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Antisémitisme à gauche : « La gauche a toujours nié ses propres forfaits », selon Alexandre Del Valle

juin 6, 2024 14:58, Last Updated: juin 6, 2024 14:58
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Entretien – Le géopolitologue, essayiste et auteur de « Vers un choc global » (l’Artilleur) Alexandre Del Valle analyse pour Epoch Times les liens entre l’extrême-gauche et les mouvements pro-palestiniens, la montée de l’antisémitisme en France, l’entrisme des Frères musulmans dans la société et la récente visite de Xi Jinping en Europe et en France.

Epoch Times – Alexandre Del Valle, le 28 mai, le député LFI des Bouches-du-Rhône, Sébastien Delogu a brandi un drapeau palestinien lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. Comment interprétez-vous ce geste ?

Alexandre Del Valle – Il s’agit d’un réflexe tiers-mondiste, islamophile et antisioniste pour ne pas dire antisémite assez ancien puisque cela remonte à la guerre froide, lorsque l’URSS faisait de l’agitprop en Europe et dans tout l’Occident. Les Soviétiques instrumentalisaient la guerre du Vietnam ; il y avait des comités Vietnam un peu partout. Mais à la fin de la guerre, ces nombreux comités se sont transformés du jour au lendemain en comités Palestine.

L’URSS avait été l’un des premiers pays à reconnaître l’État d’Israël, mais a très vite compris, notamment dans les années 1970, que le thème de la Palestine était porteur dans le Tiers-monde et que, globalement, le sionisme était assimilé à du colonialisme. Ils ont pensé que c’était une bonne cause qui pourrait remplacer celle du Vietnam pour stigmatiser l’Occident. La Palestine a suscité un énorme enthousiasme auprès des révolutionnaires professionnels.

En même temps, le thème de la Palestine a aussi permis aux Soviétiques de manipuler le monde arabo-musulman. Depuis lors, la Palestine est devenue une cause sans objet, c’est-à-dire une cause mobilisatrice, pleine de symboles et de mythes, mais rien de concret n’a été fait pour les Palestiniens.

C’est devenu la cause du Tiers-monde, du monde musulman et des islamistes comme les Frères musulmans ou l’islamisme turc, ainsi que celle de toutes les minorités visibles en Europe travaillées par les forces islamo-gauchistes et tiers-mondistes anti-occidentales. Les minorités arabo-musulmanes ou africaines et les groupes identitaires exotiques anti-occidentaux en général se sentent proches de la Palestine et des musulmans palestiniens sacralisés comme « victimes par excellence » et « cœur de la cause des musulmans opprimés », même si, je le répète, personne ou presque parmi ceux qui brandissent cette cause ne part se battre pour les Palestiniens…

À commencer par les dirigeants arabes, et musulmans, qui en parlent autant qu’ils craignent le « Palestinisme », car s’ils se sentent obligés d’évoquer cette cause pour plaire à la dite « rue arabe », le Hamas, qui représente aujourd’hui la cause palestinienne déplacée vers Gaza, est combattu par la plupart des pays arabes qui y voient une branche révolutionnaire terroriste des Frères musulmans particulièrement déstabilisatrice et liée à l’ennemi suprême iranien. D’où l’embargo féroce de Gaza par l’Égypte et les accords d’Abraham conclus sur le dos des Palestiniens. La cause palestinienne n’a donc pas pour objet d’être servie en elle-même, mais de servir de levier de mobilisation révolutionnaire pour les uns et de cause qui permet de dévier l’attention des vrais problèmes des pays musulmans pour les dirigeants.

Ensuite, l’Intifada al-Aqsa de l’année 2000 a consisté à réislamiser de manière radicale la cause palestinienne, jadis moins religieuse et plus nationaliste-arabe laïque, de sorte qu’entre 2000 et 2005, et après l’assaut israélien contre le navire Mavi Marmara en 2010, cette cause jadis appuyée par le nationalisme arabe baathiste ou nassérien laïque est devenue la cause de l’islamisme sunnite des Frères musulmans, d’une part, très présents en Europe, et de l’islamisme chiite-révolutionnaire iranien, de l’autre, à partir de la Révolution islamique de l’Ayatollah Khomeiny qui avait d’ailleurs utilisé maints groupes terroristes palestiniens et les forces gauchistes du pays et du monde entier pour perpétrer sa révolution.

