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Un mendiant insupportable

Écrit par radio Son de l'Espoir
05.02.2010
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  • mendiant(Stringer: SAM NARIMAN PANTHAKY / 2003 AFP)

Un certain Kouang était un gros propriétaire terrien sans scrupule. L'un de ces parvenus bouffis de richesses et d'ambition. Pour fêter ses 50 ans, il avait invité tous les mandarins de haut rang et les notables influents que comptait la région. Rien ne manquait pour donner à l'évènement le faste qui convenait à sa fortune toute roturière et provinciale : banquet gargantuesque, décoration outrancière, musiques insupportables et danseuses obscènes.

 

Mais Kouang, le richard, était surtout fier d'une idée tout à fait originale qu'il avait eue, trouvaille inédite qui laisserait un souvenir impérissable à ses invités : il avait fait recouvrir la route boueuse qui conduisait à sa demeure par une épaisse couche de grains de riz immaculés. Une armée de paysans affamés devait la ratisser sans relâche pour effacer les traces des chars et des palanquins que laissait la troupe des convives! Et cela sous bonne garde pour qu'aucun nécessiteux ne dérobe quelques poignées de riz ...

Un mendiant boiteux et difforme, appuyé sur une béquille de fer, déjoua la surveillance des gardes, s'agenouilla sur la route et se mit à remplir sa besace de grains de riz. Un cerbère de service l'empoigna rudement pour le traîner hors de la chaussée.

– Par pitié, supplia le loqueteux, laissez-moi prendre de quoi nourrir mes enfants!

– Déguerpis, misérable, et sache que mon maître préfère que son riz pourrisse dans la boue plutôt que de voir des gueux de ton espèce gâcher sa fête!

– Eh bien, répliqua le mendiant, je lui réserve un cadeau qu'il n'oubliera pas de sitôt!

Et le boiteux se redressa d'un coup, prit ses jambes à son cou et, à la surprise générale, détala comme un dératé vers la demeure du richard, zigzaguant entre les derniers invités. Une meute de gardes se mit à sa poursuite, criant des jurons et des ordres.

Le mendiant, qui paraissait avoir quelques notions d'arts martiaux, joua de sa béquille et se fraya un passage entre ceux qui surveillaient l'entrée. Il fit une irruption désordonnée dans la salle du banquet, s'inclina devant le maître des lieux et lui demanda la charité. Kouang, furieux, le repoussa brutalement. Le mendiant tomba à la renverse, son crâne heurta le carrelage. Le corps du misérable resta sans vie sur le sol.

Le maître des lieux donna l'ordre qu'on jette dehors ce trouble-fête. Mais quand deux gardes voulurent le soulever, il paraissait peser un poids considérable. Quatre personnes ne réussirent pas non plus à l'emporter, ni même une dizaine. Un vent lugubre se fit sentir dans la salle. La nourriture se mit à bouger toute seule sur les tables devant les yeux exorbités des invités qui découvrirent qu'elle grouillait de vers et d'insectes. Le vent redoubla de violence, toutes les lanternes s'éteignirent, précipitant la fuite de la plupart des convives.

Kouang cria au maléfice et fit venir un prêtre exorciste. Le taoïste examina le corps du mendiant, constata le décès et fit ensuite une divination avec le Yi King. Il déclara que l'esprit du défunt était très puissant, qu'il ne serait apaisé que lorsque le responsable de sa mort serait puni. Le juge de l'arrondissement, qui était resté sur place, s'empressa de faire arrêter le maître des lieux. Celui-ci, visiblement soulagé de quitter sa maison hantée, se laissa emmener sans résistance. Il pensa sans doute aussi qu'avec un bon avocat et le jeu de ses relations, il se sortirait honorablement de ce meurtre accidentel. 

À peine Kouang, le richard, fut-il mis au cachot qu'on put soulever le cadavre. Celui-ci fut déposé dans un cercueil et porté dans le temple le plus proche. Au moment des funérailles, la bière parut singulièrement légère. Le taoïste qui officiait, et qui commençait à se douter de quelque chose, la fit ouvrir et souleva le couvercle. Le cadavre avait disparu. Il y avait une lettre à la place. Le prêtre la prit et lut ces mots : «Qui piétine les dons du Ciel et se moque de ses enfants s'expose à la colère des Immortels. Nul ne peut impunément bafouer les lois célestes

Le poème était signé Tié Gaï Li. Le prêtre sourit et, sans rien dire, referma le couvercle. Le cercueil vide fut enterré en grande pompe. Quant au gros Kouang, il fut jugé coupable de la mort du mendiant, sans intention de la donner. Ses biens furent confisqués et distribués aux pauvres. Ruiné, il dut gagner le reste de sa vie en maniant la pelle et la pioche du cantonnier.

Qui accumule des richesses a beaucoup à perdre!

Quant au prêtre taoïste, il dévoila à ses jeunes assistants, sous le sceau du secret, ce qu'il avait trouvé dans le cercueil. Et ils rirent de bon cœur du tour qu'avait joué Tié Gaï Li, l'éternel mendiant boiteux, le plus populaire des Huit Immortels.

Et comment un infirme disgracieux prit rang parmi les saints taoïstes? D'une bien étrange façon. Mais c'est une autre histoire ...

Auteur Pascal Fauliot, titre Contes des sages Taoïstes, Édition du Seuil

 

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