L’économie chinoise est confrontée à son plus grand défi depuis des décennies, et les autorités sont à court de moyens dans leur panoplie pour résoudre les problèmes, selon les experts.
Les dernières données macroéconomiques du pays indiquent une économie au bord de la déflation.
L’indice des prix à la consommation de juin est resté stable d’une année sur l’autre et a baissé de 0,2 % par rapport à mai. L’indice des prix à la production, qui reflète les coûts de gros, a diminué de 5,4 % par rapport à juin 2022, ce qui représente une baisse plus importante que celle de 4,6 % enregistrée en mai.
Les données commerciales de juin ont continué à montrer une tendance à la baisse. La valeur en dollars des exportations chinoises a diminué de plus de 12 % par rapport à l’année précédente, soit une baisse plus importante qu’en mai (7,5 %). Ses importations ont également diminué de près de 7 % par rapport à juin 2022, contre 4,5 % en mai.
Gary Jefferson, professeur d’économie à l’université Brandeis et spécialiste de l’économie chinoise, a déclaré que les problèmes auxquels est confrontée la deuxième économie mondiale sont multiples, notamment le lourd endettement du secteur immobilier et des gouvernements locaux, l’affaiblissement du rendement des investissements, la faible confiance des ménages et les tensions géopolitiques avec les États-Unis et l’Union européenne.
Et c’est le résultat des politiques menées par le régime au cours des 30 à 40 dernières années, a-t-il affirmé.
Alors que de nombreuses personnes ont pointé du doigt les perturbations massives provoquées par la pandémie et les politiques de zéro Covid du régime comme étant la source des difficultés actuelles de la Chine, M. Jefferson pense que des problèmes structurels sont probablement à blâmer.
« Comme preuve de la nature systématique du problème, il apparaît que le déclin de la confiance économique et de la confiance sociale se renforcent mutuellement », a-t-il expliqué à Epoch Times.
« La réticence à se mettre en couple, à se marier et à avoir des enfants résulte probablement en partie de la récession économique et l’alimente. La diminution du nombre de familles laisse présager une baisse de la demande de logements plus grands ou plus haut de gamme, ce qui contribue à la faiblesse du secteur immobilier, entraînant une baisse de la demande de baux fonciers et des recettes des collectivités locales. »
La Chine est aux prises avec un taux de natalité en baisse, malgré l’abandon de la politique de l’enfant unique en 2016 et l’autorisation accordée aux familles d’avoir jusqu’à trois enfants au cours des dernières années. De nombreux couples ont refusé d’avoir plus d’enfants en invoquant les coûts élevés que cela implique.
« Les pires difficultés » depuis 1989
« Le gouvernement se trouve vraiment dans les pires difficultés qu’il ait connues, au moins depuis le 4 juin 1989 », a-t-il ajouté, en référence au massacre, sur la place Tiananmen, d’étudiants chinois en quête de réformes démocratiques, et à l’isolement international qui en a résulté. Après cela, il a fallu trois ans pour que la croissance économique de la Chine se remette sur les rails.
Si la tournée dans le sud effectuée en 1992 par le dirigeant communiste chinois de l’époque, Deng Xiaoping, a contribué à relancer la croissance économique, la Chine n’est plus dans la même situation, car elle s’est considérablement développée depuis lors, a souligné M. Jefferson.
Avec des décennies d’épargne des familles et des entreprises chinoises et d’abondantes opportunités d’investissement, la reprise économique n’est pas prête de se produire, a-t-il déclaré, ajoutant que les autorités manquent d’outils dans leur boîte à outils pour redresser l’économie.
En réponse à la crise financière mondiale de 2008, les autorités chinoises ont mis en place un énorme plan de relance – 4000 milliards de yuans (496 milliards d’euros à l’époque) – qui a considérablement augmenté les dépenses publiques en matière d’infrastructures et l’endettement dans le secteur immobilier et les collectivités locales.
Aujourd’hui, le rendement des investissements en capital physique et humain est faible par rapport à ce qu’il était il y a dix ans, en raison de l’énorme volume d’investissements en infrastructures déjà réalisés et de l’augmentation des inscriptions dans l’enseignement supérieur initiée par le Parti communiste chinois (PCC) en 1999, a expliqué M. Jefferson. Le taux de chômage des jeunes en Chine était supérieur à 20 % en mai et juin, en partie à cause de l’offre excédentaire de diplômés de l’enseignement supérieur, qui est passée de 1 million à 10 millions en deux décennies.
Selon lui, une relance nécessiterait un financement énorme de la part du gouvernement central et des gouvernements locaux, ce qui signifierait encore plus d’accumulation de dettes – et c’est très problématique. Et lorsque les gens ont plus d’argent, ils peuvent choisir de le mettre en banque ou de l’utiliser pour rembourser leurs dettes. Par conséquent, le fait de mettre plus d’argent dans les mains des gens ne stimule pas forcément les dépenses, a-t-il ajouté.
