Afghanistan : ce modèle de société où les femmes ne peuvent plus parler en public

Par Ludovic Genin
3 septembre 2024 07:21 Mis à jour: 3 septembre 2024 11:19

Une loi pour « promouvoir la vertu et prévenir le vice » parmi la population a été promulguée en Afghanistan, en conformité avec la charia islamique, a annoncé récemment le ministère de la Justice taliban.

La loi contenant 35 articles a été publiée au Journal officiel le 31 juillet et édicte des interdits déjà généralement connus dans l’Émirat islamique. Cependant sa promulgation pourrait permettre de renforcer le contrôle plus étroit encore de la population afghane.

Parmi les nouvelles interdictions, les femmes ne peuvent faire entendre leurs voix en public,  les chansons ou la poésie interprétées par une femme devenant interdites.

Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les talibans sont revenus à une interprétation rigoriste de l’islam qui avait marqué leur premier passage à la tête du pays (1996-2001) et ont multiplié les mesures liberticides à l’encontre des femmes.

La liste des nouveaux interdits

Le ministère de la Justice taliban a annoncé le 22 août que la loi avait été préalablement approuvée par le chef suprême des talibans, l’invisible émir Hibatullah Akhundzada qui règne sur l’Afghanistan par décret depuis son fief de Kandahar.

Cette nouvelle législation de 35 articles contrôle potentiellement tous les aspects de la vie des Afghans, sociale et privée, dans une interprétation ultra-rigoriste de la charia – la loi islamique.

Le ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice (PVPV) est chargé d’appliquer cette loi. Le gouvernement taliban a dit vouloir accroître le rôle du PVPV, qui, selon l’ONU, crée un « climat de peur et d’intimidation » parmi les Afghans.

Des interdits sont édictés pour les conducteurs de véhicules : pas de musique, pas de drogue, de transport de femmes non voilées, de femmes en présence d’hommes n’appartenant pas à leur famille, ou de femmes sans mahram (chaperon, un homme de leur famille).

D’autres interdits suivent : l’adultère, l’homosexualité, les jeux d’argent, les combats d’animaux, la création ou le visionnage d’images d’êtres vivants sur un ordinateur ou un téléphone portable, de la musique dans les lieux publics, l’absence de barbe ou une barbe trop courte pour les hommes, des coupes de cheveux « contraires à la charia », des congés autres que ceux du calendrier religieux musulman, etc. « L’amitié » avec « un infidèle » – un non-musulman – est également proscrite et les cinq prières quotidiennes obligatoires.

Concernant les médias, la loi stipule qu’ils ne doivent pas publier « des contenus hostiles à la charia et à la religion », ou qui « humilient les musulmans », ni « qui montrent des êtres vivants ».

« Après des décennies de guerre et au milieu d’une terrible crise humanitaire, le peuple afghan mérite bien mieux que d’être menacé ou emprisonné s’il arrive en retard à la prière, jette un coup d’oeil sur une personne du sexe opposé qui n’est pas un membre de sa famille, ou possède une photo d’un être cher », a déclaré Roza Otunbayeva, responsable de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).

Les femmes subissent le plus gros des restrictions 

La nouvelle loi stipule que « les femmes doivent couvrir leur corps entièrement en présence d’hommes n’appartenant pas à leur famille », de même que leur visage « par peur de la tentation ». Ceci implique le port d’un masque (type Covid) sur la bouche. Idem si « les femmes doivent sortir de chez elles par nécessité ».

Les femmes ne doivent également plus faire entendre leurs voix dans l’espace public, leur interdisant de chanter et de réciter de la poésie.

Pour Roza Otunbayeva, la « loi étend les restrictions déjà intolérables aux droits des femmes et des filles afghanes, le seul son d’une voix féminine à l’extérieur du foyer étant apparemment considéré comme une violation morale ».

