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Eutelsat : pas de capacités techniques pour les médias libres

Écrit par Laurent Gey - La Grande Époque
09.02.2010
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  • GEORGIE, Tbilisi : L'image prise le 11 janvier 2010 montre le rédacteur en chef des informations, Ekaterina Kotrikadze, parlant dans les nouveaux locaux de la chaîne de télévision russophone Première Caucase à Tbilissi. Lundi 7 février l'opérateur Satellite Eutelsat a nié les accusations, qu'il aurait cédé à la pression russe pour couper la transmission de cette nouvelle chaîne de télévision géorgienne dans le Caucase. AFP PHOTO / VANO SHLAMOV(STR: VANO SHLAMOV / ImageForum)

Le premier groupe européen de télécommunication serait-il le relais des régimes autoritaires ? C’est la question que se posent aujourd’hui les médias français et étrangers (1) depuis la récente coupure de la télévision Caucase première par l’opérateur Eutelsat.  L’affaire aurait pu passer inaperçue si la télévision chinoise NTDTV n’avait pas subi le même sort en 2008, ainsi qu’en 2009 l’édition Farsi de la BBC destinée à un public iranien. Que faut-il comprendre de ce nouveau cas de censure présumé d’une télévision libre par une entreprise européenne basée à Paris et appartenant pour un quart à l’Etat français?

Première Caucase, la première télévision russophone indépendante

 La chaîne de télévision Perviy Kavkazky -Première Caucase en français- est présentée comme étant la «première chaîne russophone du Caucase hors du contrôle du Kremlin». Basée en Géorgie, elle est produite par de jeunes caucasiens : Géorgiens, Ossètes, Arméniens, Azerbaïdjanais, Daghestanais, Tchétchènes, Ingouches, et aussi des Russes et des Kazakhs. Selon les responsables, c’est la seule télévision qui, dans ces régions, rend compte de tous les points de vue.

Diffusée via une chaîne publique géorgienne depuis le 1er janvier 2010, la chaîne Première Caucase avait trouvé un accord le 14 janvier avec l’opérateur satellitaire européen Eutelsat pour permettre la retransmission par satellite. La télévision est même diffusée gratuitement à partir de ce jour là par Eutelsat sur son satellite W7,  en attendant la signature du contrat prévue le 31 janvier. La chaîne connaît alors un succès immédiat, les foyers du Caucase et de Russie y voyant une télévision indépendante de la propagande pro-Kremlin.

Pourtant, le 21 janvier 2010, quelques jours après la signature d’un contrat mirobolant avec une filiale médiatique Intersputnik du géant russe Gazprom, Eutelsat reprend contact avec Première Caucase, pour leur parler «d’un problème sur le contenu de la chaîne». Alors qu’une délégation se rend en urgence à Paris le 26 janvier, le satellite européen cesse de diffuser la télévision sans autre appel.

 

Ce lundi 8 février, la justice française a été saisie. Le juge des référés s'est déclaré non compétent pour juger l'affaire et l’a renvoyée pour un jugement sur le fond au tribunal de commerce. La première audience aura lieu le 22 février 2010. La chaîne accuse Eutelsat de s'être mis «au service de la censure russe» et demande que le groupe européen soit soumis à une astreinte de 50.000 euros par jour pour non exécution de son contrat.

 

Maître d'Armagnac, l’avocat de la chaîne Caucasienne, a déclaré qu’il s’agit d’un «sujet majeur, sur le problème du pluralisme, de la liberté d'expression et des méthodes commerciales déloyales». Il se rendra mercredi prochain avec les responsables de la chaîne, au siège du Parlement européen de Strasbourg.

 

Le parallèle avec la coupure de la télévision chinoise New Tang Dynasty en 2008

L’affaire aurait pu être  un cas de censure isolé, si la télévision chinoise indépendante New Tang Dynasty (NTDTV) n’avait pas subi récemment le même sort. En 2008, un mois avant les Jeux Olympiques de Pékin, l’opérateur européen Eutelsat prétextait déjà des problèmes techniques pour cesser la diffusion de la chaine dissidente chinoise.  Cependant, une enquête de Reporters sans frontières a révélé que cette interruption était un acte prémédité suite aux pressions commerciales du régime chinois. Dans un appel enregistré, un démocrate chinois se faisant passer pour un fonctionnaire du département chinois de la propagande, contacte un responsable d’Eutelsat en Chine. Ce dernier lui dit qu’ils ont enfin pu couper NTDTV en signe d’amitié avec le gouvernement chinois, pour pouvoir ainsi signer des accords commerciaux importants. (2)

Suite à une mobilisation internationale, le Parlement européen avait adopté en janvier 2009 une résolution signée -fait exceptionnel- par 477 eurodéputés, demandant à Eutelsat de rétablir la diffusion de NTDTV dans les plus brefs délais et d'expliquer les raisons de l’interruption – ce qu’elle n'a toujours pas fait à ce jour.

En octobre 2009, NTDTV lance l’affaire devant la justice et demande au Tribunal de Commerce de Paris la nomination d’un expert qui enquêtera sur les véritables raisons qui ont poussé Eutelsat à interrompre la diffusion de NTDTV en Chine en juin 2008. Se défendant d’un incident technique sur le satellite W5, le tribunal a refusé la demande stipulant qu’il n’y avait pas de relation contractuelle entre Eutelsat et NTDTV.

Joseph Breham, assistant conseiller juridique de NTDTV, avait commenté cette décision en disant que «jamais Eutelsat ne passe le moindre contrat directement avec les chaînes, mais avec des grossistes qui eux-mêmes, passent des contrats avec les chaînes. Cela sous-entend, si on suit le raisonnement du tribunal de commerce, qu’Eutelsat ne peut pas être tenu responsable de la moindre coupure subie par la moindre chaîne.»

 

Réaction du gouvernement français

La semaine dernière, Bernard Kouchner demandait des «explications» à son homologue chinois sur le conflit avec Google, jugeant «un peu inquiétante» la volonté de la Chine de mettre l'information «sous surveillance».

Actionnaire d’Eutelsat à 25% via la Caisse des Dépôts, le rôle du gouvernement français est dans cette affaire «déterminant», pour prendre la décision de faire respecter les principes de liberté et de pluralisme de l’information, s’agissant d’une entreprise européenne, basée à Paris et dont il est un des actionnaires principaux.

 

D’ailleurs à ce propos Me d'Armagnac, avocat de la télévision Caucasienne, disait qu’il «n'imaginait pas» que les autorités françaises puissent ne pas réagir dans une affaire «aux enjeux dépassant de loin ces aspects contractuels».

(1)

Le Monde : Eutelsat, la télévision géorgienne et les diktats de la censure russe

http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/02/02/eutelsat-la-television-georgienne-et-les-diktats-de-la-censure-russe_1300052_3214.html

La Règle du Jeu : Eutelsat, relais satellite des régimes autoritaires?

http://laregledujeu.org/2010/02/01/829/eutelsat-relais-satellite-des-regimes-autoritaires/

The Wall Street Journal: A Clear Signal From Eutelsat

http://online.wsj.com/article/SB10001424052748704022804575040750677930756.html

(2) Reporters sans Frontières: Eutelsat censure la chaîne en chinois NTDTV pour satisfaire les autorités de Pékin

http://www.rsf.org/spip.php?page=article&id_article=27817

 

 

 

 

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