Anglais | Chinois | Coréen | Français | Allemand | Espagnol | Japonais | Russe | Ukrainien | Hébreu | Roumain | Bulgare | Slovaque | Tchèque | Indonésien | Vietnamien
Faites un don

Et si le cinéma de Serge Gainsbourg était plus créatif que provocateur

Écrit par ALAIN PENSO – La Grande Époque
11.02.2010
| A-/A+
  • Gainsbourg (vie héroïque) (2009) réalisé par Joann Sfar.(攝影: / 大紀元)

Une vie héroïque

 

La vie de Serge Gainsbourg a enthousiasmé Joann Sfar, auteur de bandes dessinées. Avec Gainsbourg (vie héroïque) (2009), il réalise son premier long métrage. Il choisit d'emplir son personnage de magie pour qu'il puisse se mouvoir sans grandes difficultés. Il invente puis dessine sa réplique, une sorte de clone du chanteur, qui discute sans cesse avec lui. Il est une sorte de marionnette proche de sa conscience. Ainsi parcourt-il lui-même l'histoire et sa marionnette son intériorité. Tout fonctionne et contient les ressorts énergétiques pour la survie du personnage de Serge Gainsbourg. Les actrices sont talentueuses et se montrent d'une justesse face au personnage de Gainsbourg qu'elles accompagnent dans les différentes aventures qu'il aurait vraiment pu vivre à un moment. Car, autant le dire, l'auteur du fi lm a fantasmé avec un écho de vérité arrangée. Savoureuses sont les rencontres bien improbables de certains personnages mis en scène.

 

Une rencontre fastueuse

 

J'ai rencontré Serge Gainsbourg en 1980 au Festival de Cannes à la terrasse SFP, un lieu qui permet aux journalistes et aux gens de cinéma de se parler. Ensemble nous avions discuté un long moment. J'avais été impressionné par l'authenticité de l'homme plus que par sa popularité. Mes questions n'étaient pas prévues, et pourtant il y répondait avec une grande sincérité. Cet entretien était l'objet du hasard.

 

Il fumait une Gitane...

 

L'extrême sincérité de Serge Gainsbourg contrastait avec son image médiatique. Je me suis assis en face de lui et il m'a confi é quelques unes de ses pensées. C'était avec un Serge Gainsbourg inattendu que je faisais connaissance ; philosophe et non érotomane. Il brûlait des Gitane, les unes après les autres. Pour l'observer j'avais du mal à défaire le voile de fumée qui se formait bouffée après bouffée. Mes premières questions avaient trait à ses créations filmiques. Il réfléchissait en laissant un long silence avant d'y répondre. La salle était presque déserte. Jean-Claude Brialy et Jane Birkin étaient présents aussi. J'en ai profité pour prendre quelques photos.

 

L'artiste a-t-il une identité ?

 

«À quel moment est-on un artiste ? C'est le sens de ta question ? Toute ma vie je me la suis posée, et le cheminement de son contenu continue à m'envahir le cœur et l'esprit. Un homme ne peut se limiter à n'être qu'un seul être. Il doit devenir ‘multiple’. Son avenir et sa créativité doivent être ses préoccupations essentielles, sinon il n'y a plus qu'à se flinguer. Mon discours t'étonne peut-être, mais nous devons être en perpétuel mouvement, en renouvelant sans cesse. La clé de notre survie est à ce prix. Je tiens à te rassurer, cela ne veut pas dire que tu dois inventer la poudre tous les quarts d'heure. Tu peux très bien emprunter. Forcément si tu admires quelqu'un tu t'inspires de lui. Bob Dylan et son accent juif américain m'influençait prodigieusement, même de façon exagérée. Comment te dire ça ?»

