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Le cinéma a- t-il des perceptions sur l’avenir de nos sociétés?

Écrit par Alain Penso, LA GRANDE EPOQUE
05.12.2010
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  • Benda Bilili! de Renaud Barret et Florent de Tullaye (2010)(攝影: / 大紀元)

Le cinéma se conforme à l’actualité et aux désirs. Il copie la réalité faute de scénario qui épouseraient les préoccupations ponctuelles des spectateurs. Parfois le film précède les événements et les annonce avec des années d’avance.

Récemment 69 mineurs au Chili ont été bloqués dans un puits à 615 mètres de profondeur. Ils sont restés 17 jours prisonniers, dans l’impossibilité de trouver une quelconque échappatoire. Cet accident qui aurait pu tourner à la tragédie a connu une issue heureuse : un ascenseur fabriqué sur mesure a permis de remonter tous les mineurs. Ils ont été sollicités par les médias pour parler de leur enfermement forcé, contre une rétribution conséquente. L’un des prisonniers de la mine a rédigé chaque jour plusieurs feuillets qui pourraient permettre l’édition d’un livre. Les enchères pour l’achat des droits de ce futur «best seller en puissance» ont déjà atteint des montants élevés. Hollywood a d’ores et déjà proposé plusieurs millions de dollars pour acquérir les témoignages exclusifs des mineurs rescapés.

Faits divers et fiction

En 1951, Billy Wilder, le réalisateur de La Garçonnière (1960), de Certains l’aiment chaud (1959) et d’Assurance sur la mort (Double Indemnity, 1944), avait tourné Le gouffre aux chimères (1951), montrant l’avidité des médias soucieux de transformer un accident tragique en une kermesse nationale, qui allait permettre au journaliste créateur de l’événement de s’enrichir et de sortir de la précarité dans laquelle l’avait précipité la rubrique des «chiens écrasés». Tout pourra se vendre : l’homme, Léon Minosa, le sujet du drame, qui cherchait des vestiges indiens, se retrouve bloqué dans une grotte. Il est proche de l’agonie, mais qu’importe la tragédie qui se déroule et la souffrance d’un homme, pourvu que l’on ait l’ivresse et que l’on gagne de l’argent, dit un personnage nourri d’inconscience et d’inhumanité. Une véritable fête foraine va alors s’installer tout près du site de la tragédie.

L’art et la politique

Avec des années d’avance, les films dictent parfois l’avenir et les réflexions, et se juxtaposent à l’histoire. Les références cinématographiques ayant pour thème la mine et la lutte ouvrière pour les salaires et la sécurité sont nombreuses. Cela met en lumière parfois la fraternité plutôt que l’égoïsme comme dans La tragédie de la mine de Pabst (1931). L’action se situe en 1919 dans une mine frontalière avec l’Allemagne. Les hommes gardent le souvenir d’une boucherie fomentée par la guerre de 14-18. Les Français détestent les Allemands et le proclament sans détours : ils se racontent des histoires sordides et refusent de donner des emplois aux ouvriers allemands venus travailler en France. Pourtant un besoin de main-d’œuvre se fait sentir dans les mines françaises. Les Allemands oublient l’humiliation subie car l’humanisme méconnaît la rancune et lorsqu’un coup de grisou fait des victimes et des blessés dans les mines françaises ils accourent et sauvent «leur frères». Le climat politique et la solidarité entre les hommes sont ici analysés.

 

Le point du jour de Louis Daquin (1949), avec Jean Desailly, exprime l’importance fondamentale de la famille dans l’industrie, la culture existant autour des métiers du charbon, et l’entreprise paternaliste où des habitations étaient attribuées aux employés. Les patrons, les maîtres des lieux veillaient corps et âmes sur leurs ouvriers: leur propriété. L’un des personnages du film dit «je veux faire du charbon j’en suis capable» c’était sa façon de signifier qu’il était enfin devenu un homme.