De nombreux éléments de la loi sont déjà en vigueur de manière informelle depuis le retour au pouvoir des talibans et les femmes subissent le plus gros des restrictions qui les ont éloignées de la vie publique. Écartées de l’éducation et de la vie publique, elles font l’objet de ce que l’ONU a qualifié « d’apartheid des sexes ».

Ces règles « seront appliquées avec ménagement, en faisant appel à la compréhension des gens, et en les guidant », a assuré le porte-parole adjoint du gouvernement Hamdullah Fitrat. « Je dois préciser clairement que la force et l’oppression ne seront pas utilisées lors de l’application de ces règles », a-t-il déclaré.

L’ONU et l’UE préoccupés par l’application de la nouvelle loi

L’ONU, des organisations de défense des droits de l’homme et des Afghans ont exprimé leur préoccupation concernant la nouvelle loi, dont certaines dispositions sont déjà en vigueur d’une manière informelle depuis que les talibans se sont emparés du pouvoir en août 2021.

L’Union européenne s’est dite « consternée » par ce décret, qui porte « un nouveau coup » aux droits des femmes et des filles en Afghanistan. Il crée « un autre obstacle à la normalisation des relations » entre l’Afghanistan et l’UE, relèvent les 27. La reconnaissance du régime des taliban par les Européens ne pourra se faire que si Kaboul « respecte pleinement (ses) obligations internationales et envers le peuple d’Afghanistan », avertit l’UE.

Le gouvernement taliban reste non reconnu officiellement par la communauté internationale et réclame toujours d’occuper le siège de l’Afghanistan à l’ONU.

Le gouvernement des talibans a toujours rejeté les critiques internationales. Les autorités talibanes d’Afghanistan ont dénoncé le 26 août l’ « arrogance » des Occidentaux qui ont condamné la nouvelle loi destinée à « promouvoir la vertu et prévenir le vice » parmi la population.

L’ONU s’est également déclarée préoccupée par les restrictions imposées aux libertés religieuses et à la liberté de la presse.

Les talibans refusent une mission de l’ONU

Le ministère en charge des moeurs au sein du gouvernement taliban en Afghanistan a annoncé qu’il ne coopérerait pas avec une mission des Nations unies dans le pays suite à la promulgation de la nouvelle loi.

Dans un communiqué publié le 30 août, le PVPV a averti qu’ « en raison de sa propagande, (il) n’apportera plus aucun soutien et ne coopérera plus avec la MANUA, qui sera considérée comme une partie adverse ».

« Nous voulons que les organisations internationales, les pays et les personnes qui ont critiqué la loi respectent les valeurs religieuses des musulmans et s’abstiennent de telles critiques et déclarations qui insultent les valeurs sacrées de l’islam », ajoute le communiqué posté sur les réseaux sociaux.

La Chine seul partenaire de l’Afghanistan

Premier et seul pays à ce jour à avoir nommé un ambassadeur en Afghanistan depuis le retour des talibans, dont le gouvernement n’est reconnu par aucune capitale, la Chine avance ses pions chez son voisin d’Asie centrale.

Rencontres ministérielles, discussions sur l’essor du commerce bilatéral et sur un gigantesque investissement chinois dans le cuivre, ouverture d’une route entre les deux pays, Pékin entretient des relations suivies avec un pays largement considéré comme paria dans le monde.

« Les États-Unis se sont totalement détournés de l’Afghanistan, l’Union européenne reste inflexible sur les atteintes aux droits des femmes afghanes, alors les Chinois se disent ‘c’est notre tour' », explique un ancien diplomate familier de ce pays.

« Fondamentalement, la Chine se moque des droits des femmes, si son intérêt est de se rapprocher du régime taliban, elle ne va pas y mettre des conditions », estime Valérie Niquet, de la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris.

Au plan diplomatique, la Chine a apporté son soutien fin décembre à l’Afghanistan en étant le seul des 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU avec la Russie à s’abstenir lors du vote d’une résolution sur la nomination d’un envoyé spécial, dont les talibans ne veulent pas entendre parler.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.