Aussi éphémère qu’elle ait été, la rébellion du groupe des mercenaires russes Wagner a eu un impact qui s’est répercuté bien au-delà des frontières de la Russie. Selon certains analystes, elle pourrait marquer le début de la fin de l’alliance que Pékin, en tant que partie dominante, a conclue avec Moscou face au monde libre.
En l’espace de 24 heures, le groupe Wagner a attiré l’attention du monde entier en s’emparant de la ville de Rostov-sur-le-Don, la capitale du sud de la Russie devenue centre tactique des opérations menées par les forces russes en Ukraine. À la tête de la révolte se trouvait Evgueni Prigojine, un allié autrefois fidèle de Vladimir Poutine qui a qualifié cette révolte de « coup de poignard dans le dos ».
Prigojine est aujourd’hui en exil au Belarus, en vertu d’un accord selon lequel la Russie n’engagera pas de poursuites pénales à son encontre. Mais sa fuite – après avoir constitué le test le plus sérieux pour Poutine au cours de plus de vingt ans de son règne sur la Russie – est loin d’avoir clos l’affaire aux yeux des observateurs étrangers.
« Nous voyons des fissures apparaître », a dit le secrétaire d’État américain Antony Blinken à la chaîne CBS. « Il est très difficile de dire où elles mènent (…) mais je ne pense pas que nous avons vu l’acte final. »
Selon l’analyste géopolitique Gordon Chang, le régime russe n’est pas le seul à s’être fissuré.
« La Chine tente de renverser l’ensemble du système international. Bien que la Chine soit puissante, elle n’est pas, en fait, tellement puissante. Elle a besoin d’alliés comme Poutine, et si Poutine ne survit pas, alors la Chine aura des problèmes », a expliqué l’auteur du livre The Coming Collapse of China (L’effondrement prochain de la Chine) à Epoch Times.
Pékin est « ébranlée »
Pékin a gardé le silence pendant que les forces armées de Prigojine marchaient sur Moscou, ne commentant sur ce sujet pour la première fois qu’un jour après qu’une trêve a mis fin à la progression de ces forces. « L’incident du groupe Wagner est une affaire intérieure de la Russie », a déclaré la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. « En tant que voisin amical de la Russie et partenaire stratégique global de coordination pour la nouvelle ère, la Chine soutient la Russie dans le maintien de la stabilité nationale et dans la réalisation du développement et de la prospérité. »
Selon M. Chang, la réaction tardive de Pékin s’explique par le fait que « la Chine ne savait pas quoi dire ».
« Le problème pour Xi Jinping provient du fait qu’il a proclamé un partenariat ‘hors limites’ avec la Russie », a-t-il commenté au sujet du dirigeant chinois. « Cependant, ce partenaire ‘hors limites’ a failli être démis de ses fonctions à la suite de ces événements stupéfiants. Je pense donc que la Chine est quelque peu ébranlée par cette situation. »
Le partenariat « hors limites » a été annoncé par Xi Jinping et Poutine le jour de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, le 4 février 2022, alors que les deux hommes tenaient leur première réunion en personne depuis deux ans.
C’était vingt jours avant que la Russie n’attaque l’Ukraine. Environ une année plus tard, en mars dernier, Xi Jinping a été l’invité d’honneur de Poutine à Moscou. En quittant Poutine après une réception, le dirigeant communiste chinois, tout sourire, a déclaré qu’ils étaient tous les deux à l’origine d’un « changement qui ne s’est pas produit depuis 100 ans ».
Mais la mutinerie de Wagner a pris Pékin par surprise.
En août 1991, lors d’un coup d’État tout aussi éphémère, les partisans de la ligne dure du Parti communiste de l’Union soviétique avaient enfermé le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev dans sa villa de vacances en Crimée. Le complot a échoué en trois jours, mais il a servi d’élément déclencheur de l’effondrement de l’Union soviétique quatre mois plus tard.
Gordon Chang considère que Poutine se trouve dans une situation similaire.
« Il a pu empêcher d’être renversé par l’insurrection, mais la Russie a été déstabilisée, et je ne pense pas que nous avons entendu le dernier mot à ce sujet. »
Pour le régime chinois, qui compte sur la Russie comme alliée efficace dans sa stratégie de domination mondiale, cela n’annonce rien de bon.
« La Chine essaie de se présenter comme invincible, comme dominant le monde », a expliqué M. Chang. « Eh bien, elle n’a pas l’air si intimidante en ce moment. Elle avait l’air beaucoup plus intimidante il y a une semaine qu’elle ne l’est en ce moment. »
Des problèmes à l’intérieur de la Chine
L’affaiblissement de la position politique de Poutine n’est pas la seule préoccupation de Pékin.