Les films du passé sont du matériel de réflexion et parfois de projection, l’artiste voit loin. Il franchit le temps, précède souvent l’actualité ou décrit une situation politique qui est rééditée car le réalisateur, en faisant son œuvre, a extrait des faits leur quintessence. Main Basse sur la ville de Francesco Rosi (1963) a décrit l’univers de l’immobilier livré à des promoteurs sans scrupules, en présentant les conséquences des économies réalisées sur la sécurité et la qualité de la construction, voire sur celle du terrain. En France, des centaines de maisons ont été détruites à cause des éboulements ou des glissements de terrain, provoqués par l’utilisation d’un matériau de mauvaise qualité, et du développement de la corruption par l’obtention d’autorisations abusives de permis de construire.

La terre tremble (La terra trema - 1948) de Luchino Visconti met en évidence les excès du pouvoir politique qui transforment la démocratie en une république bananière ouverte à une corruption organisée, qui maintient les ouvriers dans la misère afin de mieux les dominer et de conserver ainsi les rouages du pouvoir absolu. Toutes ces observations résident dans le matériel cinématographique lui-même qui prend en charge le sens et la critique dans une subtile symbiose.

Conscience et représentations

Le Voleur de bicyclette de Vittorio de Sica (1948) fait prendre conscience de l’importance du mouvement dans nos vies. Il décrit en même temps un univers dans lequel les détails sont plus importants que la globalité apparente et où le sentiment permet d’avoir une distance critique plus humanisée. La haine ne permet rien d’autre que de perdre son énergie dans des entreprises de démolition où l’homme perd sa supériorité sur l’animal.

Plus proche de l’homme lui même dans un champ comparable à L’enfant sauvage de François Truffaut (1970) ou de l’Énigme de Gaspar Hauser de Werner Herzog (1974), Au fond des bois de Benoît Jacquot (2010) met en scène un jeune homme qui vit dans les bois, Timothée, invité à dîner par un médecin humaniste. À moitié sauvage, Timothée est fasciné par la beauté de la fille du médecin qui le suit probablement pour ses talents de magicien. Ce film adapté d’un fait divers  pose le problème étrange et complexe du lien entre l’amour et la manipulation. Où débute l’amour légitime, authentique et libre de toutes influences? La séduction n’est-elle pas une sorte de magie? A-t-on le droit moral de séduire une jeune femme, le souhaite-t-elle vraiment? Les pulsions sexuelles ont elles une légitimité ? On pourrait assurément aller plus loin dans le questionnement sur la corruption de l’âme face à la pureté des intentions. Nous entrons dans une thématique chère à Benoît Jacquot qui fait un cinéma poétique et philosophique.

Musique et langage

Depuis ses premiers films et plus particulièrement avec Les enfants du placard (1977) Benoît Jacquot met en évidence la prépondérance du rythme du langage qui peut influencer les comportements, la musique des mots, les sentiments. Un peu plus tard, comme s’il suivait le chemin de ses convictions, il réalise le magnifique opéra Tosca de Puccini (2000). Dans Au Fond du bois (2010), il s’avère que les mots répondent à des images dans une alchimie mystérieuse au diapason du sujet traité. Isild Besco est divine dans son rôle de vertueuse jeune femme. C’est sa sixième et parfaite collaboration avec Benoît Jacquot qui analyse minutieusement ce fait divers. Benoît Jacquot réussit, grâce à cette collaboration inscrite dans le temps, à faire  émaner de son personnage des moments d’authenticité dans cette relation amoureuse qui met en relief l’aspect dramatique de l’œuvre.

Les cinéastes, pour percevoir le monde, ont besoin de se poser des questions et c’est seulement à cette condition que l’histoire du film, la fiction, va opérer et intéresser le spectateur qui se sentira concerné. Plusieurs raisons expliquent cela : d’abord la médiatisation des acteurs qui sont les pivots essentiels du commerce y compris des produits dérivés (livres des acteurs, biographies, journaux) et la réputation des réalisateurs tels que Hitchcock dont les acteurs et les actrices au départ n’étaient pas aussi connus que lui-même. Tippi Hedren, son actrice fétiche qu’il avait fait tourner dans Pas de printemps pour Marnie (1964) et Les oiseaux (1963), était une actrice inconnue du public. Après ces films, sa réputation s’effilochera à cause du comportement d’Hitchcock qui va répandre des calomnies la concernant. Pour la petite histoire le cinéaste ne supportait pas que son actrice ne lui soit pas suffisamment reconnaissante. Elle ne tournera plus. Hitchcok, grâce à son immense talent réussira à laisser dans l’obscurité ses outrances vis-à-vis de ses comédiennes qu’il menaçait, si elle se plaignaient, de briser leur carrière.

