Philippe Diaz, réalisateur du film La fin de la pauvreté?

Écrit par Propos recueillis par Laurent Gey
08.02.2010
  • Philippe Diaz, réalisateur du film La fin de la pauvreté?(攝影: / 大紀元)

«Aujourd’hui on consomme 50% de plus que peut régénérer la planète. La population mondiale s’accroît tous les ans. La seule solution pour les pays du Nord pour maintenir leur train de vie est de plonger de plus en plus de gens sous le seuil de pauvreté dans les pays du Sud. C’est cela qu’il faut changer.»

Comment votre parcours personnel vous a-t-il amené vers le cinéma sociopolitique et le goût d’engagement?

J’ai fait des études de philosophie politique et de philosophie de l’art. La philosophie politique m’a montré qu’il fallait faire quelque chose, car ce monde est épouvantable, dans le sens où il y a assez de ressources pour l’ensemble de la population et que 25.000 personnes souffrent et meurent chaque jour à cause du système que nous avons créé. Mes études de philosophie de l’art m’ont amené à penser que le cinéma pouvait être un moyen d’expression et une arme pour changer les choses. Les histoires liées à la pauvreté ou à la souffrance humaine d’une manière générale sont des sujets qui m’ont toujours intéressé. Si les gens savaient, ils feraient quelque chose. Mais je pense que les gens ne savent pas la réalité de ce qui se passe au sujet de la pauvreté. Pour le film La fin de la pauvreté?, c’est une fondation américaine qui m’a contacté pour faire un film sur les vraies causes historiques de la pauvreté et qui ne trouvait bien évidemment personne à Hollywood pour le réaliser.

Quelle est la thèse défendue dans votre film La fin de la pauvreté? 

L’idée principale est que la globalisation commencée en 1492 est responsable de la situation de pauvreté qui fait qu’un milliard d’hommes sur terre vit avec moins d’un dollar par jour. Cette époque marque selon moi le début des temps modernes, c'est-à-dire le temps où plusieurs pays vont construire des empires sans aucune ressource naturelle sur place. Un système avait alors été créé, basé sur le commerce des ressources du Sud. Ainsi on peut voir des pays comme les États-Unis, l’Europe, la Corée, le Japon, qui n’existeraient pas sans les ressources du Sud. Les experts disent dans le film qu’aujourd’hui 20% de la population mondiale consomment 80% des ressources. Serge Latouche ironise d’ailleurs au sujet de cette surconsommation: «Pour pouvoir penser qu’on pouvait développer un système à l’infini sur une planète finie, il fallait être soit un enfant soit un économiste». C’est absurde, car on sait depuis plus de cinquante ans que l’on consomme plus que ce que la planète peut régénérer, soit 30 à 50% de plus, selon Serge Latouche. Sans un changement radical de ces habitudes de consommation, on va vers une période de crise majeure. Les experts qui suivent cette thèse disent que l’on va vers une explosion de ce modèle dans les dix ou trente ans. Donc ça nous concerne tous et c’est extrêmement grave.

Dans votre film, vous dites que notre système dépend des ressources des pays du Sud et qu’à chaque minute le Sud paie 25.000 dollars d’une dette datant de l’époque du colonialisme. Pouvez-vous nous en dire plus?

Si nos économies dépendent entièrement des ressources du Sud, on va faire tout ce qui est possible pour maintenir ces ressources sous contrôle. J’apprécie les films de Mickael Moore sur le capitalisme, mais je trouve qu’il fait une erreur en disant qu’il suffit de remplacer les mauvais banquiers de Wall Street, les économistes ou les dirigeants des grandes entreprises. Ce n’est pas du tout le cas, ces gens sont seulement là pour maintenir le système qui est en place depuis déjà longtemps. Depuis l’époque coloniale, on a mis une politique systématique de dette pour empêcher les pays du monde de se développer. Je ne suis pas un adepte de la conspiration. Je pense qu’on a créé ce système sans vraiment le savoir, puis il a continué à se développer et est resté le même depuis 500 ans. C’est ce que j’ai essayé de montrer dans mon film, le système est resté le même. La seule chose qui ait changé, ce sont les outils pour le maintenir en place.

