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Le combat d’un fermier dans le «village du cancer»

Écrit par Chen Yilian, La Grande Époque
07.01.2010
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  • Les dangers du quotidien: des cyclistes traversent un épais nuage de pollution près d’une usine à Yutian, à 100 kilomètres à l’Est de Pékin. (Peter Parks/AFP/Getty Images)(Staff: PETER PARKS / 2006 AFP)

Deux jours après la mort de sa fille frappée d’une leucémie qui serait liée à la pollution locale, Feng Jun, son père, a fait la seule chose en son pouvoir: porter plainte. C’était en mars dernier. Il y a déjà eu cinq audiences mais rien n’a changé.

M. Feng a accusé l’usine Hebei Dachang Jinming Accurate Cold-rolling Steel Plate Co. Ltd., une des usines les plus importantes de la province, d’avoir pollué l’eau des villageois, causant directement la mort de sa fille, et faisant de Erliban, situé à près de 50 kilomètres à l’est de Pékin, l’un des nombreux «villages du cancer» en Chine.

La cinquième audience, la plus récente, a eu lieu le 2 décembre, et M. Feng n’est pas surpris que rien n’ait été fait. Les fonctionnaires locaux du Parti communiste chinois et les dirigeants de l’usine sont d’après lui souvent complices dans ce genre d’affaires, et les fonctionnaires reçoivent des pots de vin quand ils parviennent à garantir que l’usine puisse continuer à opérer sans rien changer.

Depuis sa création en mars 2000, Jinming CS Co. Ltd. Hebei est devenu une des usines les plus importantes dans la province de Hebei. Les habitants de la région pensent également qu’elle est la principale responsable des «villages du cancer».

Les agriculteurs ont régulièrement fait appel aux autorités locales pour tenter de communiquer avec la direction de l’usine. Mais Jinming continue de déverser ses eaux usées dans les régions environnantes, à travers des tuyaux qui passent sous le village de Feng, et jusque dans la rivière Baoqiu.

Rivière morte, puits pollués

Or cette rivière joue un rôle essentiel dans le comté de Dachang: c’est le cours d’eau principal qui traverse la région où se situe le village Erliban. Autrefois les enfants y jouaient, pêchaient, nageaient l’été, mais maintenant, l’eau de la rivière est noire et sent mauvais.

M. Feng dit avoir vu un chien mourir après avoir mangé un poisson mort dans la rivière, et des chèvres mourir d’avoir brouté l’herbe sur ses rives. Il dit que l’on ne peut rien cultiver à côté de la rivière.

Mais quand sa fille aînée a attrapé un cancer en mars 2006, il a voulu tirer la sonnette d’alarme. «Quand on a découvert que Ya Nan souffrait d’une leucémie, j’ai commencé à soupçonner que ça venait de l’eau des puits du village.»

Son épouse et lui ont envoyé des échantillons d’eau du puits à des organisations sanitaires qui ont montré que l’eau n’était pas potable. Le taux d’arsenic était trois fois plus élevé que la normale et celui du manganèse quatre fois trop élevé. «Ces dernières années nous n’avons pas osé boire l’eau souterraine venant des puits à moins de cent mètres. Dans tous les vieux puits l’eau est devenue rouge», explique M. Feng.

Le 6 juin 2007, Ya Nan a commencé à beaucoup saigner du nez, signe que sa maladie se développait. À ce moment là, M Feng avait déjà commencé à faire appel aux tribunaux. Sa fille lui a demandé de ne pas gaspiller trop d’argent en médicaments. Ils n’avaient pas les moyens. Elle est morte deux semaines plus tard.

M. Feng dit qu’il y a maintenant beaucoup de cas de cancer du sein et du foie à Erliban, et que dans le village voisin Xiadian, plus de cinquante agriculteurs sont morts de maladies dont on suspecte qu’elles sont liées à la pollution. «Un enfant de douze ans a attrapé un cancer de l’estomac!» s’indigne Feng. «D’après ce que je sais, 100 personnes sont mortes durant ces dernières années dans les comtés aux alentours de l’usine.»

Comme les habitants n’ont pas droit à la sécurité sociale, les frais médicaux pour ses filles lui auraient coûté un demi-million de yuans (51.000 euros), alors que le salaire moyen d’un agriculteur ne dépasse pas 500 yuans (51 euros) par mois.

Après la mort de Ya Nan, M. Feng a découvert que sa fille cadette souffrait d’une maladie du sang, la thrombopénie.

Certains agriculteurs plus aisés ont déménagé pour se rapprocher de Pékin et échapper à cette pollution, fait remarquer M. Feng. «Ceux qui ne peuvent pas déménager n’ont que le choix de rester ici jusqu’à la mort.»

Répression des pétitionnaires

Début septembre 2001, les habitants d'Erliban ont fait appel aux autorités concernant la pollution. Les nombreuses plaintes ont poussé l’usine à creuser un puits de 300 mètres pour les villageois. Ces puits profonds sont censément moins dangereux, car l’eau polluée ne doit pas s’infiltrer aussi profondément.

Malgré cette concession, «maintenant ce qu’il y a de plus terrifiant pour les fermiers c’est que le gouvernement local les persécute et se venge», explique M. Feng. Bien que tous aient fait appel en 2005, plus personne n’ose s’exprimer maintenant.

À un moment donné, les fermiers ont fait des statistiques sur la mortalité liée au cancer dans les villages le long de la rivière Baoqiu et ils se préparaient à dévoiler la vérité. Le soir d’une de leurs réunions, le leader du groupe des pétitionnaires, Liu Qingfeng, a été tabassé pas des inconnus et sa petite échoppe a été cambriolée et saccagée. Il a été blessé si gravement qu’il est rentré dans son village natal pour s’en remettre, explique M. Feng.

Lui a vécu sensiblement la même chose. Il a un jour été encerclé par trois hommes. «L’un d’eux m’a couvert la tête d’un tissu, ils m’ont ligoté pour me jeter dans une voiture qui est partie à vive allure. Ils m’ont battu jusqu’à ce qu’ils soient épuisés. Ensuite ils m’ont jeté sur l’autoroute en me menaçant: “ne perd plus ton temps.”»

M. Feng sait comment opèrent les autorités, il a démissionné du Parti communiste chinois depuis longtemps, en 1992, las de la corruption des fonctionnaires.

«Il m’a été très difficile de tenir jusqu’à maintenant», dit Feng. Son épouse l’a quittée parce qu’elle ne supportait plus de vivre dans la peur des représailles. M. Feng vit maintenant avec sa mère qui est très âgée. Même si sa fille cadette est pour l’instant en bonne santé, il dit que son cœur a beaucoup souffert de sa maladie du sang.

«Si je continue, ce n’est pas pour moi mais pour les autres habitants, pour éviter qu’ils souffrent comme moi j’ai souffert», confie M. Feng. «Le Parti communiste chinois sacrifie la vie des gens. Je suis capable de continuer et de tenir bon – je préfère mourir que d’abandonner – il y a comme une force qui me pousse», explique-t-il. «Ce sont ceux qui se soucient encore de notre village du cancer, c’est leur compassion qui me donne envie de continuer.»

Plus de 204 720 362 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.