Au lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie a dénoncé sur BFMTV l’usage des prestations sociales « envoyées de manière illégale à l’étranger », plus spécifiquement au Maghreb. Une déclaration qualifiée de « xénophobe » par plusieurs figures de la gauche. Si le constat est salué à droite, néanmoins, on suspecte d’ores et déjà une démarche purement politicienne de la part du gouvernement qui ne donnera probablement pas lieu à d’actions concrètes. Gabriel Attal a néanmoins l’intention de lancer un projet de loi pour lutter contre la fraude sociale.
Des propos de Bruno Le Maire qui suscitent la colère à gauche et les suspicions à droite. Le ministre de l’Économie a fait connaitre mardi matin sur BFMTV-RMC sa volonté de traquer les bénéficiaires d’aides sociales qui transfèrent cet argent vers des comptes domiciliés à l’étranger, « au Maghreb ou ailleurs ». « Nos compatriotes en ont ras le bol de voir des personnes toucher des aides qu’ils payent eux-mêmes et les renvoyer au Maghreb ou ailleurs alors qu’ils n’y ont pas le droit », a lancé le locataire de Bercy.
Mettant en avant son désir de défendre l’ordre républicain, Bruno Le Maire a souligné que « le modèle social est fait pour protéger les plus modestes, contre les accidents de la vie mais pas pour envoyer de l’argent de manière illégale à l’étranger ». Pour mener cette lutte contre la fraude sociale, le ministre de l’Économie veut solliciter les compagnies aériennes afin de tracer leurs déplacements.
Plus tôt ce mardi, le ministre délégué au Budget Gabriel Attal avait partagé au micro de France Inter le cap gouvernemental sur la lutte contre la fraude. « J’ai entendu des Français me dire « vous nous demandez de travailler un peu plus longtemps pour payer le système de retraites mais si tout le monde travaillait, ça réglerait une partie du problème », d’où la réforme du RSA qui est importante pour inciter et accompagner davantage vers la reprise de l’emploi », a-t-il plaidé.
« Faire diversion »
« Chers compatriotes musulmans ou originaires comme moi du Maghreb, préparez-vous », a écrit sur son compte Twitter Jean-Luc Mélenchon en réaction aux déclarations de Bruno Le Maire. « Pour faire diversion, le gouvernement annonce par la voix de Bruno Le Maire une nouvelle campagne pour vous montrer du doigt », a estimé le fondateur de la France insoumise, appelant au « sang-froid ».
« À part faire le lit de l’extrême droite, à quoi sert ce gouvernement? », s’est demandé de son côté Adrien Quatennens. Le député, récemment réintégré au sein du groupe LFI après sa condamnation pour violence contre son ex-compagne, a poussé le ministre de l’Économie à aller « plutôt aux Fidji, aux Îles Vierges britanniques et américaines, au Panama ou aux Seychelles ! Là où nombre de vos électeurs cachent leur pognon ! »
Boris Vallaud, le patron des députés socialistes a fait, lui, le lien avec l’allocution d’Emmanuel Macron qui a promu « 100 jours d’apaisement » d’ici le 14 juillet avec les chantiers prioritaires de l’école, de l’éducation et de la lutte contre l’immigration illégale. « Jour 1 des 100 jours d’apaisement : flatter les préjugés xénophobes », a taclé l’élu PS.
« Bruno Le Maire ne fera rien contre la fraude mais au moins nous donne raison »
À droite, face aux réactions de la gauche, Eric Zemmour a souligné que Bruno Le Maire « est attaqué pour avoir dit une évidence ». Puis le chef de Reconquête ! de rappeler à son tour, sarcastique : « Quel dommage qu’il ne soit pas ministre de l’Économie, il aurait pu transformer ce constat en action. »
« Il est étonnant de voir le gouvernement, par la voix de Bruno Le Maire, se scandaliser de la fraude sociale, qui coûte, il est vrai, des milliards d’euros chaque année », a interpelé pour sa part Marine Le Pen sur Twitter, avant de rappeler que les macronistes sont au pouvoir depuis six ans : « Qu’ont-ils fait depuis pour rendre cet argent aux Français ? »
« Bruno Le Maire ne fera rien contre la fraude mais au moins nous donne raison ! », a renchéri le député RN Pierre Meurin. En cas de victoire lors de la dernière présidentielle, le Rassemblement national avait annoncé la création d’un grand ministère de lutte contre les fraudes fiscales, sociales et aux importations.