Entre temps, l’Iran révolutionnaire et tous ses proxys, Hezbollah libanais, Hamas de Gaza, Houthis du Yémen et Milices chiites irakiennes pro-Iran, ont instrumentalisé la cause palestinienne dont ils se fichent en réalité, comme l’islamisme turc d’Erdogan, afin de masquer la stratégie néo-impériale hégémonique de l’Iran au Proche-Orient cautionnée au nom de la révolution et de la « défense » de la Palestine.

Dans les années 2000, on se rappelle les manifestations menées par Marwan Barghouti et des premiers succès du Hamas qui gagnera les élections locales à Gaza en 2006 et fera croire que son combat terroriste aura été la raison du retrait de l’armée israélienne et des colons juifs, ce qui lui apportera une légitimité énorme qui fera trembler le rival OLP/Fatah de l’Autorité palestinienne en Jordanie. Sous l’impulsion de Barghouti, de l’OLP, mais surtout du Hamas, la cause palestinienne est devenue depuis ces années 2000 une cause islamiste.

Au même moment, s’opère en Occident un rapprochement entre les extrêmes-gauches et l’allié contre-nature islamiste. On voit alors apparaître à Bruxelles et à Londres, des listes islamistes-gauchistes pro-palestiniennes, pro-Hamas et pro-Hezbollah, avec une diabolisation des Juifs et des chrétiens qui sont accusés de persécuter les musulmans. Le concept d’islamophobie est mis en avant par eux et est systématiquement associé au « génocide des Palestiniens », le Palestinien étant devenu la figure martyre par excellence du musulman persécuté par ses bourreaux dénoncés depuis les massacres de juifs de Khaybar et Médine par les troupes de Mahomet mentionnés dans le Coran.

Donc, cette rencontre entre le pro-palestinisme et l’islamisme va créer le phénomène absolument explosif que l’on connaît aujourd’hui, ceci sur fond d’une extraordinaire propagande des Frères musulmans et de leurs alliés tiers-mondistes occidentaux visant à systématiquement faire croire que l’Esplanade des Mosquées est le vrai nom de l’Esplanade du Mont du Temple et que les Juifs profaneraient le « 3eme lieu saint de l’islam », alors que le Coran reconnait lui-même comme la tradition islamique, que la prière s’est tournée vers La Mecque après la dispute de Mahomet avec les Juifs et que les lieux saints de l’islam vraiment les plus sacrés sont La Mecque et Médine, appelés en arabe coranique Haramain, notion qui induit une paire et pas une trinité. Jérusalem n’était d’ailleurs même pas islamique et encore totalement judéo-chrétienne bien après la mort de Mahomet, et elle fut conquise par le Calife Omar qui n’a pas supprimé le caractère juif des lieux saints de Jérusalem.

La cause palestinienne, certes assez ancienne, a donc repris un coup de jeunesse ces dernières années, après sa baisse consécutive à la chute de l’URSS, ceci grâce à sa réislamisation et re-« religiosisation » décrite plus haut, et cette cause palestinophile elle-même réislamisée a été instrumentalisée par les gauches en général depuis qu’ils voient dans la cause islamiste en général, un nouveau levier révolutionnaire qui va poursuivre l’action des révolutionnaires ouvriéristes européens d’autrefois, ces derniers n’étant plus assez nombreux puisqu’il n’y a plus de gens assez syndiqués. Bref, un prolétariat révolutionnaire de substitution.

Je m’explique : cette cause réislamisée poursuit l’objectif initial de l’extrême-gauche : la déstabilisation de l’État bourgeois non plus seulement par le mécontentement des ouvriers prolétaires blancs devenus rares, mais par l’instrumentalisation de l’islamisme, et la récupération ou même l’invention d’une frustration des immigrés et descendants d’immigrés musulmans afro-arabes, turcs ou pakistanais appelés à ne pas s’intégrer et à se sentir « persécutés » par les « islamophobes », eux-mêmes solidaires des sionistes juifs génocideurs de musulmans palestiniens. Bref, la cause de la lutte contre « l’islamophobie structurelle » ou « systémique » de l’Occident est désormais confondue avec celle de l’islamisme, de la révolution trotskyste permanente, de l’antiracisme, du wokisme, de l’islamisme et de l’antisémitisme puis de l’anti-occidentalisme. Une véritable bombe à retardement civilisationnel qui fera de plus en plus des banlieues de l’islam des lieux de contre-sociétés et de « muslim vote ».

