La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres

Écrit par La Grande Époque
01.02.2010

  • Jeanne Moreau dans le rôle de Josèphe Flavius.(攝影: / 大紀元)

C'est à l'occasion de la mise en scène du livre Guerre des juifs de Flavius Josèphe, que le cinéaste Amos Gitaï monte pour la première fois sur scène. Le spectacle conçu pour la Carrière de Boulbon à Avignon a eu le temps d’évoluer pendant sa tournée jusqu'à son arrivé au théâtre de l'Odéon.

 

Cette œuvre magistrale de l'historien à identité ambiguë, a longtemps occupé l'esprit du cinéaste israélien qui partage son temps entre Israël et la France où se trouve la majorité de son public. En effet, La personnalité de Flavius Josèphe était énigmatique et contradictoire, et selon les propos de Lisa Ullmann, (traductrice de l’oeuvre de Flavius Josèphe), recueillis par Haaretz; le célèbre historien était du genre «très compliqué» et «pas très sympathique» . Intéressant, car certains utiliseront les mêmes termes pour décrire Amos Gitaï. Le cinéaste, comme l'historien, font naître semble-t-il, la polémique dans la conscience des israéliens. Dans ce spectacle, l'un comme l'autre se trouvent à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'intrigue. Pourrait-on y voir une certaine similarité, une identification? «Un metteur en scène ou un réalisateur doit toujours être un peu schizophrène», dit Gitaï.

 

De Josèphe fils de Matthias à Josèphe Flavius

Flavius Josèphe, était issue d'une grande famille de prêtres juifs. Combattant, vaillant, il a mené la guerre  contre les Romains et a été capturé en Galilée. Pour échapper à la mort il accepte de raconter les victoires des Romains. Josèphe fils de Matthias prend alors un nom romain Flavius Josèphe et s'assimile à la culture des vainqueurs. Le fait de changer de camp n'a pas contribué à sa réputation parmi les juifs. Dans leur conscience collective, il restera toujours un traître.

 

Néanmoins il nous a laissé le seul témoignage précis de la chute de Judée et de la dispersion du peuple juif. Il a été le seul à nous transmettre les événements de Massada et de la dernière bataille des juifs contre les romains.

 

On est au premier siècle, les Romains sont en Judée (Israël de nos jours), le peuple juif est divisé en différentes sectes et approches, pragmatiques, religieuses, fondamentalistes. En même temps qu'une guerre contre l'empire romain éclate une guerre civile. Pour les religieux qui combattent il s'agit d’échanger l'esclavage contre la liberté, parfois au prix de la mort. La haine entre frères et le fanatisme affaiblit le peuple. La famine dévore les assiégés. Les villes assiégées sont vaincues, d’abord la Galilée, ensuite Jérusalem et en dernier Massada. Le général Vespasien devient empereur comme le lui avait prédit Flavius. Il envoie son fils Titus pour s'emparer de Jérusalem, après cinq mois de siège la ville est brûlée, le temple est détruit. Massada résiste pendant trois ans. Elle deviendra 2.000 ans plus tard un mythe.

 

Une mise en scène qui allie création de l’espace et analogies

La scène est minimaliste: un échafaudage en métal sur lequel on entend les bruits de la guerre, deux feux qui illuminent l'obscurité, une table, une chaise un fauteuil, un podium. Un grand écran sur lequel des mots sont projetés, tels que révolte, feu, liberté, donnent un rythme sourd et menaçant. L'architecte Amos Gitaï se manifeste une fois de plus dans, la création de l'espace et les analogies. Amos Gitaï présente un oratoire dans lequel Jeanne Moreau interprète le rôle du narrateur: le juif Flavius Josèphe. La scène se remplie de différents sons et de différentes langues: violon, guitare, percussions, chants, yiddish, hébreu, arabe, anglais, français. Les bruits et les langues se mêlent ainsi que les identités et les époques, le passé, le présent. Shredy Jabarin interprète Shimon en arabe, Jérôme Koening, l'américain, interprète Vespasien, Amos Gitaï interprète en Hébreu Eléazar, Mireille Perrier interprète Miriam en français. Il n'y a que le lieu et l'histoire qui n'ont pas changé. Judée, Israël, Palestine au milieu du Moyen Orient à l'ombre de l'empire...américain. Des frères qui s'entretuent pour des raisons religieuses. La soif de la liberté donne jour aux fanatiques qui laissent derrière eux, une terre brulée. Amos Gitaï comme dans ses films raconte l'histoire d’un peuple, d'une terre.

