Apprendre à cuisiner pour combattre la prévalence de l’obésité alors que se multiplient les crises industrielles et que la méfiance vis-à-vis de l’agroalimentaire se développe : c’est le défi relevé par le programme de recherche AFCC « Arts de faire culinaires au collège », inscrit au PNA (Programme National pour l’Alimentation), dans le but d’ouvrir une alternative à d’autres initiatives telles que le Programme National Nutrition Santé (PNNS).
Les changements industriels et sociétaux favorisent une modification des « pratiques culinaires, qui deviennent multiformes ». Éduquer à l’alimentation suppose de développer l’autonomie des individus au-delà de la transmission d’indications nutritionnelles. En effet, les pratiques alimentaires et culinaires reposent sur un apprentissage de la consommation, complexe à appréhender.
La médecin-nutritioniste Dominique-Adèle Cassuto (spécialiste de la nutrition des adolescents) en est convaincue : « la cuisine pourrait être un levier pour traiter l’obésité car la génération Z est vraiment très intéressée par cette activité ».
Une prise de conscience collective sur l’importance de la pratique culinaire est donc en cours en France comme au Québec pour répondre au désir de l’adolescent contemporain de devenir autonome et acteur de sa consommation.
Éduquer les adolescents à la pratique culinaire
La pratique culinaire des adolescents reste à construire et à guider
L’éducation alimentaire est une co-construction entre plusieurs agents de socialisation : l’école, la famille, les médias, le gouvernement, les marques… qui promeuvent des discours qui se télescopent parfois, se contredisent souvent, créant une situation d’anomie alimentaire ainsi que des tensions et des paradoxes dans l’esprit du jeune consommateur.
Le rôle du collège dans l’éducation à la consommation alimentaire
Différents travaux montrent que l’éducation alimentaire pratiquée à l’école ou au collège ne semble pas en mesure de créer des passerelles efficaces pour transmettre les savoirs et savoir-faire dispensés aux élèves afin que ces derniers les réinvestissent dans leur environnement familial et leur vie quotidienne…
Même si les programmes scolaires incluent un projet d’éducation alimentaire, on constate que les enseignants qui le mettent en œuvre procèdent à une simplification des repères donnés par le PNNS. Ainsi, souvent circonscrite à une information nutritionnelle et réalisée par des enseignants qui n’ont ni le temps ni les compétences spécifiques d’un nutritionniste pour aborder la notion de diète globale, cette éducation n’est pas réinvestie par les enfants dans leurs sociabilités alimentaires en famille ou entre pairs : goûters, lunch box, cantine, etc.
Ces mêmes sociabilités sont en revanche particulièrement bien valorisées par le monde marchand qui parvient à immiscer les marques d’une façon très naturelle dans la vie quotidienne des jeunes…
Les effets de l’éducation sensorielle pratiquée dans les classes du goût, les restos du goût ou les familles du goût sont efficaces pour réduire la néophobie alimentaire, en particulier chez les enfants de 7 à 9 ans. Cependant, le caractère ponctuel de cette éducation sensorielle dans le cadre formel de l’école se trouve rarement relayée en-dehors, ce qui compromet la persistance de ses effets chez l’enfant. Les résultats de telles actions, conduites dans un cadre non expérimental, sans évaluation ni suivi régulier, sont complexes à évaluer et sont peu documentées, ce qui les rend difficilement reproductibles.
Par ailleurs, l’objectif d’autonomisation des élèves constitue le septième pilier du Socle commun de connaissances et de compétences intitulé « L’autonomie et l’initiative ». Celui-ci répond à une demande sociale appelant chaque collégien à devenir davantage responsable et acteur de ses apprentissages. Cette nouvelle perspective éducative alimente le paradoxe de l’autonomie en contexte scolaire, avec l’objectif de susciter chez l’enfant la demande suivante : « aide-moi à faire tout seul ».
Ce paradoxe existe aussi au sein de la famille, car en grandissant, le jeune cherche, d’un côté, à s’inscrire dans la famille et à prendre un rôle actif dans la définition de celle-ci, et d’un autre côté, il souhaite s’autonomiser et construire son identité personnelle au-delà de son appartenance familiale.