Depuis cette convergence révolutionnaire rouge-brune-verte, la cause palestinienne a une telle légitimité dans le Tiers-monde et dans la gauche, l’extrême-gauche et l’islamisme, qu’elle apparaît comme « sainte », une sanctification qui permet de légitimer le pire, c’est-à-dire le djihadisme pour une raison évidente : si les Juifs et leurs « complices » chrétiens et athées d’Occident participent au « génocide » des Palestiniens en Terre sainte profanée, et si les Juifs sont donc des nazis et les chrétiens leurs collabos, de surcroit complices du « diable », alors tout est permis contre eux et le djihadisme le plus barbare comme l’acte du 7 octobre est « pardonnable », voire excusable ou souhaitable, le Hamas étant non pas terroriste mais, comme les partisans français face aux nazis, mais une force de « résistance ».

Et si les Palestiniens et, à travers eux, les musulmans du monde entier sont victimes des Juifs et des chrétiens, alors la nouvelle croisade à l’envers est nécessaire, et le djihadisme le plus meurtrier devient légitime comme « seul » moyen de résister face à une force supérieure et diaboliquement « injuste ».

D’où mes analyses depuis le 7 octobre comme quoi le Hamas a réussi à redonner ses lettres de noblesse au djihadisme et a réussi à faire une extraordinaire opération de publicité mortifère mais efficace en faveur de la Palestine dont on reparle et que des États occidentaux commencent à reconnaître officiellement face à l’oppression et à la colonisation sionistes. C’est pour cela qu’il y a depuis le 7 octobre, comme une rencontre entre le djihadisme traditionnel et ceux qui soutiennent la Palestine, bref, un « prosélytisme philo-terroriste » sans précédent qui prépare des milliers de volcans djihadistes par mimétisme et capillarité dans nos « banlieues de l’islam » occidentales.

Les actes antisémites explosent en France. En janvier, le CRIF rapportait qu’ils étaient passés de 436 en 2022 à 1 676 en 2023. Quel est votre analyse ?

Ce n’est pas nouveau. Je parlais tout à l’heure de l’intifada Al-Aqsa dans les années 2000. À l’époque, il y a eu une explosion des actes antisémites dans les banlieues françaises avec une surenchère de l’islamisme et de l’extrême-gauche. Disons que depuis les années 2000, il y a une constante progression des actes antisémites et une constante banalisation de la parole anti-juive.

Alors bien sûr, les anti-juifs se disent opposés à l’antisémitisme quand ils sont de gauche. Ils prétendent qu’ils ne sont pas antisémites, mais ils le cachent de moins en moins, tout en le niant. Ils se disent antisionistes et affirment qu’ils n’ont rien contre les Juifs qui se taisent et qui renient Israël. Or la plupart des Juifs sont affectivement liés à l’Etat juif… En accusant de « complicité de génocide » les Juifs qui ne se taisent pas ou seulement qui sont fiers d’Israël, ils les traitent tous indirectement de génocidaires et donc de nazis, incroyable inversion et substitution des rôles historiques.

L’accusation de génocide des Palestiniens commis par les Juifs permet de légitimer un nouvel antisémitisme par une diabolisation maximale qui unit l’impérialisme, le nazisme, le génocide, l’islamophobie, le colonialisme et l’occidentalisme. Un antisémitisme qui n’est plus d’extrême-droite, et qui est d’ailleurs plutôt une judéophobie construite sur une pensée qui voudrait que le Juif possède de l’argent, qu’il influence les pouvoirs coloniaux et qu’il serait complice d’une islamophobie mondiale et d’une persécution, voire d’un génocide des Palestiniens.

Cette synthèse rouge-verte est très présente dans les milieux islamistes, wokistes de gauche et d’extrême-gauche, y compris au sein de la gauche sociétale moderne. Des cellules trotskistes à Harvard en passant par Science Po Paris et la quasi-totalité des facultés d’Occident. L’attaque djihadiste d’une barbarie extrême du 7 octobre, a paradoxalement propulsé la cause palestinienne radicale et la judéophobie diabolisante à velléité exterminatrice expiatoire. C’est une théorie que j’ai développée dans « La Stratégie de l’intimidation » (l’Artilleur). Je crois que plus l’islamise tue, au nom bien sûr d’un victimisme doloriste, plus il y a de gens, y compris en Occident, qui sont solidaires des musulmans en général et des Palestiniens en particulier. L’idée contre-intuitive dans la tête du djihadiste étant que si je commets une telle barbarie contre des Juifs, c’est qu’ils ont dû faire des choses horribles. Donc paradoxalement, quand le djihadisme tue, il renforce sa propre cause et il y a plus de gens, y compris chez les infidèles qui défendent l’islamisme. J’ai appelé cela le « prosélytisme par la terreur ».

