Les labres nettoyeurs, poissons de 10 centimètres, créent des centres de soins pour prédateurs

Écrit par Héloïse Roc, La Grande Époque
11.02.2010

  • Le poisson labre est associé à un massif de coraux branchus dans lequel il se réfugie en cas de danger. (Sam Yeh/Getty Images)(Staff: SAM YEH / 2006 AFP)

L’université de Neuchâtel en Suisse et l’université du Queensland d’Australie souhaitent, depuis plusieurs années, percer le mystère d’un poisson bien particulier, le Labroides dimidiatus, appelé aussi le labre nettoyeur. Ce poisson a la particularité d’assurer des soins à ses congénères de taille gigantesque. Il est stupéfiant de rencontrer une telle solidarité au sein de ces groupes, car du fait de leur utilité, les labres nettoyeurs sont protégés. Ils ne sont pas dévorés et les prédateurs les reconnaissent pour leurs services rendus à la communauté. En effet, le labre nettoyeur, poisson des régions tropicales, s’alimente de parasites et d’algues qui s’installent sur les gros poissons. Ainsi, les nettoyeurs n’hésitent pas à se lancer dans la gueule du requin ou de la murène, pour devenir le dentiste ou le masseur des monstres, et font le nettoyage de leurs dents, de leur peau, incluant même un petit massage. Or, cette coopération n’est pas unique, elle existe chez d’autres espèces, comme par exemple le pluvian fluviatile, appelé aussi pluvian du Nil, un oiseau remarquable qui assure le nettoyage des dents des crocodiles du Nil.

De vrais rapports sociaux, l’échange

Le poisson labre est sédentaire, il est souvent associé à un massif de coraux branchus dans lequel il se réfugie en cas de danger. Sa taille est moyenne, il ne mesure pas plus de 10 centimètres. Il est visible car il irradie de couleurs lumineuses et se caractérise par une nage sautillante. Sa principale fonction est sociale, il soulage les poissons du récif de leurs parasites. Il crée un véritable centre de soins. Les patients sont de gros poissons expérimentés qui s’installent dans ce lieu de traitement. Là, ils prennent la pose, légèrement inclinée vers l’arrière, ouvrent la bouche, écartent les nageoires et attendent la fin du nettoyage. Les parasites sont logés dans des zones dépourvues de protection, par absence d’écaille (comme la bouche, les branchies, les ouïes, les nageoires…). Ces parasites dérangent le prédateur. Seul il ne parvient pas à s’en défaire. Les services rendus par les poissons labres sont très appréciés. L’ambiance est stupéfiante, car parallèlement aux soins, le labre nettoyeur calme son client, il le caresse de ses nageoires, lui donne du bien-être, du calme, de la relaxation.

  • Dans les récifs coralliens existe une réelle communauté de vie, une symbiose entre les espèces, ils se complètent. (Donald Miralle/Getty images)(Staff: Donald Miralle / 2005 Getty Images)

Le mâle corrige sa femelle

Un autre phénomène très particulier a été observé sur cette espèce. Le chercheur Redouan Bshary et ses collègues ont publié cette observation dans la revue Science. Les Labroides dimidiatus punissent leurs femelles lorsqu'elles croquent la chair (du gros poisson), espérant déguster un peu du savoureux mucus, qui est bien plus exquis que les vermines. En effet, le prédateur n’est pas heureux lorsqu’il est mordu, se sauve et ne revient plus. C’est dans ce contexte que le mâle apparemment corrige sa femelle, il semble que c’est sa manière de fidéliser sa clientèle et sa nourriture, mais ce n’est pas tout à fait juste.

Pour connaître l’évidence, une étude a été menée en aquarium. Le professeur Bshary et ses collègues ont proposé à deux labres, œuvrant en duo, des flocons de poissons (l'égal des parasites) et des crevettes (l’égal en qualité, à la chair du client). Les labres préféraient nettement les crevettes. Et, durant l'expérience, pour stimuler les labres, les chercheurs enlevaient toute la nourriture dès que l'un des poissons mangeait une crevette. Le résultat ne s’est pas fait attendre, le mâle agressait la femelle si elle choisissait une crevette. À mesure que l'expérience progressait, la femelle se retenait de manger les crevettes. Mais le mâle par contre n'hésitait pas à manger un bout de crevette.

Dans les massifs coralliens, la clientèle du labre est de deux sortes: il y a ceux qui demeurent dans la proximité des soins, ce sont les résidents, et ceux qui se déplacent uniquement pour le service rendu, ce sont les occasionnels. Les occasionnels sont plus exigeants car ils choisissent leur labre et demandent à ne pas être mordu.

Elles deviennent mâles à la fin de leur vie

Vivre ensemble, dans les récifs coralliens est une vraie leçon de vie! Le terme de symbiose avance l’idée d’une sorte de partenariat entre les espèces. Il existe, en effet, une réelle collaboration, un vrai échange. Mais dans cette étude le châtiment donné à la femelle incite à la coopération, car en chassant la femelle, le mâle bénéficie d’un surplus de nourriture, ce qui lui donne des avantages alimentaires certains. Cependant la roue peut tourner, cette espèce a la caractéristique de l’hermaphrodisme successif, elle passe la fin de sa vie dans une phase mâle et acquiert la faculté de nouvelles couleurs très chatoyantes. Les chercheurs de l'Institut de zoologie de la Suisse de l'université de Neuchâtel et ceux de l'université australienne du Queensland veulent diriger leur prochaine étude sur cette apparence du changement sexuel et l’incidence occasionnée sur les nouveaux rapports du groupe, de l’autorité, et de la hiérarchie sociale.