’est de contrôler ce qui nous semble incontrôlable », explique Mme Colier. « Mais il se peut que nous ne soyons jamais en mesure de le comprendre, ou que nous le comprenions mais que nous ne ressentions aucune paix intérieure en le comprenant. »
Une autre raison pour laquelle il est difficile de mettre un frein à nos ruminations débridées est que nous les considérons comme quelque chose de précieux et que nous nous y identifions très étroitement. Ce lien incroyablement intime que nous entretenons avec nos propres idées explique pourquoi nous prenons si mal le fait que nos opinions soient remises en question, dépréciées ou attaquées. Nous le prenons très personnellement, parce que nous considérons nos pensées comme un prolongement de nous-mêmes.
« On nous a toujours répété que si vous n’êtes pas d’accord avec mes idées, c’est que je ne suis pas bien ou que je suis dénigré », explique Mme Colier. « Mais nous n’avons pas besoin que tout le monde soit d’accord. Nos pensées ne sont pas universellement vraies. Ce ne sont que des pensées. Et nous les portons plus comme un vêtement ample. »
Mme Colier conseille de prendre de la distance par rapport à vos pensées, en réalisant qu’elles ne sont pas vraiment vous. Le processus est similaire à certaines formes de méditation. Il s’agit d’abord d’être attentif à son processus de pensée et de reconnaître les pensées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des idées et des suggestions que l’on peut choisir d’accepter ou de rejeter lorsqu’elles circulent dans le cerveau. Au lieu de suivre automatiquement chaque idée troublante qui s’insinue dans votre esprit, il est plus facile de prendre de la distance par rapport à vos pensées et de les laisser s’envoler.
Bien entendu, certaines pensées sont plus faciles à abandonner que d’autres. Plus la pensée est complexe et chargée d’émotions, plus l’exercice est difficile. Si, par exemple, une pensée vous rappelle comment quelqu’un vous a blessé ou maltraité, il n’est pas facile d’ignorer sa ténacité.
« Plus la famille est impliquée, plus les pensées sont tenaces. Nous avons donc besoin d’outils dans ces cas-là, pour parler à ces pensées et reconnaître la blessure qu’elles contiennent », a dit Mme Colier.
Pratiquer la compassion de soi
Un outil très important pour aborder les pensées incessantes consiste à développer de la compassion envers soi-même. Cela implique de reconnaître le mal que vous avez ressenti ou le manque de respect et les mauvais traitements que vous avez subis, mais aussi d’avoir le courage de vous dire que le fait de vous flageller sans cesse avec les souvenirs de ces événements ne fera pas disparaître la douleur.
« Il s’agit d’un processus qui consiste tout d’abord à reconnaître que nous sommes piégés dans ce cycle de souffrance. Ensuite, on se demande ce que l’esprit essaie vraiment de guérir, car il s’agit souvent d’une façon erronée d’essayer de se sentir mieux. Puis, en tant que personne plus sage et plus évoluée, nous reconnaissons que ‘Chérie, ce n’est pas la voie à suivre’ », a dit Mme Colier.
Bien sûr, développer ce sens du détachement et de la compassion de soi demande de l’entraînement et du dévouement. En particulier si vous vous blâmez depuis des années, le fait de vous traiter avec gentillesse peut vous sembler contre nature, voire dangereux. Nous craignons de ne plus être productifs si nous ne nous flagellons pas constamment.
« Mais ce que nous constatons, c’est que la compassion libère cette incroyable productivité qui vient d’un endroit différent. Elle n’est pas dictée par l’esclavage », explique Mme Colier. Nous devons commencer à faire de petits pas et nous dire : « Et si je me traitais en ce moment comme si j’étais quelqu’un que j’aimais ? Que faudrait-il faire ? Vous ne diriez probablement pas que vous ne valez rien du tout et que vous ne faites jamais rien de bon. Je ne pense pas que je motiverais quelqu’un de cette manière. Je leur rappellerais probablement toutes les choses positives qu’ils ont faites. »
Nombreux sont ceux qui considèrent leur dialogue intérieur autopunitif comme un moyen de se motiver, mais Mme Colier estime qu’il s’agit d’une stratégie erronée. Selon elle, changer d’intention pour devenir plus amical et plus encourageant avec soi-même peut s’avérer beaucoup plus productif, car cela nous amène à un endroit plus paisible et plus équilibré.
« Cela demande un acte de foi, car nous avons été tellement conditionnés à dire que la seule solution est d’avoir plus d’esprit, plus de pensées et de se dire ce qu’il faut faire. Mais notre paix se trouve dans l’abandon », a-t-elle dit.
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