Le bonheur comme politique publique: bientôt au Canada?

Écrit par Joan Delaney, La Grande Époque
17.12.2010

  • La France tient compte des recommandations formulées par l'économiste Joseph Stiglitz – récipiendaire du prix Nobel(Staff: ARIS MESSINIS / 2010 AFP)

Le bonheur et le bien-être comme indices pour mesurer le progrès économique et social, plutôt que de se rabattre uniquement sur le produit intérieur brut (PIB), ont de plus en plus la cote sur la scène internationale.

Selon le premier ministre britannique, David Cameron, mesurer le bonheur de la population et utiliser cette information pour concevoir les politiques publiques est une étape importante pour se remettre de la récession et bâtir un meilleur avenir pour la population de Grande-Bretagne.

«Cela aidera à effectuer une réévaluation de ce qui compte [vraiment] et, avec le temps, cela mènera à une politique gouvernementale qui focalise davantage sur toutes ces choses qui font que la vie vaut la peine d'être vécue», a-t-il affirmé dans un discours le 25 novembre.

L'annonce de la mise en application d’un «indice du bonheur» par M. Cameron suit celle faite en septembre dernier par le président Nicolas Sarkozy. Celui-ci avait indiqué que son gouvernement allait inclure des indices de bonheur et de bien-être pour mesurer le progrès économique du pays après les retombées de la crise économique mondiale.

M. Sarkozy a invité d'autres pays à le suivre, déclarant qu'une «grande révolution nous attend».

La science économique du bonheur était également le sujet d'une conférence à Ottawa la semaine dernière. Les panélistes, dont des experts en politique publique et des économistes, se sont demandé si le Canada devait établir le bonheur comme objectif de politique publique et, si oui, en quoi cela consisterait-il.

«Il y avait un grand nombre de représentants du gouvernement à la conférence», souligne Andrew Sharpe, directeur exécutif du Centre d'étude des niveaux de vie (CSLS), qui a organisé la conférence conjointement avec l'Institute for Competitiveness and Prosperity (ICAP) du gouvernement ontarien.

«J'ai eu une rencontre avec les sous-ministres avant la conférence pour les informer et les tenir au courant de ce qui se passe. Il y a donc un intérêt dans les niveaux supérieurs pour cette question.»

La France tient compte des recommandations formulées par les économistes Joseph Stiglitz et Amartya Sen – récipiendaires du prix Nobel – à qui Nicolas Sarkozy a demandé de trouver des alternatives pour mesurer le bien-être social et le progrès économique.

Le rapport de la Commission Stiglitz publié en septembre dernier recommande aux gouvernements d'accorder plus d'attention à la question du bien-être subjectif.

Le terme bonheur national brut (BNB) a été inventé en 1972 par le roi du Bhoutan de l'époque. Il cherchait à bâtir une économie qui soit conforme à la culture unique du pays basée sur les valeurs spirituelles du bouddhisme.

Au fil des ans le Bhoutan, avec l'appui du Programme de développement des Nations Unies, a mis le concept en pratique, mesurant la qualité de vie ou le progrès social dans des termes plus holistiques et psychologiques que le PIB.

Selon le CSLS, l'origine des études sur le bonheur remonte jusqu'à Aristote. Ce dernier s'opposait à l'idée selon laquelle le bonheur provient des plaisirs corporels ou des possessions matérielles. Selon lui, le bonheur découle d'une bonne naissance accompagnée d'une vie complète avec de bons amis, des enfants, la santé, etc.

Il mettait l'accent sur l'importance d'une existence remplie d'activités vertueuses qui, en retour, nécessitait un approvisionnement suffisant de biens matériels pour la soutenir.

Des économistes à la fin du 19e siècle ont théorisé qu'un revenu supplémentaire apportait moins de bonheur supplémentaire au fur et à mesure qu'une personne s'enrichissait. Dans une étude de 1974, l'économiste américain Richard Easterlin a identifié un «point de saturation» au-delà duquel plus d'argent n'équivaut pas à plus de bonheur.

Ses découvertes ont démontré que bien que le revenu par personne ait constamment augmenté aux États-Unis entre 1946 et 1970, le niveau moyen de bonheur rapporté ne démontrait pas de tendance à la hausse à long terme et il a décliné entre 1960 et 1970.

Toutefois, une étude de 2008 rapporte que les augmentations de revenus sont clairement reliées au niveau de bonheur déclaré, autant pour les individus que pour les pays.

Des découvertes récentes d'une étude CSLS/ICAP démontrent que la santé physique et mentale, le sens d'appartenance à sa communauté, l’état civil, le statut de l'immigrant, le chômage et le stress ont une influence majeure sur le bonheur.

L'étude, intitulée Does Money Matter? Determining the Happiness of Canadians, révèle que les Canadiens sont généralement heureux, alors que 91 % disent être satisfaits ou très satisfaits de leur vie.

«Nous sommes classés cinquième au monde, alors nous nous portons déjà bien, mentionne M. Sharpe, mais ça pourrait être encore mieux.»

Version originale : Happiness as a Goal of Public Policy—Is Canada Next?