Esquisse de la politique au cinéma

Écrit par Alain Penso
28.01.2010

  • La Boulangère de Monceau (1963) d’Éric Rohmer.(攝影: / 大紀元)

Les théoriciens du Septième art

Le cinéma politique commence avec des sujets sur l'idéologie largement inspirés de l'histoire russe et des films russes. C’est le premier cinéma à avoir fait quantité d'expériences propres au genre.

 

Les théoriciens du cinéma pionniers de cette discipline nouvelle étudient l'impact sur les consciences des mouvements de caméra et du montage de ce nouveau mode d'expression aux ressources inépuisables. Lev Koulechov (1899-1970), Eisenstein (1898-1948), Dziga Vertov de son vrai nom Abramovitch Arkadiévitch (1896-1954) vont, non pas révolutionner le cinéma, mais lui donner une âme qu'il possédait pourtant implicitement depuis déjà bien longtemps, bien qu’étouffée par le manque de manifestation de son expression.

 

Du Cuirassé Potemkine à L'Homme à la Caméra

La technique du cinéma sera très vite acquise dans presque tous les pays du monde. L'Union Soviétique est très vite séduite par cet instrument qui sera porté très loin dans l'art du symbolisme politique. Le cinéma devient une arme de propagande. Les dirigeants de ce pays ne se sont pas trompés en devenant l'ami du Septième art – statut qu’ils ont acquis grâce à des cinéastes aux pouvoirs artistiques et techniques immenses. La persuasion des masses populaires ne passe plus seulement par les discours, non suffisamment éclairés par la magie, mais par le cinéma. Présenté à Paris au Studio 28, L’Homme à la caméra de Dziga Vertov va parcourir le monde opposant son sens du documentaire contenu dans l'expression «Cinéma œil» au cinéma drame, celui d’Eisenstein, représenté par le Cuirassé Potemkine spécialement réalisé par le cinéaste pour commémorer la révolution ratée d'octobre 1905. C’est une œuvre de commande. Il choisira de représenter la révolte à bord du bateau de guerre Potemkine, comme si ce dernier se cachait derrière son œilleton. Vertov surprend les pulsations du monde.

 

Boris Kaufman, L'Atalante de Jean Vigot

Boris Kaufman, le frère de Dziga Vertov et son directeur de la photographie, travaille avec Jean Vigo, le réalisateur talentueux de L'Atalante (1934) film de fiction avec Michel Simon. Chaplin est enthousiaste du travail de sonorisation entrepris sur le film et de Dziga Vertov.

 

Pionnier du documentaire ouvert sur l'extérieur et les autres mondes, il essaimera dans l'univers des arts et de la connaissance avec ses théories sur l'ouverture totale pour être à la connaissance de ce qui l'entoure. Ce que ne toléreront pas plus tard les autorités politiques de son pays. Eisenstein, plus inspiré par la fiction et ses recherches techniques sur le sens des images, montre que bien des séquences peuvent être détournées de leur destination. Ce que l'on voit objectivement peut faire naître un autre sens. Ainsi, échappant tout d'abord à la première vision du film nichée derrière l'image, il suffit de gratter le verni pour qu’apparaisse une seconde vision des événements exposés.

 

Les aventures de M. West au pays des Bolcheviks

Le personnage venu visiter l'Union soviétique exprime des désirs qui sont ceux des Soviétiques eux-mêmes, sans ressources et laissés à l'abandon sans aucun pouvoir de faire bouger les choses. Le scénario plus précis est l'histoire de M. West qui veut se rendre en URSS. Sa famille est imprégnée par la presse américaine qui montre le Bolchevik comme un brigand, un couteau entre les dents. Koulechov critique le système politique avec subtilité sans en révéler les ressorts secrets.

 

Très vite le cinéma soviétique est muselé par le parti communiste qui prend la direction du cinéma et lit tous les scénarios, mais sans prendre garde que les génies du cinéma soviétique peuvent avec adresse détourner le sens de l'histoire par le biais du traitement des images et des plans.

 

Tout le cinéma à thèmes politiques subit l'influence de ce cinéma coulé dans l'idéologie du pouvoir. Un cinéma de contre pouvoir se construit, basé sur la critique des systèmes totalitaires. Le cinéma dépasse l'esthétique pour entrer dans l'ère du contre-pouvoir, celui qui permet au citoyen de prendre la parole. Ces cinémas seront partagés en deux parties distinctes : les films d'histoire de l'opposition, passifs sur un temps où il aurait fallu intervenir, et les films actifs qui permettent d'influer sur le déroulement des événements.

 

Alexandre Nevski d'Eisenstein est plus un film de propagande qu'un film de critique politique. Il laisse le choix de la réflexion mais ne concède rien au spectateur qui n'a qu'une voix de ralliement possible.

 

Dès le début du cinéma, les frères Lumière filment la sortie des usines Lumière, analysant ainsi, sans même en prendre conscience, la situation de la classe ouvrière.

 

Avec Naissance d'une nation (1915) de D. W. Griffith, le cinéaste filme la situation des noirs persécutés par les blancs au travers des comités de vigilance. Le film rapporte 15 millions de dollars et est l'un des plus gros succès de l'histoire du cinéma. Il raconte, 50 ans après la guerre de sécession, la reconstruction du pays d'un point de vue sudiste. Son énorme popularité a contribué à la renaissance du Ku Klux Klan qui avait pourtant disparu à l'époque de la sortie du film.