Depuis le 7 octobre, on a donc affaire à un mouvement mondial de pro-palestinisme comme nous n’en avons jamais vu et une réhabilitation de la solution à deux États, de l’appel à reconnaître la Palestine, ce qui n’est pas honteux en soi, mais qui est grave car cette reconnaissance n’est plus à mettre au crédit de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, complètement dépassée et discréditée par les Gazaouis, mais au crédit des terroristes du Hamas, qui sont à présent estimés majoritaires en Cisjordanie et qui y gagneraient les élections s’il y en avait…

Hors, force est de constater que pareil État palestinien n’est pas viable, il est trop tard, hélas pour qu’il le soit pour une raison évidente stratégique ou tactique : en ayant presque toujours choisi la guerre et le terrorisme depuis 1948, les responsables palestiniens ont toujours donné un prétexte moral et opérationnel aux faucons israéliens qui ont pris des territoires à chaque guerre gagnée ou à chaque épisode terroriste. Rappelons que dans les années 1997-2005, non seulement le Liban sud a été restitué mais aussi Gaza, puis la gauche israélienne avait proposé l’accord historique de Camp David 2 et Taba visant à restituer 97 % des territoires occupés aux Palestiniens en échange d’une reconnaissance et d’une paix durable puis d’une renonciation au terrorisme.

Mais Yasser Arafat, poussé par les islamistes d’un côté et Jacques Chirac de l’autre, a refusé au dernier moment. Et le Hamas, au lieu de chercher la prospérité dans son fief de Gaza devenu autonome, d’Israël et de l’Autorité palestinienne, n’a cessé de remercier le départ de Tsahal par des envois de missiles et des attaques suicides djihadistes ou des prises d’otages. Résultat, la colonisation s’est poursuivie, puis le blocus, et la spirale du terrorisme du Hamas a rendu impossible la paix avec Israël convaincu que tout entité palestinienne autonome serait un ennemi terroriste à ses portes armé par l’ennemi suprême iranien…

Il y a donc aujourd’hui une « daechisation » de la cause palestinienne, même si bien sûr Daech et les salafistes en général se contre-fichent de la cause palestinienne. Cette « daeshisation » rend de plus en plus légitime un terrorisme barbare djihadisant et « démocratisé » que même des élus européens soutiennent à demi-mot, sans complexe. Les Palestiniens ont toujours pratiqué le terrorisme, notamment depuis Yasser Arafat, qui y a renoncé tactiquement très ou trop tard, mais aujourd’hui, il ne s’agit plus de kidnappings dans des avions comme dans les années 1970. Le néo-terrorisme palestinien est djihadiste de sorte que tout le monde peut être agressé, n’importe où et n’importe quand, n’importe quel Juif, y compris un enfant, une femme ou un progressiste qui défend les Palestiniens. Tout Juif parce que juif. Cette légitimation de la barbarie antisémite est quelque chose de sans précédent depuis la Shoah et elle a été permise par le Hamas et ses alliés iraniens révolutionnaires, avant d’être relayés par l’extrême-gauche mondiale.

Jean-Luc Mélenchon a affirmé que « l’antisémitisme reste résiduel en France » …

Il a intérêt à dire que l’antisémitisme est résiduel parce que c’est au sein de ses troupes que l’antisémitisme de type judéophobe est le plus actif. En même temps, le dire lui permet d’exonérer les siens. Et ensuite, il va accuser d’antisémitisme l’extrême-droite classique ultra, totalement marginalisée, en faisant croire que c’est elle seule qui est antisémite car « néo-fasciste » et raciste-xénophobe ».

Mais s’il était honnête, il dirait que l’antisémitisme est devenu résiduel à l’extrême-droite, et qu’il est en pleine recrudescence à gauche. Mais la gauche tiers-mondiste révolutionnaire formée aux techniques lénino-trotskystes de manipulation et d’agitprop a toujours nié ses propres forfaits en en accusant ses ennemis dans une logique d’inversion très efficace.

