Genèse des nouvelles tensions entre Washington et Pékin

Écrit par Antoine Latour, La Grande Époque
08.02.2010
  • Le dalaï-lama(Stringer: DIPTENDU DUTTA / 2010 AFP)

L’arrivée de l’administration Obama représentait une certaine dose de mystère pour les mandarins de Pékin. L’idéalisme et le renouveau prêchés par le nouveau président américain constituaient une menace pour le régime chinois. De quelle manière? Sur le plan idéologique, car ses principes inspiraient et, ainsi, pouvaient influencer. Les États-Unis redevenaient in, au moins comparativement à la dernière décennie. Mais d’un autre côté, le multilatéralisme mis de l’avant par Obama, entendu comme «monde multipolaire» par Pékin, était très rassurant.

Avec la visite en Chine de la secrétaire d’État, Hillary Clinton, les craintes de l’inconnu du départ ont été remplacées par une certaine satisfaction. En effet, les droits de l’homme étaient relégués à l’arrière-plan, Washington cherchant la coopération de Pékin sur des questions considérées plus importantes et pressantes comme les changements climatiques et la crise économique. Tout semblait bien aller du point de vue chinois.

Obama semblait s’être plié à la volonté du gouvernement chinois en ne rencontrant pas le dalaï-lama lors de son passage aux États-Unis. Au moment du 60e anniversaire de la République populaire de Chine en octobre 2009, des sympathisants du régime avaient hissé le drapeau rouge à proximité de la Maison-Blanche, permettant un coup de propagande.

Quelques mois plus tard, on dirait que tout a changé.

La coopération de la Chine sur le climat ne s’est pas matérialisée, alors qu’on lui a en quelque sorte attribué la faillite du Sommet de Copenhague. Concernant le dossier iranien, Pékin s’est opposé à des sanctions plus sévères tout en s’assurant que d’éventuelles actions visant l’approvisionnement en gazoline de Téhéran auraient un effet peu déterminant. En ce qui a trait à la crise économique, la grogne aux États-Unis est périlleuse pour Obama avec le chômage élevé. Il est difficile de fermer les yeux sur les nombreux emplois perdus aux États-Unis qui se sont envolés vers la Chine ou ailleurs.

Cette série de facteurs, affectant la position américaine à domicile et à l’étranger, a probablement motivé l’administration actuelle à redresser sa garde et surtout à changer son discours public. Par exemple, les attaques cybernétiques attribuées à des pirates informatiques chinois font partie du paysage depuis un certain temps. On rapportait l’année dernière que le réseau électrique nord-américain faisait l’objet d’attaques visant à mapper le système de manière à pouvoir s’infiltrer et prendre contrôle de l’infrastructure essentielle comme les centrales électriques. L’information révélée par le Wall Street Journal n’avait pas généré de panique politique ou médiatique.

  • Le dalaï-lama(Stringer: DIPTENDU DUTTA / 2010 AFP)

Mais lorsque le géant de l’Internet, Google, a affirmé en janvier dernier que ses systèmes, de même que des comptes Gmail de militants des droits de l’homme, avaient été attaqués par le gouvernement chinois, Washington est entré dans l’arène en qualifiant l’évènement de «wake-up call». En plus de défendre vigoureusement Google, la liberté de l’information en Chine est devenue un cheval de bataille. Google a menacé de se retirer de la Chine et voilà qu’on rapporte que la National Security Agency (NSA), l’agence américaine d’espionnage électronique, prévoit un partenariat avec Google pour faire face aux menaces cybernétiques. Cette alliance des leaders mondiaux dans le domaine indique une nouvelle volonté de combattre un fléau qui affecte entreprises privées et gouvernements. Les défenseurs de la vie privée et les passionnés de conspirations commencent à s’agiter.

