ENTRETIEN – Dans un entretien accordé à Epoch Times, le journaliste et essayiste Alain de Benoist, figure de la Nouvelle Droite et auteur de plus de cent ouvrages, en dernier lieu Nous et les autres (Éditions du Rocher, 2023) revient sur la notion de dépassement de soi. Il livre également son regard sur la situation politique actuelle.
Epoch Times : Vous avez publié dans Valeurs Actuelles, un article qui aborde le sujet du « dépassement de soi ». Vous écrivez : « La recherche de l’excellence ne suppose pas que des facultés personnelles et un ressort intérieur. Il y a des circonstances, des époques, des atmosphères qui poussent plus à cette recherche ». Notre époque ne permet plus cette recherche de l’excellence ?
Alain de Benoist : En réalité, notre époque concentre la recherche de l’excellence dans des secteurs bien particuliers, notamment quantitatifs comme l’économie. Par exemple, les écoles de commerce forment les étudiants à devenir des hommes d’affaires talentueux et de manière générale, les aident à bâtir leur carrière pour qu’ils aient une situation confortable.
Mais l’excellence avait autrefois une portée plus générale qui impliquait la notion d’effort, de dépassement de soi-même et toute une série de vertus traditionnellement illustrées depuis l’Antiquité et qui constituaient en quelque sorte l’air du temps de la culture européenne.
Aujourd’hui, nous sommes dans une époque extrêmement différente, où l’effort est plutôt découragé, et l’autorité est contestée. En fait, nous vivons dans une atmosphère d’hédonisme, d’individualisme et de matérialisme pratique qui n’encourage pas ce genre de comportement exceptionnel, de dépassement de soi pour parvenir à ce que les Grecs appelaient le Telos de chacun d’entre nous, c’est-à-dire l’excellence.
Ne pensez-vous pas qu’aujourd’hui, nos sociétés individualistes fondées entre autres sur la réussite sociale et matérielle favorisent ce dépassement de soi et la recherche de l’excellence. Pour réussir sa vie, même que financièrement, ne faut-il pas se dépasser ?
Vous pourriez tenir exactement le même raisonnement en disant qu’il y a des gangsters qui, au prix de multiples efforts parviennent à devenir d’excellents bandits ou de superbes narcotrafiquants. Évidemment, tout dépend du jugement de valeur qu’on porte sur telle ou telle activité. Ce qui me paraît être incontestable, c’est que nous vivons dans une époque qui n’encourage pas au dépassement de soi.
Autrefois, le système scolaire pratiquait la connaissance exaltée du roman national et admirait les héros. De nos jours, ce ne sont plus les héros qu’on admire mais plutôt les victimes et les people du show-business. À l’école en France, et je pense que c’est également le cas ailleurs, on n’habitue plus les enfants à l’idée que la vie est une lutte permanente et d’abord une lutte contre soi-même. Alors il faudrait évidemment passer en revue tous les facteurs depuis l’effacement du surmoi collectif, c’est-à-dire essentiellement des religions, mais également l’effondrement des grands projets collectifs, des idéologies discursives qui mobilisaient autrefois. Aujourd’hui, on ne mobilise plus.
À l’époque de la bataille de Diên Biên Phu, à la fin de la guerre d’Indochine, des soldats français se sont retrouvés encerclés et sans espoir de s’en sortir, et je me souviens qu’il y a eu des milliers de Français qui s’étaient portés volontaires pour sauter sur le site. On imagine très mal cela aujourd’hui. Les gens tiennent d’abord à leur sécurité et leur confort. Je ne dis pas qu’il faut passer d’un extrême à l’autre. Je ne suis pas contre un certain confort, ni contre une certaine sécurité, mais tout dépend comment on regarde ces deux notions face à d’autres exigences.
Dans l’article que vous citez, je fais également remarquer que l’attitude vis-à-vis de la mort a changé. Il est évident que se dépasser soi-même et essayer d’aller toujours plus loin et de faire toujours mieux, peut parfois se terminer tragiquement et que toutes époques confondues, mourir n’est pas une chose agréable. Mais avant, on considérait qu’il y avait des choses qui étaient pires que la mort à l’instar de l’occupation étrangère, la perte de la liberté pour un individu ou pour un peuple. On préférait mourir que de les subir. Or, maintenant, c’est quelque chose qui a totalement disparu du vocabulaire. Les gens pensent qu’il n’y a rien de pire que la mort.
« La vérité est que, pour se dépasser, il faut se sentir mû par quelque chose qui nous dépasse », écrivez-vous dans le même article. Préconisez-vous un retour au religieux pour le dépassement de soi ?