 

L'amour du Western

 

«J'ai envie d'écouter toutes ses musiques et lorsque j'écris elles me reviennent comme de la poésie que j'aurais apprise enfant. Mais je crois que tu es critique de cinéma et que je peux être avec mes états d'âme mais c'est le cinéma qui t'intéresse... J'aime les westerns... Lorsque j'avais treize ans, on m'avait cousu une étoile jaune sur la poitrine. J'étais né, je l'ai souvent dit, sous le signe de l'étoile jaune. Mes parents m'avaient caché. C'était la guerre même pour les enfants comme moi, à qui l'on avait demandé d'effacer en hâte leur enfance pour devenir adulte immédiatement sans transition. Je ne l'oublierai jamais, je ne l'ai pas oublié. C'est un miracle que l'on puisse parler aujourd'hui et que tu puisses me photographier. J'ai vécu une période vraiment tragique qui n'était pas du cinéma. Je le répète, on était obligé de se cacher pour sauver sa peau. Maintenant, c'est différent, plus on se montre, plus on est aimé, même si c'est nul. Surtout si c'est nul ça marche. C'est truqué. Il ne faut jamais croire que c'est le génie qui triomphe. C'est le show-biz. J'ai compris que c'était avec des gens déjà en place qu'il fallait compter pour percer. La nullité peut engendrer le génie, regarde moi. Le cinéma est une expression totale, je peux chanter, jouer, diriger des acteurs, inventer un éclairage. Le cinéma c'est l'art parfait. Dans un film la réflexion ne nuit pas à sa beauté. Avec Je t'aime moi non plus (1976), j'ai construit avec Jane Birkin une hyper-réalité qui ne nous a habité qu'un moment, hélas, car l'amour ça dure ce que ça dure...»

 

Ce court extrait de l'entretien que j'avais eu avec Serge Gainsbourg nous permet de saisir la richesse de l'homme et de son langage. Les préjugés l'ont classé comme un homme d'art incapable d'être sérieux un instant. Ces propos pertinents prouvent le contraire. Ses proches comme ses œuvres démentent son apparente légèreté. Serge Gainsbourg c'est la mort pour avoir découvert « le point de non-retour» que constitue la lucidité critique sur la vie.

 

Serge Gainsbourg face au cinéma

 

En 1959, Gainsbourg apparaît dans un film de Michel Boisrond : Voulez-vous danser avec moi ? aux côtés de Brigitte Bardot, Henri Vidal, Noël Roquevert, Dario Moreno. L'histoire est banale : un maître chanteur trouble l'amour de Michel pour Virginie. Un peu plus tard, Serge Gainsbourg prend plaisir à jouer les traîtres et les méchants dans des péplums italiens dont l'un, Hercule se déchaîne (1962) de Gian Franco Parolini a rencontré un réel succès.

 

Visiblement il mène cette carrière d'acteur avec décontraction, ne se prenant jamais au sérieux. Dans les années soixante, il sera dirigé par des metteurs en scène célèbres : Jacques Poitrenaud, Jean-Paul Le Chanois, Jacques Besnard, Georges Lautner, Gérard Pirès. Hélas, tous ces films ne l'intéresseront guère. Sa rencontre avec Robert Benayoun, l'ami de Jerry Lewis, qui lui confi e un rôle dans Paris n'existe pas (1969), va faire renaître sa passion pour le cinéma. Serge Gainsbourg défend le cinéma d'auteur menacé par une routine et dénoncé par François Truffaut dans un article virulent dans les Cahiers du cinéma «un certain cinéma français». Il participe au film de William Klein, Mister Freedom (1969) et rencontrera Jane Birkin sur le plateau de Slogan (1968) de Pierre Grimblat. À partir des années 1970, le cinéma tiendra moins de place dans sa vie que la chanson, ce qui ne l'empêchera pas de paraître dans Cannabis (1970) de Pierre Koralnick, l'excellent fi lm d'Abraham Polonsky, Le voleur de chevaux (1970), ainsi que dans Sérieux comme le plaisir (1975) de Robert Benayoun. Serge Gainsbourg a tourné de nombreux autres films dont la majorité est sans intérêt. Il faut noter cependant le fi lm de Claude Berri Je vous aime (1980) avec Catherine Deneuve.