Le professeur a fait l’analogie avec une voiture qui roule à toute allure sur une colline et qui se retrouve soudain face à une falaise. « Souvent, lorsque cela se produit, il y a une falaise à 15 ou 30 mètres de là sur laquelle la voiture peut atterrir et reprendre sa route », a-t-il affirmé.
Mais dans les circonstances actuelles, « plus que dans toute autre situation au cours des 40 dernières années, la distance qui nous sépare de l’autre côté de la falaise est considérablement plus grande que par le passé, ce qui rend un atterrissage en toute sécurité plus problématique ».
Selon lui, l’une des principales différences entre la Chine et les économies occidentales est que les gouvernements occidentaux bénéficient d’une légitimité procédurale issue des élections et des processus législatifs, alors que la légitimité du Parti communiste chinois (PCC) dépend entièrement de ses performances économiques. De ce fait, « il est très, très difficile pour le Parti de gérer ou d’accepter une récession », a-t-il ajouté.
« C’est une situation plutôt difficile et embarrassante pour les dirigeants. »
« Je ne vois plus d’espoir aujourd’hui »
Mike, 27 ans, travaille dans une usine d’additifs polymères dans une ville de la province du Zhejiang, dans l’est de la Chine, l’un des pôles du secteur privé du pays. Mike a parlé à Epoch Times en utilisant un pseudonyme par peur des représailles du PCC.
Il a obtenu son diplôme universitaire en 2017 avec une spécialisation en ingénierie des espaces urbains et souterrains. En juillet 2020, après la fin de son contrat de deux ans avec un projet de métro dans la province du Hunan, dans le sud de la Chine, il a déménagé dans sa ville actuelle pour rejoindre l’usine qui venait d’ouvrir. L’usine est spécialisée dans les produits de haute qualité destinés au marché étranger.
En mai 2022, une grande entreprise d’Europe occidentale n’a pas renouvelé sa commande annuelle de 6800 kg de produits en raison des tensions géopolitiques entre la Chine et l’Europe. Depuis lors, l’usine n’a pas été en mesure d’obtenir des commandes de remplacement pour combler ce déficit. Elle a donc arrêté la production et vend ses stocks.
L’entreprise cherche à ajuster sa gamme de produits pour répondre aux besoins du marché intérieur, mais « il sera très difficile d’obtenir des commandes », car la demande est faible.
La petite usine de Mike n’était pas la seule. Selon lui, une usine de pièces automobiles voisine a supprimé 3000 postes, soit 30 % de sa main-d’œuvre. En outre, les travailleurs de cette usine n’ont plus la possibilité de faire des heures supplémentaires, ce qui leur permettait de gagner plus que le salaire minimum pour joindre les deux bouts.
Lorsque Mike s’est installé à Zhejiang, il pensait que sa vie allait changer. Il a donc acheté un appartement dans la ville en octobre 2020. Cependant, l’économie s’est effondrée et les trois années de fermeture pour cause de pandémie en ont épuisé plus d’un.
« Je ne vois plus d’espoir aujourd’hui », a-t-il déclaré à Epoch Times. « Tout le monde est confronté à beaucoup de stress dans la vie. »
En tant que superviseur d’usine, Mike gagne environ 9000 yuans par mois, soit 1117 euros. Son prêt hypothécaire s’élève à 6000 yuans, soit les deux tiers de son revenu mensuel. Après avoir payé les produits de première nécessité, il n’a pratiquement rien pu économiser, dit-il. Et il doit encore économiser pour acheter une voiture. Même si sa petite amie, contrairement à de nombreuses Chinoises, n’exige pas de Mike qu’il ait une voiture et un appartement pour se marier, il considère que c’est « l’obligation d’un homme » d’y parvenir avant le mariage.
Mike espère avoir quelques économies pour s’occuper de ses parents, au moins pour couvrir leurs frais médicaux lorsqu’ils vieilliront. Il veut un enfant, mais préfère attendre d’être financièrement en mesure de lui offrir une bonne vie. Quant à la possibilité d’avoir plus d’un enfant maintenant que la politique de l’enfant unique a pris fin, Mike a dit « non » sans hésitation. « Je ne pourrais pas me le permettre !
Interrogé sur les informations diffusées par les médias d’État chinois selon lesquelles l’économie se redresse progressivement, Mike a répondu : « C’est de la propagande ! C’est exactement le contraire de ce que nous ressentons au sein de la population ».
« En ce qui concerne ma vie, je suis en récession », a-t-il ajouté.
Courtiser à nouveau le secteur privé
Récemment, les dirigeants du PCC ont rencontré des chefs d’entreprise, en particulier des sociétés de haute technologie, signifiant ainsi la fin de la répression des industries privées qui a duré trois ans.
Antonio Graceffo, analyste économique de la Chine et collaborateur d’Epoch Times, explique qu’il existe depuis longtemps une relation d’amour-haine entre le PCC et le secteur privé.
