Alexandre del Valle : « Sans le Hezbollah, le Liban connaîtrait certainement une paix relative avec son voisin israélien »

Par Julian Herrero
27 septembre 2024 17:19 Mis à jour: 27 septembre 2024 23:36

ENTRETIEN – La semaine dernière au Liban, des vagues d’explosions de bipers et de talkie-walkies utilisés par le Hezbollah ont provoqué la mort de 37 personnes et en ont blessé plus de 3500. L’opération est imputée au Mossad et des entreprises auraient également été impliquées. Dans un entretien accordé à Epoch Times, Alexandre del Valle, géopolitologue, essayiste et auteur de nombreux ouvrages sur les enjeux internationaux, en dernier lieu « Vers un choc global» (l’Artilleur, 2023), revient sur cette opération.

Epoch Times : Comment analysez-vous cette opération assez inédite dans l’histoire des services secrets ?

Alexandre del Valle : Elle résulte d’une énorme erreur commise par les Iraniens. Ils ont cru, dans une logique assez islamiste, qu’en utilisant des systèmes de communication archaïques, ils allaient tromper l’ennemi et être protégés, alors qu’en réalité, ces objets sont beaucoup plus faciles à pirater que les appareils plus modernes que sont les ordinateurs et les téléphones portables.
C’était d’ailleurs une décision du chef du Hezbollah lui-même, Hassan Nasrallah d’obliger tous les cadres de la milice de n’utiliser que des bipers et des talkies-walkies. Il a été piégé par sa propre stratégie…

Je dirais également qu’avec ces vagues d’explosions, le Mossad a fait d’une pierre, deux coups. Je le dis depuis des mois : l’objectif du Mossad et surtout de Tsahal n’est pas uniquement de liquider sur le plan militaire le Hamas, ce qui est pratiquement réussi, mais d’éjecter au moins de 30 kilomètres au sud du Liban, le Hezbollah, voire de finir ce qui avait été entamé en 2006 lors de la guerre des 33 jours entre le Hezbollah et Israël. À l’époque, Israël voulait liquider la milice chiite, détruire tous ces stocks d’armes et la communauté internationale, y compris les Américains, avaient réussi à freiner l’opération de Tsahal à mi-chemin. L’armée israélienne avait dû arrêter de frapper le Hezbollah avec une ligne décidée par l’ONU et l’organisation islamiste devait s’engager de son côté à reculer de 20 kilomètres.

Mais entre-temps, le Hezbollah s’est reconstitué et a violé l’accord de 2006 en revenant à la frontière israélienne. Par conséquent, le but d’Israël, aujourd’hui, est d’éliminer le Hezbollah. Et dans ce cadre, l’opération de la semaine dernière est un immense succès. Presque un an après l’échec du 7 octobre, le Mossad a redoré son blason et Tsahal, son efficacité.

Après avoir éliminé de nombreux cadres, blessé à vie et estropié des milliers de miliciens, ce qui va coûter une fortune au Hezbollah, Israël va être en mesure de préparer une action militaire massive contre l’organisation islamiste. Une action qui finira par être terrestre avec une semi-invasion du Liban.

Enfin, même si cette opération a provoqué quelques dommages collatéraux, les meurtres ont été globalement ciblés, ce qui permet à Israël de commencer de manière assez positive cette guerre à venir contre le Hezbollah. Par ailleurs, il est intéressant de constater que beaucoup de Druzes, de chrétiens du Liban, et même des musulmans sunnites se réjouissent de manière à peine cachée de l’échec que vient de subir le Hezbollah qui, au Liban, est une force d’occupation.

Il ne faut pas croire les Libanais quand ils disent que c’est une force de résistance. Ils sont obligés de dire ça, sinon ils sont tués. Beaucoup de députés anti-Hezbollah ont été tués pendant les années 2000.  Il y a le discours officiel et ce qui est dit secrètement.

Selon vous, cette opération marque-t-elle le retour en force des services secrets israéliens presque un an après les attaques du 7 octobre, perpétrées par le Hamas, qui avaient été considérées comme un échec du Mossad ? Le chef de la milice islamiste Hassan Nasrallah a lui-même reconnu « un coup sévère et sans précédent » dans l’histoire du Liban. Le Hezbollah est-il aujourd’hui considérablement affaibli ?

Il s’agit sans aucun doute, d’un retour en force du Mossad. Il a récupéré une réputation encore meilleure qu’à l’époque des années glorieuses d’Israël. Jamais un service de renseignement d’un pays occidental, même la CIA, n’a réussi à faire une opération aussi ciblée. Les Européens et les Américains n’ont pas cette technicité, ou la pratique. Le Mossad a vraiment récupéré sa réputation de meilleur service de renseignement du monde.

Le Hezbollah a été déstabilisé. Sa chaîne de commandement, son moral, sa psychologie et sa capacité à communiquer ont été extrêmement amoindris. Mais il n’est pas pour autant détruit puisqu’il dispose de 160.000 roquettes et missiles dont certains sont capables de frapper très sévèrement Israël. Même si l’État hébreu a un bouclier anti-missile très performant, appuyé par le bouclier Patriot américain et quelques dispositifs français et jordaniens, il suffit pour l’Iran et le Hezbollah de lancer des centaines de milliers de missiles pour les perforer.

Ainsi, Israël cherche aujourd’hui à détruire la capacité logistique et les missiles du Hezbollah. Un objectif qui, encore une fois, nécessite une opération, non seulement aérienne mais terrestre. Cela va prendre du temps, mais Israël n’a pas le choix puisqu’en cas de guerre contre Téhéran, Tsahal ne peut pas tenir durablement sur cinq fronts : le front de Gaza, iranien, du Hezbollah, houthi et celui en Cisjordanie, qui est secret, mais qui existe.

Depuis le 7 octobre, l’idée est donc de passer de cinq à trois fronts, en éliminant le Hamas et le Hezbollah, qui sont les deux organisations en mesure de faire le plus de dégâts en Israël.

Cette opération peut-elle entraîner une guerre totale entre le Hezbollah et Israël ?

Je n’y crois pas parce que la plupart des pays arabes sont extrêmement anti-iraniens. Et il est difficile pour Téhéran de mener des représailles massives contre Israël puisque cela pourrait donner un prétexte à l’État hébreu de mener à son tour une attaque de grande envergure contre l’Iran. Cette guerre va donc rester de faible ou de moyenne intensité.

Du côté de La France insoumise, on dénonce des « actes de guerre ». Le député LFI du Nord David Guiraud s’est dit sur X « effaré de voir autant de commentateurs français accepter, voir se réjouir, de l’attaque massive d’Israël contre le Liban ». Qu’en pensez-vous ?

Je dirais simplement que le Hezbollah est un mouvement multiforme. C’est une organisation politique avec ses députés. Il aide aussi les plus fragiles et a donc une dimension sociale et économique. Ses nombreux trafics font également de lui une organisation para-mafieuse. Et enfin, il a une dimension terroriste comme le Hamas. Et cette partie terroriste, tue des civils israéliens ou autres régulièrement.

En restant objectif, je dirais que le Hezbollah attaque régulièrement et gratuitement Israël depuis 19 ans puisque l’État hébreu s’est retiré du sud du Liban en 2005. Il frappe des victimes civiles avec des méthodes terroristes en envoyant par exemple des roquettes sur des villages israéliens. C’est un problème pour les Libanais parce qu’il donne un prétexte à Israël pour frapper le Liban. Sans le Hezbollah, le Liban connaîtrait certainement une paix relative avec son voisin israélien.

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