« Dans un pays de 67 millions d’habitants, vous avez 75,3 millions d’assurés sociaux pris en charge »
Invité de La Matinale sur CNews ce mercredi 19 avril, Charles Prats, magistrat spécialiste de la fraude sociale et fiscale, reçu par The Epoch Times le mois dernier dans le cadre d’un entretien, a réagi aux propos de Bruno Le Maire. Notant un « changement de discours » qui montre que « le président de la République et le gouvernement ont pris conscience, ou en tout cas montrent au public qu’ils ont pris conscience, de l’existence et de l’ampleur de la fraude aux prestations sociales », il a tenu à souligner que « si le ministre de l’Économie dit que l’argent part au Maghreb, c’est qu’il a quand même des données qui lui sont transmises par ses services. » « J’ai coutume de dire que ce n’est pas un sujet immigration à 100% — il n’y a pas que des étrangers qui fraudent à la Sécurité sociale, ce n’est pas vrai —, en revanche, c’est en partie un sujet immigration », a fait remarquer par ailleurs l’ancien magistrat de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) : « Vous en avez effectivement qui vont partir à destination du Maghreb, car vous avez une immigration maghrébine importante. Vous en avez qui partent à destination de l’Afrique noire, car vous avez une immigration d’Afrique noire importante. Vous avez aussi beaucoup de frais de santé qui partent parce que ce sont des gens qui sont résidents, par exemple, en Amérique du Nord et qui en bénéficient parce que c’est moins cher de se faire soigner en France qu’aux Etats-Unis. »
La veille sur BFM TV, ce dernier faisait néanmoins part de ses craintes de ne voir mis en œuvre que « des mesurettes » : « On est face à un sujet d’ampleur en matière financière et à un moment donné, il faut arrêter de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages, en l’espèce le contribuable. Quand vous avez la Cour des comptes qui vous explique qu’à fin 2020, dans un pays de 67 millions d’habitants, vous avez 75,3 millions d’assurés sociaux pris en charge, tout le monde comprend qu’il y a un problème. Quand cette même Cour des comptes, dans un rapport de 2022, nous explique sur l’assurance maladie, la PUMA qu’on appelait la CMU avant, que vous avez 2,5 millions de personnes qui en bénéficient alors qu’elle n’y aurait plus droit comme elles ne sont plus sur le territoire, et que, pour l’instant, la CNAM ne bouge pas, il y a un problème ». « Pourquoi la CNAM ne bouge pas ? », lui demande alors Yves Calvi. « C’est une bonne question », lui répond Charles Prats.
Pour lutter contre la fraude, le gouvernement veut un projet de loi inspiré des travaux du Sénat
« Lutter contre toutes les fraudes qu’elles soient sociales ou fiscales sera au cœur de l’action du gouvernement, avec des annonces fortes dès le début du mois de mai ». Ces mots prononcés par Emmanuel Macron lundi soir, lors de son allocution télévisée, ne représentent pas un nouvel engagement mais, en réalité, la réitération d’une promesse passée. En effet, depuis plusieurs mois, un groupe de travail réunissant des parlementaires issus de différents partis politiques a été lancé par Gabriel Attal en vue de construire « un plan complet de lutte contre les fraudes ». Trois réunions se sont tenues : deux sur la fraude fiscale et une sur la fraude sociale.
Le 12 avril dernier, lors des questions d’actualité au gouvernement du Sénat, le ministre des Comptes publics, avait annoncé que ce plan serait présenté « dans les prochaines semaines ». « Pour préparer ce plan, je me suis inspiré de beaucoup de travaux sénatoriaux », expliquait-il.
