L’Irak a décrété mercredi trois jours de deuil national après une centaine de morts dans des manifestations et violences, dont l’arrêt il y a 48 heures n’a pas fait retomber la tension parmi les Irakiens inquiets de la poursuite d’une coupure quasi-totale d’internet.
Alors que Washington a appelé Bagdad à « rendre des comptes » après plus de 100 morts et plus de 6.000 blessés, selon le bilan officiel, dans un mouvement inédit de contestation sociale, le Premier ministre Adel Abdel Mahdi s’est de nouveau adressé à la nation en soirée.
Il a promis des « enquêtes exhaustives », des compensations pour les familles des « martyrs », manifestants ou membres des forces de sécurité tués, et refait la liste des mesures sociales qu’il a proposé depuis le début de la contestation, sans convaincre alors parmi les manifestants qui disent n’avoir « plus rien à perdre ».
Le chef de gouvernement a en outre assuré qu’il proposerait jeudi un remaniement ministériel au Parlement, alors que les manifestants et l’influent leader chiite Moqtada Sadr, jusqu’ici partie de la coalition gouvernementale, réclament sa démission.
La vie semble être revenue à la normale
A Bagdad, deuxième capitale la plus peuplée du monde arabe, la vie semble être revenue à la normale, avec des embouteillages sur les principaux axes, la réouverture des écoles, des administrations et des commerces.
Aux entrées de la ville et au-dehors toutefois, les check-points barrant les principaux axes du pays fouillaient les véhicules, tandis que des troupes supplémentaires y étaient déployées.
L’Irak est entré le 1er octobre dans une spirale de violences: des manifestations d’apparence spontanée et motivées par des considérations sociales ont eu lieu à Bagdad et dans des villes du sud, et les protestataires ont rapidement essuyé des tirs à balles réelles.
L’armée a reconnu un « usage excessif » de la force, mais uniquement dans la nuit de dimanche à lundi lorsqu’au moins 13 manifestants sont morts lors d’affrontements avec des protestataires dans le bastion chiite de Sadr City, à Bagdad.
Sur l’ensemble de la semaine, un flou persiste sur les auteurs de la répression. Les autorités ont évoqué des « tireurs non identifiés ».
Amnesty International a appelé mercredi les autorités à enquêter « correctement » sur l’« usage excessif et mortel » de la force. Par ailleurs, Amnesty a dit avoir recueilli des témoignages décrivant une « campagne sinistre de harcèlement, intimidation et arrestations de militants pacifiques, journalistes et manifestants ». L’ONG a aussi indiqué avoir interviewé huit militants qui ont dit avoir vu des manifestants être tués par des tireurs embusqués.
Si la violence a cessé à Bagdad et dans le sud, les réseaux sociaux restent inaccessibles, alors que des militants ont largement filmé les violences.
Après des jours entiers sans internet, les Irakiens parviennent désormais à retrouver une connexion par saccades dans la matinée ou lors des discours des hauts dirigeants du pays en soirée, mais sans aucun accès aux réseaux sociaux.
Les autorités n’ont jusqu’ici pas commenté cette déconnexion qui touche environ trois quarts du pays, selon l’ONG spécialisée dans la cybersécurité NetBlocks.
Le mouvement social a dégénéré en crise politique
Face aux événements sanglants, le mouvement social a dégénéré en crise politique.
Dans un pays écartelé entre ses deux principaux alliés, l’Iran et les Etats-Unis, où les dirigeants s’accusent mutuellement d’allégeance à des puissances étrangères, le président Barham Saleh a lancé un appel aux « fils d’une même nation ».
Il a décrété un « dialogue national » qui, pour le moment, a donné lieu à une série de rencontres, entre parlementaires, ainsi qu’entre gouvernement et chefs tribaux et de partis politiques.
Tous ces représentants ont été conspués par les manifestants, qui, fait inédit, n’ont pas répondu à l’appel de figures politiques ou religieuses.
Le gouvernement et le Parlement ont annoncé des mesures sociales visant à apaiser la colère de la rue, qui s’élève contre la corruption, le chômage et la déliquescence des services publics, dans un pays pétrolier où plus d’un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Dans la nuit, la diplomatie américaine a annoncé que le secrétaire d’Etat Mike Pompeo avait appelé le gouvernement irakien à la « retenue maximale ». « Ceux ayant violé les droits humains devront être tenus responsables », a-t-il ajouté.
Mercredi, Londres a exprimé « sa préoccupation » face aux récentes violences.
Sur Twitter, le chef de la diplomatie Dominic Raab a dit avoir souligné auprès de M. Abdel Mahdi la nécessité de « respecter le droit à manifester pacifiquement et la liberté de la presse ».
Today, I spoke to Iraqi PM Adil Abdul-Mehdi @iraqipmo to affirm UK commitment to helping counter Daesh, bring stability, reinforce the justice system and boost trade. I raised concerns about the response to recent protests – the need to respect peaceful protest & media freedoms.
— Dominic Raab (@DominicRaab) 9 octobre 2019
Touché comme la capitale Bagdad par les violences, le sud de l’Irak se prépare par ailleurs à commémorer le 20 octobre l’Arbaïn, le plus grand pèlerinage de l’islam chiite au monde, qui rassemble des millions de visiteurs, principalement d’Irak et d’Iran.
La plupart converge à pied depuis Bassora, à la pointe sud de l’Irak, ou de Bagdad, vers le tombeau de l’imam Hussein à Kerbala, à 100 km au sud de la capitale.
Des cars de pèlerins iraniens sont déjà arrivés dans les « maoukeb », ces tentes qui accueillent les visiteurs avec nourriture, boissons et chants religieux branchés sur des haut-parleurs tonitruants. Quelque 1,8 million d’Iraniens y avaient pris part en 2018, selon Téhéran.
Commentant la récente contestation chez son voisin, l’Iran a dénoncé un « complot » mené par « des ennemis » de la République islamique pour semer la discorde entre Téhéran et Bagdad. Ce « complot a échoué », a jugé le Guide suprême iranien, Ali Khamenei.
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