 

Jeanne Moreau interprète le rôle principal. Elle a travaillé rigoureusement sur le texte de Flavius Josèphe ainsi que sur d'autres livres traitant de cette œuvre et de son auteur. «Ce texte m'a fasciné» nous avoue-t-elle: «je l'ai beaucoup travaillé avec Marie José Sanselme» -conseiller littéraire de la pièce-. À la question de savoir comment elle travaille sur le rôle d'un homme elle répond qu’il suffit de faire sortir le «côté viril» qui existe en chaque femme. Son vœu est de voir enfin la paix mais d’après elle: «le plus important c'est d'avoir la paix intérieure».

 

Assise derrière une table à l'avant scène elle lit le texte de Flavius Josèphe. Avec simplicité elle capte de plus en plus l'attention du spectateur. On dirait que sa voix nous ensorcelle. Dans la salle, la tension s'accroît on a l'impression de revivre les événements. Une angoisse envahie le public ainsi qu'un désir de rester encore, jusqu'au bout de cette bataille, infernale, divine, courageuse et cruelle tout à la fois.

 

Flavius Josèphe raconte les faits avec douleur: «Mon but n'est certes pas de magnifier les actes de mes compatriotes en rivalisant avec ceux qui exaltent les prouesses des Romains: je rapporterai avec exactitude ce qui s’est passé dans les deux camps, mais, dans mes réflexions sur les événements, je laisserai paraître mes sentiments et je laisserai ma douleur personnelle s’exprimer sur les malheurs de ma patrie.»*

 

Le complexe de Massada

Telle qu'elle est racontée par Flavius, la tragédie du peuple juif est celle d'un peuple abandonné par son Dieu persistant dans sa croyance et dans sa liberté à tout prix. Le peuple juif a perdu sa terre et d'autres langues se sont substituées à la langue biblique (notamment le Yiddish). L'histoire de Massada est devenue le symbole de l’héroïsme: «du faible contrer le fort». Le mythe commence à se former dans les années vingt. Massada constitue le cœur de la complexité du peuple juif depuis son exil et jusqu' à nos jours. Pendant la deuxième guerre mondiale, craignant les forces de l'armée nazi qui s'approchaient par l'Afrique, un deuxième Massada: «le Massada du Mont Carmel» a été planifié comme stratégie. Elle représente le courage et la liberté incontestable, la force d'un petit peuple motivé d'un coté et la peur d'une menace constante de l'autre. Cette complexité a même reçue le titre de «complexe de Massada» ou «la mentalité du siège» du peuple juif. Et d'ailleurs Amos Guitaï l'a déjà abordé dans son premier long métrage Esther (1985). On pourrait dire que c'est sur scène, fasciné devant les échos du présent, qu'il touche le noyau de cet état d'esprit collectif, qui est aussi le sien.

 

*Extrait de «La guerre des juifs» de Josèphe Flavius.

 

Amos Gitaï

Amos Gitai est né en 1950 à Haïfa Israël. À partir de 1982 Il habitera également en France et aux États Unis où il finit ses études d'architecture. Il a réalisé une quarantaine de films, (fictions et documentaires). Dans ses films il aborde les questions  politiques du Moyen Orient et de son histoire. Il traite la question de l'exil, de la religion et des problèmes sociaux. Il aborde souvent la place de l'individu dans le groupe et la façon dont le premier reflète le second. Ses études d'architecture participent pour beaucoup à son style. Dans cette pièce, -où il monte pour la première fois sur scène, il joue le rôle d Eléazar, l’un des chefs de la rébellion à Jérusalem, qui s’est réfugié avec un groupe de 960 compatriotes, dans la citadelle isolée de Massada, dans le désert de Judée, face à la mer Morte.