Peut-on faire le parallèle avec la Françafrique?

La Françafrique est juste un petit morceau de cela. Aujourd’hui il y a aussi la Chine qui met en place ce système avec l’Afrique. C’est pourquoi à la fin du film on parle de la décroissance. Quand on est sous-développé, c’est important de croître, mais quand on est surdéveloppé, toute croissance est un pur gâchis. Toutes les ressources qu’on va utiliser pour croître, alors qu’on est déjà surdéveloppé, sont totalement gâchées. C’est cela le concept de la décroissance. C’est la décroissance du niveau de la consommation des pays. Sans un changement radical au niveau de la consommation de chacun des pays du Nord, on va vers cette explosion massive, il n’y a aucun doute.

Mais je pense que les gens ne le savent pas. Si on dit aux Américains qu’il y a 25.000 enfants qui meurent chaque année des causes de ce système, personne ne pourra rester indifférent. L’un des grands concepts des économistes traditionnels de Wall Street est de dire que les pauvres ne sont pas éduqués et c’est cela qui cause leur pauvreté. Je leur réponds toujours que ce n’est pas tout à fait le cas. Ce sont les riches qui ne sont pas éduqués, ce sont les riches qu’il faut éduquer. Dans le film, j’ai voulu montrer des pauvres très dignes qui nous expliquent leur histoire, qui nous montrent qu’ils sont tout à fait éduqués et qu’ils comprennent tout à fait ce qui se passe.

Les experts disent que si toute la population mondiale consommait comme les États-Unis, il faudrait six planètes Terre. Est-il possible qu’un jour toute la population mondiale arrive à un niveau de développement équilibré?

On ne peut pas arriver à un niveau où tout le monde consomme comme les Américains ou comme les Européens, sauf à changer notre système de consommation dans les pays du Nord. Est-ce que l’on a vraiment besoin à la maison de trois télévisions et de trois voitures? Une étude avait révélé que si l’on donnait les stocks de nourriture des pays du Nord qu’on n’utilise jamais et qu’on jette, aux pays qui souffrent de la faim, on arrêterait la famine immédiatement. Si l’on arrêtait de gâcher les ressources naturelles, de nombreux problèmes seraient résolus.

Donc il faudrait rééduquer la population riche pour résoudre la pauvreté?

C’est évident. Il faut aussi éduquer les politiques et les économistes. J’ai interviewé ces personnes qui défendent le système économique et le système néolibéral. Ils pensent que le marché des ressources naturelles résoudra le problème de la pauvreté. Les économistes qui sont les conseillers de nos présidents sont ces personnes qui croient encore dans ce système de surconsommation et de privatisation à court terme. Ils défendent un système qui n’existe plus, un système qui a explosé depuis longtemps. Mais ils essayent quand même de le garder parce que c’est un système très confortable pour eux et pour leur famille.

Avec ce film engagé, vous alertez pour améliorer les choses...

Si on ne s’y met pas tous, vous en tant que journaliste, moi en tant que réalisateur et producteur, d’autres en tant qu’écrivains, etc., si on ne se met pas tous à éduquer la population et à pousser un cri d’alarme, je n’ai vraiment pas envie de voir ce que cela va donner.

Vous dites dans le film qu’il y a un échec du système dû au concept de la loi du marché, du néolibéralisme et de la surcroissance. Pensez-vous qu’il soit possible de changer cette situation?

J’ai répondu à cette question lors d’un débat. Si les groupes sociaux, politiques, religieux…, s’emparent de ce genre de problème et s’ils sont des millions de membres, alors cela changera beaucoup les choses. Si l’opinion publique est assez forte pour montrer une direction, je pense que les politiciens iront de ce côté. Il faut qu’il y ait une prise de conscience très grande de la population dans le monde. Par exemple, il y a dix ans, personne ne parlait du réchauffement climatique. Aujourd’hui, parce que tout le monde s’est mobilisé, tout le monde en parle et c’est présent dans notre consommation. Il n’y a qu’en diffusant ce genre d’information que l’on peut arriver à faire changer les choses.

