Le mystère qui entoure les allées et venues du chef de la défense chinoise, quelques mois seulement après son accession à ce poste, alimente désormais les interrogations sur son sort et sur la stabilité du Parti communiste chinois.
Li Shangfu, nommé ministre de la Défense par le dirigeant chinois Xi Jinping au mois de mars, a disparu de la scène publique pendant 17 jours consécutifs, sa dernière apparition remontant au 29 août, lorsqu’il a prononcé un discours devant des responsables africains de la défense lors d’un forum sur la sécurité à Pékin.
Une série de rapports citant des sources chinoises et américaines suggèrent que M. Li a été démis de ses fonctions et fait peut-être l’objet d’une enquête pour corruption, ce qui ferait de lui le quatrième haut fonctionnaire chinois à tomber en disgrâce moins d’un an après le début du troisième mandat de Xi Jinping.
Cette absence inexpliquée, qui fait suite au retrait inattendu de M. Li d’une réunion avec ses homologues vietnamiens la semaine dernière, s’inscrit dans la lignée des remaniements abrupts qui ont secoué les échelons supérieurs de la direction communiste chinoise au cours de l’été, notamment l’éviction surprise de l’ancien ministre des Affaires étrangères du pays, M. Qin Gang.
Lui aussi protégé de Xi Jinping, M. Qin a disparu de la scène publique pendant un mois, alors qu’il n’avait occupé ce poste que pendant sept mois. Sans explication, son prédécesseur Wang Yi a repris son poste en juillet, tandis que les dossiers de M. Qin ont brièvement disparu du site web du ministère des Affaires étrangères.
Le mois dernier, Xi Jinping a également démis de leurs fonctions deux généraux qui contrôlaient la Rocket Force, l’arsenal nucléaire et la force de missiles conventionnels du pays. Le général Li Yuchao, ancien chef de la Rocket Force, a également manqué la cérémonie de promotion de l’unité militaire à la fin du mois de juin. Le limogeage de deux fonctionnaires de haut niveau et le choix de leurs remplaçants, qui n’appartiennent pas à cette branche, ont été jugés sans précédent par des observateurs expérimentés sur la Chine, tels que Gordon Chang.
« Il se passe quelque chose », a souligné M. Chang, auteur de « The Coming Collapse of China » (L’effondrement imminent de la Chine), à Epoch Times, ajoutant qu’il y voyait un signe de « turbulences à l’intérieur du régime chinois ».
Selon lui, Xi Jinping pourrait avoir « simplement décidé de changer d’avis, ou bien ses ennemis ont réussi à se débarrasser de l’une des personnes qu’il aurait nommées. Dans la politique du Parti communiste, vous vous attaquez d’abord aux subalternes, vous remontez la chaîne et, finalement, la position de votre cible devient intenable. »
Signaux d’alerte
Le sénateur Marco Rubio (Parti républicain – Floride) estime que l’évolution de la situation en Chine s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par Xi Jinping pour consolider son contrôle.
« La disparition inattendue de l’ancien ministre de la Défense de Xi Jinping, le remplacement soudain des dirigeants de la Rocket Force, les disparitions mystérieuses de scientifiques chinois pendant la pandémie de Covid et la disparition de son ministre des Affaires étrangères au début de l’année sont les signes qui montrent jusqu’où il est prêt à aller pour maintenir sa mainmise autoritaire sur le pouvoir, » a-t-il expliqué à Epoch Times. « La purge de Xi Jinping se poursuivra contre tous ceux qu’il considère comme une menace potentielle. »
Pékin est resté très discret sur l’absence prolongée de M. Li.
Lorsqu’un journaliste a demandé vendredi où se trouvait M. Li et s’il faisait l’objet d’une enquête, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mme Mao Ning, a répondu qu’elle n’était « pas au courant de la situation mentionnée ».