Jean-François Husson, sénateur LR et membre de ce groupe de travail, a confié à Public Sénat que le plan du gouvernement devrait prendre la forme d’un projet de loi. « J’ai eu Gabriel Attal au téléphone, il y a quinze jours et c’est en tout cas ce qu’il m’a dit ».
La sénatrice, centriste, Nathalie Goulet qui a fait elle aussi partie de ce groupe de travail, a partagé au même média sa satisfaction devant les mots de Gabriel Attal. « Ce ne sera pas le grand soir. Mais on ne peut demander des efforts aux Français comme on l’a fait avec la réforme des retraites quand il y a des gens qui trichent. Il faut un projet de loi », juge cette spécialiste des questions de fraudes.
Quel est le montant de la fraude sociale ?
Il n’existe pas, à ce jour, de consensus sur le montant exact de la fraude sociale en France.
En charge de certifier les comptes de la Sécurité sociale, la Cour des comptes avait rapporté une fraude de 2 à 3 milliards d’euros dans un rapport de 2010, admettant toutefois que ces estimations étaient « encore grossières ».
En 2019, une note de l’Acoss, l’organisme de recouvrement des cotisations sociales, estimait que la fraude à la Sécurité sociale avait représenté entre 7 et 9 milliards d’euros en 2018.
Dans un rapport plus récent, publié en septembre 2020, la Cour admet que « les données disponibles ne permettent pas de parvenir à un chiffrage suffisamment fiable » au-delà du chiffre de 1,2 milliard d’euros qui ne représente que la fraude détectée en 2018 par la Sécurité sociale.
« L’absence d’estimation du montant de la fraude pour la plupart des prestations prive l’action des pouvoirs publics et des organismes sociaux d’un indispensable instrument d’orientation des actions à mener pour mieux la prévenir, la détecter et la sanctionner », déplore d’ailleurs la Cour des comptes dans son rapport.
Une opacité qui interroge, particulièrement au regard du manque de volonté des pouvoirs publics et des organismes sociaux pour évaluer le niveau de la fraude sociale et lutter contre celle-ci.
Pour Charles Prats, au bas mot, elle se chiffrerait en réalité à 50 milliards d’euros. En se basant sur les dépenses moyennes de protection sociale et les cinq millions de « fantômes », à savoir le nombre de numéros de Sécurité sociale attribués à des personnes nées à l’étranger sur la base de faux documents, un chiffre identifié au cours de ses investigations qui ont précédé la publication de son premier ouvrage Le Cartel des fraudes en septembre 2020, le magistrat aboutit à ce résultat. Un montant, de son avis, encore sous-estimé : « Je suis même en dessous des volumes de la Cour des comptes : je pars de 73,7 millions de bénéficiaires de prestations quand la Cour en recense 75,3 millions… 50 milliards d’euros, c’est donc une approche basse de l’ampleur des dégâts », expliquait-il à Valeurs Actuelles en septembre 2020.
En 2021, accusé de manquer à son « devoir de réserve » en sa qualité de magistrat, Charles Prats s’est retrouvé visé par une enquête administrative. Interrogé par Le Figaro, celui-ci avait alors fustigé une pression d’ordre politique : « Si les gens veulent savoir pourquoi le gouvernement lance cette enquête administrative, ils n’ont qu’à lire le tome 2 de mes livres sur les fraudes en France. Ils vont comprendre », assénait-t-il lapidairement.
Ce mercredi 19 avril, se basant sur un sondage Harris Interactive en date du mois de janvier 2022, le magistrat a rappelé sur Twitter que les Français jugent la lutte contre la fraude sociale plus préoccupante que la fraude fiscale. Pour 49% des Français interrogés dans ce sondage, la priorité de la lutte contre la fraude aux finances publiques devrait en effet se porter sur les prestations sociales. A contrario, 38% d’entre eux ont choisi l’évasion fiscale et 12% ont privilégié la lutte contre la fraude aux cotisations sociales, c’est-à-dire au travail au noir.
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