« Il est évident qu’en tant que communistes, ils doivent détester le secteur privé. Cependant, la Chine veut la croissance économique et elle se rend compte que le secteur privé est responsable de la majeure partie de la croissance économique », a-t-il expliqué à Epoch Times. « Ils sont assez intelligents pour s’en rendre compte et ne veulent donc pas tuer la poule aux œufs d’or. »
Selon M. Jefferson, le PCC ne s’est jamais départi de son mode de pensée « l’oiseau dans la cage », et cette mentalité persiste avec l’actuel dirigeant Xi Jinping.
Chen Yun, qui était aux côtés de Deng Xiaoping l’un des dirigeants du PCC les plus influents dans la conduite des politiques d' »ouverture » économique dans les années 1980, a déclaré que, dans le cadre des réformes, le secteur privé devrait fonctionner comme un « oiseau en cage ». La liberté de l’économie de marché est restreinte par les dimensions de la cage incarnée par la planification centrale.
Mike ne fait pas confiance à ces réunions pour une raison légèrement différente. Selon lui, si les sessions étaient dirigées par Xi, qu’il appelle « l’empereur », il aurait pu avoir un peu d’espoir.
Mais si ce n’était pas le cas, toutes les décisions pourraient être annulées par Xi à tout moment, et le système de la société chinoise fait passer la politique avant l’économie. Pour lui, le PCC donne la priorité aux dépenses publiques pour maintenir la stabilité ou le pouvoir du Parti, et toute mesure de relance se traduira par très peu d’argent dans les mains des citoyens, car les élites bénéficiant de relations au sommet en seront les principaux bénéficiaires.
Il a déclaré que de plus en plus de personnes comme lui ont commencé à s’interroger sur la nature structurelle des problèmes économiques de la Chine.
Il y a un an, dit-il, la plupart des gens continuaient à blâmer les États-Unis pour leurs problèmes économiques et faisaient écho à la propagande du PCC comme « Les impérialistes américains ne renoncent jamais à leur volonté de nous voir mourir ». Mais aujourd’hui, ils sont plus nombreux à se plaindre des problèmes structurels de la société chinoise, tels que la corruption des fonctionnaires du PCC.
Perspectives d’avenir
Le PCC n’a pas encore mis en place de mesures de relance à grande échelle. Elle a réduit les taux d’emprunt en juin et a récemment étendu l’allègement des prêts immobiliers aux promoteurs afin d’assurer la livraison des logements en cours de construction. Cette semaine, la Commission chinoise de régulation des valeurs mobilières a réduit les frais de gestion des fonds communs de placement afin d’attirer les investisseurs.
Par ailleurs, en début de semaine, un fonds spéculatif de Singapour a déposé une requête à Hong Kong pour forcer le promoteur Kaisa à se mettre en liquidation. Il s’agit du premier cas fondé sur des dettes impayées sur le continent, ce qui témoigne de l’impatience des créanciers et de leur manque de confiance dans la restructuration du secteur immobilier chinois. Auparavant, les requêtes de ce type ne concernaient que des dettes extraterritoriales. En avril, Evergrande, le promoteur immobilier le plus endetté au monde, a conclu un accord de restructuration avec ses principaux créanciers, qui prévoit notamment d’autoriser les détenteurs d’obligations à accéder aux actifs offshore de la société cotés à Hong Kong.
Le 6 juillet, le premier ministre chinois Li Qiang s’est engagé à introduire des « mesures politiques ciblées et coordonnées » en temps opportun pour relever les défis économiques actuels.
Selon M. Graceffo, le PCC lancera probablement un plan de relance pour achever les projets de construction en cours. Cependant, cela n’augmentera pas vraiment la demande, a-t-il ajouté, précisant que cela donnera un coup de pouce temporaire à l’emploi. Une partie des salaires de ces emplois peut être consacrée à la consommation, mais les immeubles d’appartements ou de bureaux resteront vides à long terme.
M. Jefferson a déclaré qu’en tant que pays en développement, la Chine aurait besoin d’une inflation de 3 ou 4 % pour s’adapter aux changements économiques structurels qui forgent de nouveaux secteurs dont les prix augmentent à mesure que l’argent s’écoule des secteurs affaiblis. « Lorsque la stabilité des prix est générale, c’est aussi la preuve que les secteurs qui alimentent la nouvelle croissance de l’économie ne sont pas vraiment présents. »
Selon M. Graceffo, l’économie chinoise va se dégrader à court terme. Et à long terme, la Chine pourrait ne plus connaître un taux de croissance supérieur à 5 %, à moins que quelque chose d’inhabituel ne se produise, a-t-il prédit. L’objectif de la Chine pour cette année est une croissance du PIB de 5 %.
« Je ne pense pas que la croissance puisse repartir à la hausse à long terme », a-t-il déclaré.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.