Mme Mao aurait pu répondre par la négative si rien ne s’était passé, a fait remarquer le commentateur politique indépendant Cai Shenkun. « Cela n’aurait-il pas permis d’étouffer les rumeurs une fois pour toutes ? » a-t-il indiqué à Epoch Times. « À en juger par sa réaction, quelque chose a dû arriver à Li Shangfu, cela ne fait aucun doute. »
L’échange a été supprimé de la transcription publiée ultérieurement sur le site web du ministère. Une suppression similaire a eu lieu à la fin de l’année dernière, après que des Chinois, lassés des restrictions sévères imposées par Pékin à l’égard du Covid, ont commencé à manifester dans tout le pays, certains appelant à un changement de régime. En novembre, Zhao Lijian, porte-parole du ministère à l’époque, s’est trouvé à court de mots lors d’une conférence de presse lorsqu’on lui a demandé si les autorités allaient lever les mesures de contrôle. Après une longue pause, il a demandé à ce que la question soit répétée et a affirmé qu’elle « ne reflétait pas ce qui s’était réellement passé ». Cette conversation n’a jamais été publiée, bien que des vidéos aient été diffusées. Il s’agissait de l’une de ses dernières apparitions publiques avant qu’il ne soit réaffecté à un rôle de second plan en janvier.
Le secret qui entoure les changements de responsables n’a pas surpris la sénatrice Marsha Blackburn (Parti républicain – Tennessee).
« Les régimes autoritaires tout comme la Chine communiste exercent un contrôle total sur les médias et dissimulent la vérité pour contrôler le discours public, » a-t-elle affirmé à Epoch Times. « Bien que les circonstances restent floues, nous savons que la tactique chinoise consiste à faire disparaître le plus haut dirigeant et que Xi Jinping est soumis à d’énormes pressions compte tenu de l’état de l’économie chinoise ».
À peu près au même moment que le remaniement de la Rocket Force, les médias d’État chinois ont révélé que deux hauts responsables militaires, les lieutenants généraux Wu Guohua et Wang Shaojun, respectivement ancien commandant adjoint de la Rocket Force et garde du corps des principaux dirigeants du régime, venaient de succomber à des maladies non précisées. Le retard de plusieurs mois pris avant l’annonce du décès de M. Wu et le manque de clarté entourant ces deux affaires ont fait naître des rumeurs laissant entendre que les deux hommes s’étaient suicidés.
Pour M. Chang, il ne s’agit pas d’un incident isolé. « Ils s’inscrivent tous dans le cadre d’une purge continue, et le régime chinois est en train de se dévorer lui-même, » a-t-il souligné.
Des « ennemis de tous les côtés »
Selon M. Chang, c’est peut-être l’inquiétude suscitée par les troubles politiques qui a conduit Xi Jinping à ne pas participer au sommet du G20 à New Delhi, et non le désir de snober le pays hôte ou d’éviter de rencontrer le président Joe Biden, comme l’ont suggéré certains analystes.
« Je pense qu’il est plus probable qu’il ait estimé que la situation à Pékin était trop instable et qu’il était dangereux pour lui de partir. Les dirigeants chinois sont très préoccupés par les risques d’assassinat – ils l’ont toujours été, et je pense que Xi Jinping l’est probablement encore plus. »
Ce qui frappe M. Chang, c’est que tous ces signes d’instabilité politique apparaissent au début du troisième mandat de Xi Jinping, un mandat que « beaucoup de gens à Pékin ne voulaient pas qu’il ait ».
Faisant écho au point de vue de M. Chang, M. Cai a cité la rébellion Wagner en Russie, qui, selon lui, a mis Xi Jinping en état d’alerte.
Pour asseoir sa mainmise sur le pouvoir, le dirigeant chinois s’est fait des ennemis influents au sein de l’armée et du cercle des hauts dirigeants.
« Il a des ennemis de tous les côtés. Dans un climat d’insécurité, un petit incident pourrait amener Xi Jinping à lancer une enquête sur toute personne qu’il soupçonnerait de déloyauté, » a ajouté M. Cai.
Des responsables américains anonymes ont été cités par les médias comme étant persuadés que le ministre chinois de la Défense faisait l’objet d’une enquête, mais l’administration chinoise a nié être au courant de la situation de M. Li.