Dans ce contexte, tenter d’observer et d’accompagner les pratiques culinaires des adolescents suppose de considérer que les expériences culinaires des adolescents sont multiformes car ces derniers naviguent entre des héritages culinaires pluriels qui combinent cuisine familiale, cuisine du pays et « cuisine du terroir » ou le « fait maison ».
L’introduction de la pratique culinaire au collège
Guider les pratiques culinaires ordinaires des collégiens
L’introduction de la pratique culinaire au collège peut-elle constituer une voie alternative aux approches d’information nutritionnelle ou d’éducation sensorielle ? Comment rendre les adolescents acteurs de leur consommation alimentaire ?
Il ressort des actions précédentes (PNNS, classes du goût…) que le projet d’éduquer à l’alimentation ne doit pas se limiter à informer les jeunes sur les bonnes pratiques alimentaires.
Il convient de replacer l’intervention du collège dans un processus de co-construction avec d’autres acteurs tels que la famille, le groupe de pairs, les médias, etc. à travers des dispositifs d’action et de mise en pratique susceptibles de développer des repères critiques et des compétences culinaires. Objectif : conduire les adolescents à prendre conscience de l’importance d’une pratique culinaire quotidienne pour leur santé à long terme.
Ce programme trouve son origine dans une demande sociale issue des constats dressés par le chef de l’établissement pilote situé d’un quartier sensible à Angoulême : mais aussi par les personnels du service restauration de la cité scolaire suite à des rencontres avec la diététicienne responsable de la validation des grilles de menus dans les établissements scolaires de la région.
Ces échanges ont permis de cerner des problématiques clefs :
- difficultés à faire évoluer les habitudes alimentaires des collégiens par les actions habituellement mises en place ;
- difficultés à associer les familles au projet d’établissement puisque seule une dizaine de parents d’élèves de catégories socio-professionnelles favorisées participaient aux événements du collège ;
- désintérêt des collégiens pour la restauration scolaire confirmé par des études réalisées auprès des usagers du restaurant scolaire.
La recherche-intervention longitudinale conduite avait pour objectif d’accompagner la mise en place d’actions éducatives sur 3 ans (de la classe de 5° à la 3°), mais aussi d’évaluer les effets de ce programme. L’évaluation portait à la fois sur les connaissances alimentaires et compétences culinaires de collégiens, et plus largement, sur les logiques de coopération effective entre les acteurs de la communauté éducative : équipe administrative, enseignants, personnel de restauration, parents, etc.
Lancé en septembre 2013, le programme AFCC a structuré des enseignements et 30 ateliers pratiques regroupés sous forme de 5 modules complémentaires couvrant les thèmes de l’alimentation, de la cuisine, de l’environnement, des médias, des métiers… de façon à ce que les adolescents acquièrent, par une mise en pratique guidée, une plus grande conscience des enjeux liés à la consommation alimentaire.
Ce dispositif innovant a pour objectif de contribuer à transformer les pratiques et les compétences culinaires du collégien, à l’interface entre l’école, la famille et l’univers marchand.
Son originalité consiste à établir une passerelle entre les pratiques culinaires découvertes au collège et les habitudes familiales.
Voici une vidéo de présentation du programme réalisé par le réseau CANOPE :
Les résultats de cette initiative
Grâce à l’initiative et à l’implication enthousiaste de la directrice du Collège Marguerite de Valois et du groupe de pilotage, à Angoulême, les collégiens ont suivi pendant 3 ans (2013-2016) ce programme pilote.
Les résultats sont positifs au chapitre de l’appropriation et de l’autonomisation des participants vis-à-vis de la pratique culinaire, mais varient aussi selon plusieurs facteurs comme le style éducatif parental et la culture alimentaire familiale. On compte, parmi les autres effets de cette initiative :
- le taux d’absentéisme des élèves a chuté de façon radicale dans le cadre du projet ;
- les AFCC a entraîné, grâce aux compétences managériales du groupe de pilotage, une mobilisation de toute la communauté scolaire ;
- les familles se sont réinvesties dans le collège.
Et voici quelques témoignages de l’équipe pédagogique suite au programme, extraits du guide méthodologique :
Emilie Orliange, Doctorante en Comportement du Consommateur/Ingénieure de recherche – Chargée du programme AFCC « Arts de Faire Culinaires au Collège », Université de Poitiers
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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