ARTS ET CULTURE

Anselm Kiefer au centre Pompidou

février 6, 2016 14:52, Last Updated: mars 19, 2021 3:47
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Le Centre Pompidou présente la première rétrospective en France depuis 30 ans des œuvres d’Anselm Kiefer, l’un des artistes les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle.

L’exposition présente 150 de ses œuvres des années 60 à nos jours. Parmi les œuvres, 60 peintures gigantesques comprenant ses chefs-d’œuvre emblématiques comme Resurrexit (1973), Quaternität (1973), Varus (1976), Margareth (1981) et Sulamith (1983) ou encore Für Paul Celan : Aschenblume (2006), ainsi qu’une quarantaine de vitrines et une installation produites à l’occasion de l’exposition.

Installations

Kiefer est avant tout un grand metteur en scène qui organise les idées et les matériaux en grand théâtre, que ce soit sur des tableaux géants ou en installations.

Une installation monumentale accueille le visiteur dans le hall d’entrée du Centre Pompidou. L’oeuvre ressemble à celles que l’artiste a réalisées à Barjac (Gard), son lieu de vie et de travail entre 1993 et 2007. C’est une « maison tour » ressemblant à une sorte de grande cabine de projection sur laquelle on peut grimper et à l’intérieur de laquelle des milliers de photographies prises par Anselm Kiefer au cours de sa carrière sont collées à des bandes de plomb opaques. « Ce n’est pas une projection, c’est une introspection pourrait-on dire », explique l’artiste dans un entretien avec le commissaire de l’exposition Jean-Michel Bouhours. Comme une suite de souvenirs déroulée, ces bandes alimentent la réflexion de l’artiste sur le temps et la mémoire, deux thèmes au cœur de son œuvre.

Une deuxième installation créée en 2015 – intitulée Pour Madame de Staël : de l’Allemagne, en hommage à Madame de Staël et au romantisme allemand qu’elle a introduit en France à l’époque napoléonienne – attend le visiteur dans la dernière salle.

Dans un sens, on pourrait qualifier l’œuvre de Kiefer de romantique, que ce soit dans l’héritage culturel qu’il aborde, les mythes germaniques ou les grands poètes allemands tels Goethe, Schiller ou Heinrich Heine, que ce soit dans la mélancolie qui émane de ses tableaux, les fantômes du passé qui le hantent ou que ce soit dans la taille démesurée de ses tableaux et la présence dense de la matière. Mais face à cette admiration devant les noms des grands poètes et philosophes qui ont mené le romantisme, Kiefer nous dit : « Attention », car ce mouvement a engendré également des monstres tels que le national socialisme ou la terroriste Ulrike Meinhof, membre de la bande à Baader.

Identité et mémoire

Kiefer, l’un des artistes fondamentaux de l’Allemagne d’après-guerre aborde avec une intensité plastique spectaculaire l’identité et la mémoire, l’amnésie, le deuil, les mythes germaniques, la culture yiddish disparue sous les cendres, les ruines et la création mais aussi la Kabbale, le Talmud qu’il découvre dans ses visites à Jérusalem ou encore la mythologie égyptienne et le bouddhisme. Le point convergent entre tous ces mythes se reflète dans le choix des matériaux comme la paille et le plomb, liés à l’alchimie, à la transmutation et à la résurrection.

Anselm Kiefer rentre dans la conscience publique en 1969 avec la série Occupations dans laquelle on le voit habillé du manteau militaire de son père, ancien soldat dans la Wehrmacht, faisant le salut nazi à côté des monuments historiques en Europe. D’ailleurs dans une des photos de la série il se présente comme l’icône romantique Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich.

Kiefer a été accusé de réveiller des souvenirs qu’on aurait préféré laisser enfouis. On l’a accusé par ailleurs de tendances nationalistes, alors que l’idée était de se confronter enfin au passé nazi. De réveiller l’amnésie collective allemande pour endosser une responsabilité dont il considère ne pas devoir taire l’héritage. Pour lui, la seule façon d’être artiste allemand après la guerre est de faire face au spectre.

Saturn – Zeit [Temps de Saturne], 2015. Verre, métal, argile, acrylique, plomb, cuivre, résine et encre. 152 x 180 x 70 cm. Collection particulière. (© Georges Poncet)
Étroitement lié au monde du livre et de la narration tantôt dans les titres, tantôt dans les sources d’inspiration, tantôt dans la création même des livres objets ou livres d’artiste qu’on peut d’ailleurs voir à la BNF jusqu’au 7 février, il travaille toujours avec les éléments de l’alchimie, la glaise, la paille, le plâtre, le verre et le plomb. Des éléments organiques, les feuilles mortes, le sable qui reviennent dans ces vitrines qu’il a créées pour l’exposition – sorte de vitrines de curiosité intimes où règne la nostalgie.

Mais voilà que vers la fin des années 90, l’artiste conclut un cycle par des champs de fleurs de couleurs vives dédié à Arthur Rimbaud et à Charles Baudelaire. Le noir et le gris font place à la régénération et à l’abondance de la nature, au rapport de l’homme aux étoiles entre le microcosme et le macrocosme entre le monde extérieur et le monde intérieur où chaque chose est vivante et où la fin signifie le début d’un nouveau cycle.

 

En savoir plus

Anselm Kiefer. Jusqu’au 18 avril. Centre Georges Pompidou. www.centrepompidou.fr

Anselm Kiefer, L’Alchimie du livre

jusqu’au 7 février. Bibliothèque nationale de France site François Mitterrand quai François-Mauriac www.bnf.fr

La poésie et l’œuvre d’Anselm Kiefer

Extrait de Fugue de Mort de Paul Celan :

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

Te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir

Nous buvons et buvons

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

Il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré

 

Paul Celan écrit ces vers en mai 1945, trois mois après la libération d’Auschwitz. Cette même année au mois de mars en Allemagne sous les bombardements des alliés, naît l’artiste Anselm Kiefer.

Paul Celan est roumain mais sa langue maternelle est l’allemand. Comment continuer à parler, à écrire dans une langue transmise avec le lait maternel mais noircie par les atrocités des nazis ? Celan se pose la question avant de se lancer dans une écriture hermétique. La question et la réponse se trouvent dans ce poème.

Comment continuer à faire de l’art après que les nazis s’en sont servis pour leur propagande et leur crime, se pose la question Anselm Kiefer, comme d’autres artistes de sa génération.

Hanté par les atrocités que son peuple a infligées et par les ruines d’une Allemagne bombardée dans lesquelles il passe son enfance, Kiefer nourrit de l’encre-lait de Celan retrouve dans les poèmes de ce dernier un écho à ses questionnements.

Kiefer réveillera, par deux de ses œuvres, des noms emblématiques que l’Allemagne essaie de refouler : Margarete (1981) et ses cheveux d’or – emprunté à la légende de Faust – mis en opposition avec Sulamith (1983) et ses cheveux de cendre – emprunté à l’ancien testament.

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