 

Tout en composant de la musique, Serge Gainsbourg pense au cinéma. Il met toute sa force de conviction afin de réaliser son premier fi lm Je t'aime moi non plus (1976) dans lequel il montre « son art de dire ». La sensualité de ses images stupéfait son entourage choqué par tant d'expression. On lui reproche en réalité d'avoir trouvé un sens à son amour, et d'avoir su le transmettre à un public. Le cinéma refusait à cette époque de mêler sensualité et idées. Des critiques malveillants ont parlé de provocation, terme qui a un goût de superficiel, alors que Serge Gainsbourg ne voulait exprimer que profondeur au-delà des mots. « Au cinéma on peut imaginer ce qui est montré, non ce qui est dit, sinon il faut faire autre chose. »

 

L'underground ou une autre façon de restaurer les «vérités»

 

Il choisit des acteurs connotés underground: Hugues Quester, Joe Dalessandro, l'acteur fétiche d'Andy Wharhol et Paul Morrissey qui incarnent deux éboueurs homosexuels. Serge Gainsbourg filme ses personnages avec une grande finesse. Jane Birkin est cadrée comme s'il la découvrait. C'est une vision amoureuse d'un homme pour un être qui le dépasse. Un regard sensitif qui déstabilise tout observateur. Le réalisateur est fidèle à l'esprit de Jean Cocteau qui explique la vie avec son «étonne-moi».

 

Le milieu du cinéma et son «centre»

 

Ses images sont si riches que le milieu cinématographique inquiet de son éventuel succès s'empresse de réduire son œuvre à une provocation. Nul ne veut entendre les adjectifs qui qualifient son art et risqueraient de frustrer toute une profession cherchant çà et là une source d'inspiration. Son cinéma est humain, sensuel, il n'est pas préfabriqué ou surgelé. Son cinéma va dans le sens évoqué par Barjavel dans son article ayant pour titre «Le cinéma total».

 

Equateur (1983) confirme l'intérêt du public pour ses films. Présenté au Festival de Cannes en compétition, ce second film suscite de violentes bousculades. Il est une sorte de révélateur du nouveau climat social face à l'amour. L'érotisme est consciencieusement décrit, il provoque une réprobation générale mélangée à beaucoup de complaisance. Le film séduit les spectateurs en même temps choqués par leurs propres attitudes. Ils redoutent en réalité les pulsions naturelles qu'ont réveillées les créations de Serge Gainsbourg qui se plaisait à dire, non sans humour, qu'il était cinéaste et non psychiatre. Francis Huster et Barbara Sukowa interprètent des scènes érotiques avec talent, leur «parlé» est «vrai». Elles ne révèlent pas la direction d'acteurs, lourde de mauvaises conséquences pour ce type d'œuvre. La vision de l'Afrique noire à l'époque colonialiste laissait libre cours à toutes les interprétations. L'Afrique était traitée avec un véritable mépris de la part de la métropole. L'homme noir n'avait pas les mêmes droits que l'homme blanc. Serge Gainsbourg avec ses moyens, tente de réparer cet oubli, en étudiant également les rapports homme-femme. Cette aventure l'épuise, sans lui retirer pour autant son envie de tourner à nouveau. C'est avec Charlotte sa fille, qu'il va faire un nouveau fi lm, Charlotte for ever (1986). Il interprètera un scénariste alcoolique qui n'est pas sans rappeler Bukowsky. Il avait tourné avec Charlotte un clip Lemon Incest (1984) et son quatrième film Stan the flasher (1990).

 

L'amour de l'art et des autres est contenu naturellement dans l'individu. Serge Gainsbourg ne s'épargne pas, mais n'épargne personne. Il détestait la télévision. Il ne le disait jamais puisqu'il s'en servait. « C'est un instrument, rien de plus, et pas un Dieu. Quant aux animateurs, ce sont des larbins qui se prennent pour des génies parce qu'ils apparaissent chez vous sans jamais frapper. » Serge Gainsbourg était un nanti de l'expression. Il avait la possibilité de « dire » avec ses chansons, de peindre son doute sur une toile, d'élever son âme par la musique et enfin de faire partager des fictions qui n'étaient rien d'autre que la sublimation de sa propre vie.

 

Plus de 204 720 056 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.