Non, pas nécessairement. Je veux dire par là que ce qui nous dépasse peut prendre des formes différentes. Le croyant par exemple, qui est dans une mission pastorale, missionnaire et qui peut aller vers le martyre, pense qu’il est appelé à quelque chose. Il y a quelque chose au-dessus de lui qui le motive. Et ce quelque chose incarne par rapport à lui une certaine autorité.
Mais celui qui estime qu’il n’a pas besoin de croire en Dieu peut avoir une philosophie, une conception du monde, des convictions extrêmement fortes qui vont donner du sens aux actions qu’il entreprend et qui vont justifier à ses propres yeux son existence dans ce monde, où personne n’est plus réellement motivé par quoi que ce soit et rejette d’une certaine manière toute forme d’autorité.
Et cette autorité qui paraissait absolument normale dans la vie familiale, sociale et politique est aujourd’hui, dans notre époque marquée par un certain égalitarisme, refusée. Elle introduit une forme de hiérarchie qui est devenue insupportable pour beaucoup de gens. Par conséquent, nous n’aimons plus avoir qui que ce soit au-dessus de nous et nous ne sommes plus motivés et tirés vers le haut pour nous dépasser.
Vous êtes un intellectuel de renom à droite. Comment jugez-vous l’état de la droite française aujourd’hui, à la fois sur le plan des idées et des structures politiques ?
Il faudrait d’abord qu’on me définisse et qu’on me situe la droite française. Certains vous diront qu’elle s’étend du Rassemblement national aux Républicains. D’autres affirmeront qu’il ne faut pas mélanger la droite et l’extrême-droite. Je constate qu’à l’occasion des élections législatives anticipées, beaucoup d’électeurs de droite ont préféré voter pour le Nouveau Front populaire que pour le Rassemblement national. Ce n’est donc pas si simple.
On pourrait également se demander s’il y a une conception du monde de droite et une conception du monde de gauche. Voire une psychologie ou une sociologie de droite et de gauche, mais nous risquerions de nous embarquer sur des terrains encore plus glissants.
C’est la raison pour laquelle je crois que le clivage droite-gauche ne correspond plus à grand-chose. Ce clivage était porté par des partis dits « de gouvernement » et selon un schéma horizontal. Vous aviez une ligne horizontale et aux élections, un curseur qui se déplaçait un peu plus à droite ou un peu plus à gauche. De nos jours, il tend à être remplacé par un clivage vertical opposant les classes populaires aux élites par exemple, ou opposant ceux qui aiment l’enracinement à ceux qui veulent se déraciner. Sans compter les prises de position sur les conflits internationaux qui, elles aussi, traversent en diagonale ce qu’on appelle la droite et ce qu’on appelle la gauche. La guerre russo-ukrainienne en est le parfait exemple. Aussi bien à droite qu’à gauche, vous trouverez des pro-ukrainiens et des pro-russes.
L’apparition de ces nouveaux clivages fait qu’il est donc assez difficile de répondre à votre question. D’ailleurs, la situation politique actuelle est assez paradoxale. Jamais les Français n’ont autant voté à droite. Lors des dernières élections législatives, 11 millions d’électeurs ont accordé leur confiance au RN. Mais Emmanuel Macron recherche par tous les moyens à mettre en place une coalition organisée à partir du centre gauche !
Je crois que la droite est majoritaire en France, mais elle n’arrive pas à trouver le point de bascule pour arriver au pouvoir.
Vous dîtes que le clivage gauche-droite ne correspond plus à grand-chose. Mais n’assistons-nous pas depuis les élections législatives anticipées au retour de ce clivage ? Le bloc central présidentiel semble être pris en étau entre les deux courants.
Oui, ce n’est pas faux. Il y a beaucoup d’analyses en ce moment sur cette présence pour le moins étrange de trois blocs à peu près équivalents à l’Assemblée nationale, dont aucun n’est à même d’obtenir à lui seul la majorité absolue.
Cependant, il faut quand même situer l’apparition de ces trois blocs dans une perspective dynamique. Il y a des dynamiques ascendantes et descendantes. Il est très clair que le bloc central macroniste est celui qui a perdu. Il est en chute libre par rapport aux deux autres. Et il est paradoxal qu’aujourd’hui Emmanuel Macron nous explique que, pour « respecter le choix des Français », il faut envisager de créer un gouvernement sans le NFP ou le RN, c’est-à-dire sans aucune des deux forces ascendantes.
D’où la crise dans laquelle on se trouve et dont nous sortirons par des procédés qui, pour l’instant, m’échappent totalement. C’est de toute évidence une crise de régime.
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