« En fin de compte, c’est au gouvernement chinois de décider de ces questions, » a rappelé le secrétaire d’État Antony Blinken, qui est devenu en juin le plus haut responsable américain à se rendre en Chine sous l’administration Biden, lors d’une conférence de presse avec son homologue allemande Annalena Baerbock, vendredi.
« Nous restons tout à fait prêts, comme nous l’avons toujours été, à dialoguer avec le gouvernement chinois, quels que soient les responsables en place au moment voulu, comme je l’ai fait lorsque je me suis rendu à Pékin au début de l’été. Et nous nous attendons à ce que cela continue, quel que soit le titulaire du portefeuille. »
Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, interrogé par un journaliste vendredi, a répondu de la même manière : « Je n’ai rien à vous dire à ce sujet aujourd’hui ». Le Pentagone n’a pas répondu directement à une question formulée par Epoch Times, indiquant que « le ministère de la Défense continue de croire quant à l’importance de maintenir des lignes ouvertes de communication militaire entre les États-Unis et la RPC à de multiples niveaux, notamment aux échelons les plus élevés. »
Jusqu’à présent, le responsable le plus virulent sur la question a été Rahm Emanuel, l’ambassadeur des États-Unis au Japon.
« La composition du cabinet du président Xi Jinping ressemble désormais au roman d’Agatha Christie, Dix Petits Nègres », a-t-il écrit sur la plateforme de médias sociaux X le 7 septembre. « D’abord, le ministre des Affaires étrangères Qin Gang disparaît, puis les commandants de la Rocket Force disparaissent, et maintenant le ministre de la Défense Li Shangfu n’a pas été vu en public depuis deux semaines. Qui va gagner cette course au chômage ? La jeunesse chinoise ou le cabinet de Xi ? »
Interrogé quelques jours plus tard pour savoir si la Maison Blanche approuvait les messages de M. Emanuel, le coordinateur du Conseil de sécurité nationale pour les communications stratégiques, John Kirby, a répondu qu’il « laisserait l’ambassadeur s’exprimer sur son compte de médias sociaux ».
« Nous avons depuis longtemps exprimé clairement nos préoccupations concernant toute une série d’activités inquiétantes [de la République populaire de Chine] dans la région. Et je pense que j’en resterais là », a-t-il déclaré aux journalistes.
M. Li n’est pas le seul à avoir brillé par son absence ce mois-ci.
Wang Yi, le plus haut diplomate chinois qui est redevenu ministre des Affaires étrangères, n’a pas participé au G20. Le 15 septembre, le ministère des Affaires étrangères, sans mentionner M. Wang, a fait savoir que le vice-président Han Zheng représenterait Pékin lors du débat annuel au sommet de l’Assemblée générale des Nations unies, un rôle que M. Wang avait assumé l’année dernière.
Le dirigeant communiste est entré dans la salle de conférence des BRICS en Afrique du Sud tandis que son assistant, qui serait un traducteur, a été bloqué à l’extérieur par les agents de la sécurité.
Selon l’universitaire chinois en exil Yuan Hongbing, de telles incidents ont probablement attisé la colère de Xi Jinping à l’égard du ministre des Affaires étrangères, qui aurait eu un droit de regard sur son itinéraire. Citant des sources internes, M. Hongbing a ajouté que M. Wang aurait été réprimandé à la suite du voyage de Xi Jinping en Afrique du Sud.
Lors de la conférence de presse du 15 septembre, Mme Mao, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, n’a ni confirmé ni infirmé le projet de voyage de M. Wang à Moscou, se contentant de dire que « la Chine et la Russie étaient en étroite collaboration ».
On ne sait pas exactement à quoi aboutiront ces mouvements inexpliqués, « mais le régime sera certainement affaibli. Le régime pourrait même s’effondrer, » a poursuivi M. Chang. « À ce stade, c’est peu probable, mais il s’agit d’une réelle possibilité. »
Luo Ya a contribué à cet article.
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