Même quand les staliniens ont massacré des millions de personnes, Sartre disait qu’il ne fallait pas le dire pour ne « pas décevoir le prolétariat ». Nous sommes habitués à ce phénomène de négation de l’antisémitisme et de la violence de la part de la gauche radicale puisqu’elle a comme carburant l’antifascisme et considère que seuls les fascistes sont antisémites et que contre eux et les « bourgeois » la violence révolutionnaire est légitime face à une légalité étatique « oppressive ». E

lle peut donc se permettre de dire de manière orwellienne qu’il faut combattre les antisémites, sous-entendu les fascistes, et en même temps minimiser puis cautionner par l’antisionisme ce même antisémitisme devenu un « anticolonialisme » et un nouvel « antifascisme ». Bref, l’antifascisme donnerait le droit d’attaquer les juifs car sionistes par nature et héritage.

Dans un entretien au JDD le 5 mai, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dénonçait l’entrisme des Frères musulmans, qui œuvrent au « basculement progressif de tous les pans de la société dans la matrice islamique ». Comment jugeriez-vous le niveau actuel d’implantation des Frères musulmans en France ?

Gigantesque, profond et enraciné. On peut dire qu’aujourd’hui, les Frères musulmans contrôlent la rhétorique. Ils ont réussi à imposer le thème de l’islamophobie, de la persécution des musulmans et la centralité de la Palestine. Et bien que je ne défende pas les Salafistes, il faut reconnaître que ces derniers, assez différents des Frères musulmans sur le plan idéologique et politique, n’ont pas imposé ces thèmes.

Le salafisme n’a que faire de la cause palestinienne et très peu de Jérusalem car pour eux, seuls comptent vraiment la Mecque et Médine. Idem pour l’islamisme pakistanais ou le mouvement Tabligh. Cependant, les Frères musulmans, depuis le Grand Mufti de Jérusalem, l’alliance avec les Nazis, puis les périodes pré et post nassériennes, en passant par l’inspiration de la révolution islamique chiite iranienne et leur alliance avec l’extrême gauche sous la guerre froide, ont toujours porté la cause de la Palestine pour des raisons de propagande et d’infiltration des milieux révolutionnaires du monde entier et surtout d’Occident.

Le palestinisme est beaucoup plus porté aujourd’hui par les Frères musulmans et en général par les islamistes proches de cette mouvance. Les Frères musulmans, qui sont très politiques, ont réussi à instrumentaliser la cause palestinienne pour s’unir avec les milieux révolutionnaires. C’est tout le travail effectué par le père de Tariq Ramadan, Saïd Ramadan, qui a installé la mouvance en Suisse et en Allemagne et dont le fils, Tariq Ramadan, donc petit-fils du créateur des Frères, Hassan Al Banna, doit tous ses succès associatifs et médiatiques à sa longue alliance avec les milieux gauchistes et humanitaires tiers-mondistes pro-palestiniens.

À l’heure actuelle, les Frères musulmans sont présents partout en Europe. Ils tiennent des écoles, des mosquées, des centres islamiques, ils infiltrent les médias. Ils infiltrent également les partis politiques. En Belgique par exemple, ils sont très présents à l’extrême-gauche et chez les écologistes. Ils ont même réussi, comme leur allié turc Milli Görüs, à infiltrer la Commission européenne qui finance leurs campagnes en faveur du foulard islamique et de la lutte contre l’islamophobie.

Les Frères musulmans, en tant que mouvance très politique, n’hésitent pas à prendre beaucoup de libertés avec le texte coranique. Dans le Coran et la loi islamique, la Palestine n’est pas du tout un élément central. Elle est très secondaire puisque ce qui est central dans la véritable idéologie islamiste, c’est la Mecque et Médine, les deux lieux saints.

Par leur extrême politisation, leur entrisme dans les partis politiques, ils ont diffusé dans la société une idéologie islamo-palestinienne très explosive que les États européens vont payer dans l’avenir très cher, car l’idée selon laquelle l’Europe « islamophobe » traiterait les musulmans « comme Israël traiterait les Palestiniens », est un véritable volcan.

Sont-ils plus influents auprès d’une certaine partie de la société ? Les jeunes, par exemple ?

Ils sont très influents auprès des jeunes, plus particulièrement à l’époque où Tariq Ramadan était très médiatisé. Il fascinait tout le monde et notamment les jeunes. Je me souviens de certaines de mes étudiantes qui étaient séduites par sa personnalité charismatique et par son discours. C’est un peu moins le cas aujourd’hui. Mais cela n’a pas plus d’importance, parce que les Frères musulmans ont déjà pénétré le cerveau de la gauche, de l’extrême gauche, des écologistes, de tout ce qui est progressiste ou qui soutient la Palestine, et de la plupart des mouvances islamistes arabes, turques ou même pakistanaises qui reprennent leurs rhétoriques.