Prendre des vessies pour des lanternes

Dans son dernier film Double Take (2009), Johan Grimonprez va à la recherche des clichés dont la télévision s’est fait le plus grand exportateur, tous pays confondus. Il prend pour cible Alfred Hitchcock qui assure sa propre publicité. Il n’y a pas de distance entre lui et lui-même puisque c’est toujours lui et encore lui. Dans ses réalisations, il se présente et signe ses films pour assurer qu’il est lui même le réalisateur. Il y a une façon anthropologique de filmer et de rapporter des documents. Le cinéma de Johan Grimonprez se situe entre le cinéma expérimental et la vidéo. Le réalisateur combat les poncifs, les idées reçues qui entrent dans le cerveau pour ne jamais en ressortir,  excepté  lorsque l’esprit  subit un «reformatage» grâce à des lectures judicieuses. Il décrit le processus de désinformation qu’utilisaient les journalistes au service des armées pour remplir l’esprit. Il se servira du sosie d’Hitchcock,  Ron Burrage, et la voix sera interprétée par Mark Perry. Double Take est un film étonnant pour étudier les phénomènes de transgression de l’audiovisuel, à l’aide de l’outil «information-désinformation».

La perception de la misère et le combat pour l’enrayer

En revanche un documentaire exceptionnel a demandé une véritable persévérance car les personnages eux-mêmes ont évolué avec le film. Ils ont enrichi le documentaire et ont changé grâce à leur créativité, des structures inconscientes, positives pour eux. Il s’agit de Benda Bilili! de Renaud Barret et Florent de Tullaye (2010). Le thème décrit l’humanité contenue dans la détresse d’hommes livrés à l’incertain que seul l’art de la musique soutient encore dans leurs incapacités physiques et leur pauvreté. A Kinshasa les huit membres du staff de Benda Bilili, dont cinq sont en fauteuil roulant, ne vivent que pour la musique. Grâce à leur détermination et leur travail, ils atteignent la notoriété au niveau mondial. Bien que disposant de peu de moyens, les réalisateurs ont filmé, avec finesse et sobriété, stimulés par les progrès du groupe. Les auteurs se sont accrochés à leur projet jusqu’à son achèvement cinq années plus tard.

Comprendre l’avenir ou le passé, se ressourcer permet souvent de faire un retour sur soi, sur ses désirs, ses ambitions dans la vie, ses connaissances.

La science-fiction prévoit l’avenir ou la sublime

Le voyage fantastique de Richard Fleischer (1966) est tourné en pleine guerre froide. Le sujet est original, inventeur d’un procédé capable de réduire le corps humain à la taille microbienne, un chercheur américain est victime d’un attentat. Son unique espoir de survie est de subir une opération réalisée par une équipe de chirurgien qui devra s’introduire à l’intérieur de son corps, à l’aide d’un sous-marin nucléaire réduit à l’état de microbe, pour détruire un caillot de sang grâce à un laser. Un merveilleux voyage dans le corps nous est proposé avec des décors sublimes qui ont un aspect pédagogique indiscutable. Du cœur au poumon, en passant par le cerveau qui reçoit des impulsions lumineuses, c’est une sorte de conte de fée dans lequel se déroule une enquête policière. Richard Fleischer nous fait rêver. On découvre des contrées lointaines insoupçonnées.

Le cinéma est un art d’une richesse exceptionnelle qui n’a pas fini de nous restituer des joyaux, un moment oublié, comme parfois les ouvrages de philosophie laissés injustement sur des étagères. Le passé cinématographique décrit l’avenir avec des années d’avance, peut être est-on incapable de prendre conscience du présent pour appréhender l’avenir et que certains films sont trop novateurs pour pouvoir les appréhender dans l’instant présent.

La lecture des films nécessite des connaissances historiques permettant d’analyser et d’enfin prendre conscience du vivier extraordinaire que constitue le cinéma pour la compréhension du monde dans lequel nous vivons.

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