 

Ainsi la politique allemande savait utiliser le cinéma de propagande pour mener à bien ses activités racistes. Goebbels était le maître incontesté de la manipulation des masses. Il avait proposé à Fritz Lang dès 1933, le poste de responsable du cinéma nazi. Ce dernier avait décliné l’offre qu’il ne pouvait accepter en tant que juif. La réponse de Goebbels a été: «C'est nous qui décidons qui est juif ou non».

 

Aujourd'hui le cinéma ne joue plus sur ces cordes, il s'est civilisé et réglementé. La censure ne permet pas d'exprimer des idées trop osées sur le pouvoir. Le côté positif est qu’il n'autorise plus de faire des films incitant à la haine.

 

Les Italiens, maîtres du cinéma politique actif 

Pendant longtemps le système politique italien a été noyauté par la mafia qui, au centre des affaires de la nation, croquait une grosse part du budget de l'État sans qu'aucune opposition significative ne se déclare: chaque homme politique ne voyait que son intérêt d'être réélu.

 

Incontestablement le film politique le plus marquant du cinéma italien est Main basse sur la ville (1963) de Francesco Rosi, Lion d'or à la Mostra de Venise la même année.

 

Avec Il Divo de Paolo Sorrentino (2008), le réalisateur renouvelle le genre politique, l'une des spécialités du cinéma italien. Ce film retrace l'activité politique du Premier ministre Giulio Andreotti: personnalité de la démocratie chrétienne au centre de la politique italienne pendant plusieurs décennies, de 1992 jusqu'à son procès pour complicité présumée dans les affaires mafieuses du pays révélées grâce à l'opération Mani Pulite («Mains propres»).

 

En France, les films d'Yves Boisset ont remué un peu la passivité des gens vis-à-vis de la politique. Il critique le pouvoir stagnant toujours dans les mêmes mains, faisant même une institution de cet état de fait. Dans Dupont Lajoie (1975), qui est une sorte de caricature du Français métropolitain contre les Pieds-Noirs et surtout les Algériens venus se réfugier en France en vertu des accords de Vichy. Un Algérien est accusé d'assassinat. Il s'ensuit une ratonnade dont le seul but est de s'amuser et de rejeter l'objet de la haine. Dans Le Juge Fayard (1977), Patrick Dewaere incarne un juge qui tente de mettre en cause le SAC (Service d'Action Civique), organisation de protection des politiques. Cet organisme a fait un casse que le juge a en charge d'élucider. Fayard, surnommé « le shérif » par ses amis pour son intransigeance, est un personnage assez proche du juge Renaud exécuté devant sa femme par un voyou. C'est le premier magistrat à avoir ainsi été tué depuis l'occupation sans que l'on cherche à trouver les coupables.

 

Les Chats persans n'ont-il pas eux aussi un cœur créatif?

Les Chats persans (2009), film iranien de Bahman Ghobadi, permet largement de traiter de la répression qui s'exerce en Iran. Un jeune couple, à peine sorti de prison, s'active pour former un groupe de rock. Inutile de souligner la quantité d'énergie nécessaire pour la réalisation de leur projet. Les artistes sont rejetés, méprisés, emprisonnés. Le film montre bien, par des subtilités au niveau des cadrages, ce mouvement désordonné qui n'assure rien mais qui peut être la possibilité de rester éveillé.

 

La jeunesse se meurt. Une vie passe et le cinéaste donne l'impression que la vie n'est plus qu'un feu de cheminé et que chaque être n'est qu'un combustible. Jean Max mérite une médaille pour avoir organisé un festival du cinéma iranien, au milieu de films américains beaucoup trop spectaculaire pour laisser les spectateurs insensibles. Concurrence donc, mais combien saine.

Entre la vie, le jeu et la réflexion que choisit-on?

 

Adieu monsieur le professeur, on ne vous oubliera jamais

Éric Rohmer est parti. Il avait débuté en tant que professeur de lettres, avant d’être le rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Son œuvre cinématographique est profondément cohérente, exemplaire dans sa rigueur et son esthétique. Ce sont d'abord et surtout des portraits, des couleurs et des mots sans parasite, sans dorure incongrue. Puis surtout des mots riches de bonheur. Les mots chez Rohmer, même dits à contre-courant, contre son temps, sont des perles qui ajoutent à ces tragédies légères qui se nouent sans faire trop de mal, souvent dans la dentelle bourgeoise, dans du frou-frou sucré, mais si délicieux à consommer. Je ne veux plus rien dire qui me ferait perdre ma contenance, me montrant ainsi que le mot « modeste », presque oublié des grands, n'est que la lumière du monde qu’il a transportée avec lui une vie durant, retentissant encore aujourd'hui à nos oreilles orphelines. Il avait crée avec Barbet Schroeder la maison de production Les Films du Losange en 1962 avec laquelle il tournera ses six contes moraux dont La Boulangère de Monceau (1962, 20 minutes) qui synthétise son œuvre à venir, ses désirs et ses promesses.