Aujourd’hui, tous ceux qui soutiennent la Palestine sont de près ou de loin « frères-musulmanisés », surtout parce que le Hamas a réussi à prendre le leadership du palestinisme sur l’OLP et le Fatah. Or le Hamas vient des Frères musulmans, et il a ringardisé les dirigeants de l’Autorité palestinienne avec les massacres du 7 octobre.

On peut vraiment dire que les Frères musulmans donnent le ton. Ils instrumentalisent et fanatisent la jeunesse depuis les années 2000 et maintenant, ces jeunes occupent différentes fonctions comme imam, directeur d’école, journaliste et syndicaliste.

Les Frères ont obtenu pour ce faire les énormes moyens financiers du Koweït et surtout du Qatar, de son Qatar Charity et de l’European Trust. Sans parler du Soft power énorme d’Al-Jazeera TV et de la plateforme multilingues Al-Jazeera plus sur le Web et les réseaux sociaux.

Ce sont eux qui sont de surcroit aux commandes des grandes instances de représentation de l’islam européen. J’en veux pour preuve le texte de l’ISESCO sur la « Stratégie de l’Action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique » publié en 2000. Puis le Conseil pour la prédication et la Fatwa de Dublin, ou encore l’Université de formation des imams européens de Château Chinon et Saint Denis, à Saint Léger du Fourgeret, créée par eux sous l’égide du plus grand penseur jurisconsulte frériste Youssef al-Qardaoui, décédé récemment et auteur du best-seller inégalé en Europe, « Le Licite et l’illicite », destiné aux musulmans Occidentaux et du monde entier, appelés à promouvoir le suprémacisme panislamique et à ne pas s’intégrer aux mœurs des « mécréants » – mais au contraire à conquérir l’Europe en commençant par une « charia de minorité » appelée à devenir une majorité…

Le leader chinois, Xi Jinping s’est rendu au mois de mai en France à l’occasion du 60e anniversaire des relations franco-chinoises, avant de s’envoler pour la Serbie et la Hongrie. Quel bilan faîtes-vous du dernier déplacement de Xi Jinping sur le vieux continent ?

Xi Jinping a compris que l’Allemagne, comme le dit Emmanuel Todd dans son dernier livre, a obéi servilement aux injonctions de l’OTAN pour sacrifier son industrie et a accepté de ne rien dire sur Nord Stream 1 et 2, même de commencer à rompre les liens avec la Chine, qui était pourtant extrêmement utile pour l’industrie allemande.

Il faut avouer, même si cela paraît immoral, que la main-d’œuvre d’Europe de l’Est, le gaz russe pas cher et les délocalisations en Chine faisaient la force de l’industrie allemande. Et de ces trois avantages, il ne reste que la main-d’œuvre l’Europe de l’Est et la Chine pour un temps incertain étant donnée la guerre économique USA-Chine qui s’amorce.

Par conséquent, Pékin s’est rendu compte que Berlin, jadis considéré comme un partenaire important, est en train de quitter le giron – nouvelle guerre froide oblige. La Chine a donc décidé de se tourner vers la France, profitant de notre incohérence et de nos contradictions. Nous sommes incohérents puisque nous adoptons à la fois des postures très antirusses et fortement prochinoises.

La France apparaît pour la Chine comme un coin dans l’Europe réceptif à un discours d’apaisement avec la Chine, faisant ainsi la différence avec les Américains. Par ailleurs, l’Italie de Giorgia Meloni a cassé l’accord de coopération entre Rome et Pékin qui faisait de l’Italie le principal débouché de la route de la soie en Europe méridionale et méditerranéenne (BRI, Belt and road initiatives »).

La Chine souhaite véritablement axer sa coopération avec les trois maillons faibles de l’Europe : la France qui est incohérente avec sa rhétorique antirusse et prochinoise, la Serbie, parce qu’elle a des rancunes envers l’OTAN depuis les années 1990 et parce qu’elle est un partenaire privilégié de Pékin depuis longtemps, et la Hongrie parce que Budapest veut jouer une partition complètement différente du reste de l’Occident et entend, comme la Serbie, jouer l’équilibre entre Occident et le monde russo-chinois dans une logique de multi-alignement plus encore que de neutralité. Bien qu’étant membre de l’OTAN et l’Union européenne, la Hongrie s’offre à la fois aux Russes et aux Chinois.

Ce déplacement était donc très cohérent et il a montré une victoire de Xi Jinping qui profite des divisions au sein du camp occidental.

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