Quelques jours après la rébellion de Wagner, Xi Jinping a promu deux commissaires politiques au rang de généraux – une décision que certains ont interprétée comme une tentative de consolidation du pouvoir. Un officier chinois, écrivant pour le PLA Daily, le journal officiel de l’organe militaire le plus élevé de Chine, a estimé que les forces armées chinoises devaient « renforcer la conscience de la sécurité nationale » et être prêtes à « faire face à des épreuves majeures dans une mer houleuse ».
« La Chine pense que la Russie est dans un tel pétrin parce qu’il n’y a plus de contrôle du Parti communiste sur son gouvernement, alors Xi Jinping doit absolument renforcer ce contrôle », a déclaré à Epoch Times Miles Yu, directeur du Centre chinois de Hudson Institute qui a été conseiller principal de l’administration Trump pour la politique envers la Chine. Au cours de ses dix années de règne sur la Chine, Xi Jinping a purgé de nombreux hauts responsables militaires pour consolider son pouvoir.
« Il sait qu’il y a beaucoup de ressentiment parmi les militaires. C’est pourquoi une telle situation a été très, très déstabilisante pour lui », a poursuivi M. Yu.
Selon Gordon Chang, les problèmes intérieurs maintiendront également Pékin en état d’alerte.
« Les Chinois s’inquiètent toujours des soi-disant révolutions de couleur, et ces révolutions sont contagieuses – elles se propagent. »
En novembre dernier, l’incendie meurtrier d’une tour d’habitation confinée au Xinjiang a déclenché des manifestations de masse dans tout le pays. Les manifestants ont brandi des feuilles de papier blanches pour s’opposer aux sévères mesures de confinement « zéro-Covid » du régime – ce qu’on a appelé les manifestations des feuilles blanches.
Le mouvement s’est calmé lorsque Pékin a levé les restrictions anti-Covid tout en arrêtant discrètement de nombreux manifestants. Pourtant, a noté Gordon Chang, derrière ce mouvement il y a un esprit de mécontentement plus large qui n’a pas disparu.
« Certaines personnes demandaient au Parti communiste et à Xi Jinping de démissionner », a-t-il souligné, citant certains des slogans scandés par les manifestants.
Les économistes espéraient que la fin de la politique du zéro Covid stimulerait les dépenses intérieures en Chine et revitaliserait son économie en perte de vitesse. Cependant, à bien des égards, la situation en Chine n’est pas meilleure qu’il y a six mois.
Les gouvernements locaux sont confrontés à des défauts de paiement d’une dette totale de 23.000 milliards de dollars, les personnes âgées de 16 à 24 ans ont un taux de chômage record de plus de 20% et les ventes de biens immobiliers ont continué à chuter. La Chine devrait connaître cette année ce qui pourrait être le plus grand exode de millionnaires au monde, tandis qu’un nombre croissant de Chinois désabusés fuient également le pays.
« Xi Jinping n’a pas d’autre solution que de resserrer encore plus la vis, ce qui, en fin de compte, ne sera pas une solution parce que l’économie est en train de s’effondrer », a constaté M. Chang.
June Teufel Dreyer, professeure de sciences politiques à l’université de Miami, considère également les problèmes économiques comme un obstacle majeur.
« Poutine pourrait devenir même encore plus dépendant de la Chine après le soulèvement, ce qui renforcerait le désir de la Chine de diriger l’ordre mondial », a-t-elle indiqué à Epoch Times. Pourtant, le ralentissement économique, a-t-elle ajouté, sera le principal obstacle à la réalisation des ambitions de Xi Jinping.
Pour l’instant, la Chine et la Russie continueront à « se blottir l’une contre l’autre » alors qu’elles s’opposent à l’Occident, chacune prenant ce dont elle a besoin de cette relation, a noté Su Tze-yun, directeur de l’Institut pour la défense nationale et la recherche sur la sécurité de Taïwan.
Avec la guerre en Ukraine qui s’éternise, la Russie se retrouvera probablement de plus en plus dépendante de la Chine, qui est désormais le principal acheteur du pétrole russe fourni autrefois à l’Europe.
Selon Gordon Chang, le monde libre doit agir aujourd’hui de manière plus décisive.
« Le monde se trouve à un moment critique, tandis que la coalition qui s’oppose à nous s’est fissurée et pourrait s’effondrer. Il est important que l’administration Biden et les États libres veillent à ce que cette coalition ne puisse pas se reconstituer », a-t-il souligné.
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