Alors que l’épisode Google perdait de la vitesse dans les médias, les États-Unis annonçaient la vente prévue de matériel militaire à Taiwan. Bien que ces ventes provoquent toujours l’ire du régime chinois, cette fois Pékin a annoncé que les firmes vendant des armes à Taiwan allaient subir des sanctions. Les firmes américaines n’ont déjà pas le droit de vendre des armes à la Chine depuis le massacre de la place Tiananmen en 1989, mais elles ont souvent des activités autres que militaires.

Tout comme l’Iran peut tirer sur des ficelles dans son conflit avec les États-Unis, comme contrôler et alimenter différents groupes terroristes au Moyen-Orient, la Chine possède ses propres méthodes de rétorsion. Sa relation avec l’Iran en est une. Celle avec la Corée du Nord en est une autre. Sa menace non clarifiée annonçait peut-être la mise en œuvre de différents plans non officiels visant à saper la position américaine.

La tempête concernant la vente d’armes à Taiwan n’était pas terminée que la Maison-Blanche signalait que Barack Obama allait rencontrer dans les prochaines semaines un collègue récipiendaire du prix Nobel de la paix, le dalaï-lama. Un flot de menaces de Pékin a suivi, comme c’est généralement le cas. Sauf que cette fois, forte de son statut international, la Chine a laissé entendre que les États-Unis auraient peine à faire face à la crise économique s’ils commettaient cet affront.

Avec ce que certains sympathisants de Pékin appellent le China bashing des derniers jours, il est peu probable qu’Obama annule la rencontre. Il a cependant encore le temps de choisir dans quel contexte elle se déroulera. En tous cas, il ne pourra pas octroyer la médaille du Congrès au dalaï-lama : son prédécesseur l’a déjà fait. Il pourra toujours tenir une rencontre discrète, comme l’avait fait l’ex-premier ministre canadien Paul Martin.

  • Les médias du gouvernement chinois ont réagi fortement à la décision de Washington de vendre des armes à Taiwan(Staff: FREDERIC J. BROWN / 2010 AFP)

La tenue d’une rencontre en grande pompe viendrait certainement terminer le portrait que les dirigeants chinois se font d’Obama : une peinture avec un bull’s eye au milieu, pour jouer aux dards (il doit y avoir un équivalent chinois…).

En même temps que tout cela se déroule, les pressions sur la Chine quant à sa monnaie ont refait surface. Le yuan est gardé artificiellement bas pour favoriser les exportations, ce qui contribue au déséquilibre des balances commerciales entre la Chine et ses partenaires commerciaux. Si les entreprises étrangères peuvent améliorer leurs profits en diminuant les coûts de production par la délocalisation en Chine, dans un contexte de crise économique, les travailleurs des États-Unis, par exemple, ont un bouc émissaire. Obama aussi. Et souffle le vent protectionniste.

Le vent change

Mais un vent n’est qu’un vent. Impossible de dire combien de temps durera cette levée de bouclier. Est-ce que Washington s’est vraiment «réveillé» face à la menace que pourrait constituer l’expansion de l’influence de Pékin? Les promoteurs de l’amitié sino-américaine sont-ils en train de perdre du poids dans la capitale américaine? Le «réveil» est-il seulement une constatation que le gouvernement chinois n’entend pas coopérer sur une quantité de questions jugées cruciales par l’administration Obama?

  • décision de Google de remettre en question ses opérations en Chine(Staff: LIU JIN / 2010 AFP)

En tout cas, Washington a bien identifié les points faibles de Pékin et les a frappés de plein fouet ces dernières semaines. Liberté de l’information, Taiwan et Tibet, autant de sujets extrêmement sensibles. Des paroles et des gestes plus explicites des États -Unis en faveur des droits de l’homme, par des canaux pouvant rejoindre efficacement à la fois son public interne et celui de la Chine continentale, viendraient ébranler davantage le régime chinois. L’entente de garder le silence sur ces questions, en échange d’une coopération sur des thèmes internationaux, n’a donné jusqu'à date aucun résultat.