«Avec tant de richesses dans le monde, pourquoi y a-t-il encore tant de pauvreté?»

Écrit par Patrick C. Callewaert, La Grande Époque
08.01.2010

  • Les bidonvilles à Mumbai en Inde. (Daniel Berehulak/Getty Images)(Staff: Daniel Berehulak / 2009 Getty Images)

Est-il possible d’éradiquer la pauvreté? Dans son dernier film documentaire La fin de la pauvreté?, Philippe Diaz propose une réponse à contre courant de bon nombre d’idées couramment admises.

La pauvreté: un problème prioritaire et urgent

La crise actuelle dans les pays développés recentre les gens sur leurs propres problèmes et ne les incite pas à porter un regard sur les plus déshérités. Il n’est donc pas inutile de rappeler que plus de 1 milliard de personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour, que 2,7 milliards de personnes luttent pour survivre avec moins de 2 dollars par jour, que plus de 800 millions de personnes se couchent avec la faim au ventre tous les jours, dont 300 millions d’enfants, ou que toutes les 3 secondes, une personne meurt de faim, en majorité des enfants de moins de 5 ans.

Par ailleurs, comme le rappelle l’économiste Serge Latouche, «aujourd’hui, si tout le monde vivait comme les Américains, il nous faudrait 6 planètes, et en 2050, il nous en faudrait 30». Comme 25% de la population mondiale utilise 85% des richesses et produit 70% de la pollution, et que les pauvres sont les premiers à souffrir des conséquences du réchauffement climatique, l’urgence des mesures à prendre en leur faveur semble évidente.

L’impuissance des institutions internationales

Le sort de ces personnes devrait donc être une priorité absolue pour toute la communauté internationale, via un soutien financier à la production agricole locale des pays les plus pauvres et une évolution des règles du commerce international.

 

Les Nations unies ne sont pas avares de réunions ni de déclarations officielles sur le sujet, comme la «Déclaration du Millénaire» de septembre 2000 où les nations riches s’étaient engagées à réduire de moitié les dénutris d’ici à 2015. Or, comme l’a rappelé Jean Ziegler, ancien rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation, «entre 2000 et 2008, la faim n’a pas reculé, elle a massivement augmenté».

Non seulement aucune mesure concrète n’a été prise depuis pour inverser la tendance, mais le dernier congrès de la FAO (Food and Agriculture Organization) qui s’est tenu dans une indifférence quasi générale du 16 au 18 novembre dernier à Rome, a été déserté par tous les chefs d’état des pays développés, alors qu’ils ont sans exception réussi à se rendre avec d’importantes délégations à celui de Copenhague mi-décembre dernier.

Un pillage dont l’origine remonte à 1492…

Pourquoi est-il donc si difficile de passer des bonnes intentions aux actes? Philippe Diaz se demande si les véritables causes profondes ne viennent pas d’une orchestration des pays riches pour exploiter les plus pauvres, depuis l’époque coloniale jusqu’à aujourd’hui. Promenant sa caméra des favelas d’Amérique Latine aux bidonvilles d’Afrique, interviewant des économistes de renom, des personnalités politiques et des acteurs sociaux, le documentaire révèle comment les pays développés pillent la planète, et accroissent toujours plus la pauvreté.

Selon Philippe Diaz, ce pillage a commencé en 1492, avec la découverte de l’Amérique par les conquistadors et les colonisateurs venus d’Europe, puis grâce au commerce triangulaire et à l’esclavage. L’or et l’argent étaient leur objectif premier, mais ils se sont ensuite appropriés les terres sur les autres continents en contraignant par la force les populations autochtones à extraire les minerais et à cultiver les produits agricoles d’exportation, favorisant ainsi le développement industriel de l’Europe. Les populations de ces pays, qui avaient pourtant réussi à édifier d’importantes civilisations à l’époque, ont été contraintes de remplacer leurs croyances par le christianisme, et ont été décimées par la faim, l’esclavage et les maladies.

…et perdure de nos jours sous d’autres formes

De nos jours, ces pays ont obtenu leur indépendance, pour la plupart après la seconde guerre mondiale, et une partie d’entre eux ont engagé un processus démocratique, mais celui-ci n’est souvent qu’une façade, et les populations n’ont toujours pas récupéré leur autonomie. Comme le précise Damien Millet, le porte-parole du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde), dans un commentaire à propos du film, les pays développés ont maintenu leur pleine autorité sur l’économie de leurs anciennes colonies, en transférant aux nouveaux États les dettes contractées avant leur départ, en violation totale des lois internationales. Ces dettes, dont le remboursement est un fardeau quasiment impossible à assumer, ont permis aux pays du Nord de garder les pays du Sud sous contrôle, par le biais des prêts accordés par la Banque Mondiale et le Fonds monétaire international. La négociation de ces prêts permet ainsi de maintenir la pression afin d’obtenir des concessions minières, l’exploitation de gisements pétroliers, ou des échanges commerciaux à l’avantage du Nord. Et lorsque les gouvernants du Sud sont trop réticents à accepter ces conditions, ou que la corruption ne suffit pas, les services secrets se chargent d’éliminer les récalcitrants. Selon Damien Millet, «ce nouveau modèle économique né aux États-Unis sera connu sous le nom de néolibéralisme, et le set de politiques pour l’appliquer est le Consensus de Washington qui force les économies à laisser le marché gouverner».

Ainsi, comme le souligne Jean-Jacques Beineix, le producteur du film, «ne rien faire, ne rien dire, s’apparente à de la non-assistance à humanité en danger. Le film de Philippe Diaz explique de manière claire et intelligible les mécanismes qui font de la pauvreté un mal endémique en extension».