Que pensez-vous de la taxe Tobin*?

Justement, nous sommes en train de travailler avec les experts du film à une liste de dix propositions pour enrayer la pauvreté. La taxe Tobin en est une, mais il y en a d’autres qu’on aborde dans le film comme par exemple une réforme agraire consistant à rendre la terre à ceux qui la cultivent. C’est ce que je fais dire à Charles Berling, la voix française, et Martin Sheen, la voix anglaise du film, notre système est financé par les pauvres, dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud. Et cela est vrai aussi pour les pauvres des pays du Nord, qui payent des impôts injustes sur les produits de consommation ou sur les salaires. Encore une fois notre système est gouverné par des gens qui bénéficient de ce système à outrance.

À qui allez-vous soumettre cette liste de propositions pour enrayer la pauvreté?

Beaucoup de choses sont en train de se faire. On travaille avec un investisseur aux États-Unis qui va prendre une page entière dans le New York Times au moment de Davos pour parler de ces propositions. On va regrouper dans ces dix propositions tous les éléments forts et toutes les nouvelles propositions pour donner une direction dans laquelle travailler, pour endiguer la pauvreté. Que tout le monde trouve la pauvreté normale, je trouve cela épouvantable. 

Le film est tourné principalement en Amérique du Sud et en Afrique. Mis à part l’Inde et l’Indonésie, la Chine où il y a énormément d’inégalités et les autres pays d’Asie du Sud-Est ne sont pas évoqués. Pourquoi?

À l’origine du projet, nous voulions aller en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est. La première raison tient au fait que ces pays se sont développés de manière totalement différente et il aurait fallu faire un film entier là-dessus. La seconde raison est budgétaire. Mais j’aimerais bien faire un film sur les problèmes des inégalités en Chine et aussi sur les problèmes de pauvreté dans les pays du Nord.

Selon vous comment les pays riches pourraient-ils se positionner par rapport aux pays pauvres?

J’ai soumis ce problème à un économiste en lui disant: «Aujourd’hui vous êtes arrivé à un seuil maximum de ce que vous pouviez vendre comme produits. Il n’y a qu’en sortant les pauvres de la pauvreté que vous allez trouver d’autres marchés pour vos produits ». Qu’on le prenne au niveau humanitaire, au niveau historique ou au niveau politique, il n’y a qu’en sortant les pauvres de la pauvreté que cela peut fonctionner. De toute façon il n’y a pas d’autre issue.

Quels sont les résultats de diffusion du film?

Le film marche plutôt bien pour un documentaire, mais ce n’est pas Avatar ou Michael Moore. Le film a été diffusé dans trente cinq festivals dans le monde. Il est sorti dans plusieurs salles en France et aux États-Unis. L’audience du film se compose essentiellement de jeunes entre 18 et 30 ans. C’est pourquoi j’ai encore espoir dans la jeunesse, parce qu’ils attendent de vraies réponses. Nous n’avons pas les moyens de faire une grande campagne de promotion. Les médias traditionnels n’en font pas non plus, mais le film connaît un soutien énorme des médias alternatifs, particulièrement aux États-Unis. Les salles ont été remplies à New York et le film a été numéro un tous les jours jusqu’à la sortie du film de Disney avec Jim Carrey. Donc il y a une vraie demande.

Combien a coûté ce film?

Le coût du film se chiffre à un peu plus d’un demi-million de dollars. Le film a été financé par la fondation américaine et par notre société de production. Il n’est pas sûr encore qu’on pourra rentrer dans nos frais, mais l’objectif n’était pas de s’enrichir.

Quels sont vos prochains projets?

Le prochain film que je fais est un film de fiction sur Karl Marx pour montrer où il avait raison et où il avait tort. Nous allons commencer bientôt le tournage en Algérie. Le film s’intitulera Les derniers jours de Karl Marx, car historiquement Karl Marx a voulu finir ses jours en Algérie.

 

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