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Après l’EI, la « haine » ronge les familles à Mossoul

juin 23, 2019 13:08, Last Updated: juillet 12, 2019 14:26
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En 2014, quand les jihadistes ont pris Mossoul, Haitham Salem a pris la fuite mais son neveu les a rejoints et depuis, il ne parle plus à sa soeur. Dans cette grande ville d’Irak, aucune famille n’est épargnée par ces fractures toujours à vif.

Il y a ceux devenus des parias parce qu’un ou plusieurs de leurs proches ont rejoint le groupe jihadiste Etat islamique (EI). Les déplacés revenus à Mossoul sont eux boudés car ils avaient fui en laissant derrière eux des proches. D’autres habitants n’ont pu se parler pendant des années car les jihadistes coupaient les communications et les combats barraient les routes.

Dans la cité septentrionale de près de deux millions d’habitants, laminée par des années de violence, de tensions entre communautés et de rancœurs tues, le lien social doit impérativement être retissé, préviennent militants et experts. Sans cela, avertissent-ils, les démons d’un passé pas si lointain resurgiront.

Pourtant, entre Haitham Salem, 34 ans, et sa sœur, Oum Mahmoud, dont le fils a rejoint l’EI, la plaie est toujours béante. Ce fonctionnaire a été déplacé au Kurdistan, plus au nord, tandis que sa sœur est restée à Mossoul, alors la « capitale » du « califat » autoproclamé de l’EI.

« Elle me reproche de ne pas avoir demandé de nouvelles d’elle » pendant deux ans, « mais les jihadistes interdisaient les téléphones portables et je ne savais même pas où elle était », se défend-il.

Avant d’exposer clairement ses griefs. « La vérité, c’est qu’on ne sait toujours pas ce qu’est devenu son fils et que les forces de sécurité ne la laissent entrer dans sa maison ». Un traitement réservé aux proches de jihadistes ou à ceux accusés de liens avec l’EI, qui jette l’opprobre sur toute la famille élargie.

Dans ces conditions, ils sont nombreux, comme Haitham Salem, à clamer avoir pris leurs distances avec un proche associé à l’EI, chassé en 2017 de Mossoul. Raghid Ali, lui, a dénoncé son cousin qui avait rejoint l’EI. « Dès la libération, j’ai indiqué aux forces de sécurité où il se cachait et depuis mes relations avec mon oncle se sont détériorées », raconte à l’AFP ce chômeur de 30 ans.

Oum Ali, femme au foyer de 42 ans, elle, aimerait bien renouer avec sa sœur. Mais elle n’y parvient pas.  Quand son neveu a été exécuté par l’EI, elle n’a pu se rendre aussitôt chez sa sœur pour lui présenter ses condoléances. Elle l’a fait dès la « libération » de son quartier.  Trop tard. « Ma soeur est têtue et refuse de comprendre que notre quartier était assiégé par les jihadistes, elle m’a chassée de chez elle », raconte Oum Ali, abaya noire et foulard assorti.

« Je ne comprends pas pourquoi il y a tant de haine entre Mossouliotes aujourd’hui. Nous devrions être plus compatissants après tout ce que nous avons vécu », se lamente cette mère de trois enfants. Pour Mohsen Saber, 26 ans, marchand dans le centre historique, le gouvernement doit prendre des mesures pour aider à la réconciliation. « Il faut s’occuper des familles de jihadistes: juger ceux qui ont été impliqués dans des crimes et réintégrer les autres dans la société ».

Mais au-delà du rôle de l’Etat et des tribunaux dans la société irakienne profondément tribale et composée de multiples ethnies et confessions, les clans et leur justice traditionnelle ont aussi leur mot à dire, plaide cheikh Ali al-Tamimi.

« Nous sommes pour bannir les familles qui ont soutenu l’EI et l’Etat doit les juger », affirme ce dignitaire tribal. « Mais une mère, un père, une épouse ou un enfant de jihadiste qui ne l’a pas soutenu n’a rien à se reprocher ». A ceux-là, dit-il, s’applique le verset coranique « Personne ne portera le fardeau d’autrui ».

Dans l’ouest sunnite du pays, des tribus ont annoncé accepter le retour de femmes et d’enfants de jihadistes et affirmé garantir leur sécurité.  Ils désengorgent ainsi les camps de déplacés devenus des centres de rétention à ciel ouvert, où des centaines de familles accusées de liens avec l’EI sont empêchées de partir par des autorités craignant la création de nouvelles cellules de l’EI, mais aussi effrayées à l’idée de vendettas.

Tous ceux là sont aujourd’hui, préviennent les militants, des proies faciles pour la radicalisation à cause du sentiment d’injustice répandu parmi les sunnites, minoritaires en Irak.  A Mossoul, le département des divorces du tribunal de la ville ne désemplit pas, des familles ont été forcées de changer de maison ou de quartier, des amis ont cessé de se fréquenter.

Et les fractures pourraient s’aggraver alors que le marasme économique et social persiste dans l’ancien fleuron commercial de l’Irak, prévient Amal Mohammed, militante des droits humains à Mossoul. Car « face à la corruption des responsables et au chômage, les terroristes vont recruter » de nouveau.

D.C avec AFP

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