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Cuisine française: s’attacher à préserver les traditions

Écrit par Laurent Gey, La Grande Époque
10.03.2010
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  • Eric Briffard, le chef du restaurant Le Cinq de l’hôtel Four Seasons George V. (Zhang Yue/DJY)(攝影: / 大紀元)

La cuisine française a la réputation d’être la meilleure cuisine du monde. C’est ce qui nous a amenés à pousser la porte de l’un des plus prestigieux restaurants de Paris, Le Cinq. Son chef, Eric Briffard, nous rappelle que la vraie cuisine française est avant tout un héritage de valeurs et de traditions. Au cours de cet échange, nous retrouvons le souvenir de grands repas familiaux où la bonne cuisine permettait aux gens de se fondre dans la convivialité et la bonne humeur, oubliant, l’espace de quelques heures, les soucis du quotidien. Allons à la rencontre de ce grand chef, meilleur ouvrier de France.

Comment devient-on le chef de l’un des plus prestigieux restaurants de la place parisienne?

J’ai commencé à travailler en cuisine à l’âge de quinze ans, en apprentissage et au rythme de six jours par semaine, quinze heures par jour. Dès mes débuts, j’ai senti que j’avais trouvé ma voie. Ce qui m’a toujours dirigé, c’est la volonté de faire plaisir aux autres. Le fait de recevoir des gens et de les accueillir, a toujours été ma motivation.

Je suis venu à Paris à l’âge de dix-neuf ans, ne connaissant personne, et j’ai travaillé dans la grande cuisine classique française, dite cuisine  Escoffier. J’ai voulu ensuite découvrir une autre cuisine, une cuisine d’auteur, plus autodidacte. Je suis entré chez Marc Meneau à L’Espérance à Vézelay. Je suis parti ensuite à Tokyo en 1989 pour l’ouverture d’un restaurant français en tant que chef cuisinier.

A ce moment, je me suis aperçu que j’avais encore beaucoup de choses à apprendre pour faire des plats de grands chefs, alors je suis rentré en France pour devenir le second d’un grand chef cuisinier, Joël Robuchon. Cela a été pour moi un nouveau départ, car j’ai dû tout réapprendre, de la salade verte à la vinaigrette, avec un souci prononcé du détail et du perfectionnement.

Après quelques années, Joël Robuchon m’a proposé de reprendre des places de chef à Paris, mais j’ai préféré commencer à faire ma propre cuisine et à continuer à y faire mes gammes. Je suis alors parti pendant cinq ans dans un Relais & Châteaux en province. J’ai continué cependant à passer plusieurs concours de cuisine, dont celui du Meilleur Ouvrier de France.

De 1995 à 2008, je suis revenu à Paris, à la demande de Joël Robuchon, et j’ai travaillé comme chef cuisinier dans de grands hôtels parisiens. Depuis mai 2008, je suis le chef de cette grande maison qui est l’hôtel George V, où je suis à la tête d’une équipe de cent cuisiniers.

Quel lien faites-vous entre les traditions, le terroir de vos racines bourguignonnes et la cuisine moderne d’aujourd’hui?

La mémoire de ces traditions et de ce terroir est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur quand je prépare des plats. J’ai souvent l’habitude de dire en cuisine que je viens du monde paysan. J’avais des grands-parents agriculteurs qui possédaient une grande ferme. Grâce à cela, j’ai gardé le contact avec cette culture ancestrale de la cuisine, culture qui s’est malheureusement perdue aujourd’hui. A leur époque, l’année était rythmée par les solstices d’hiver et d’été, à l’occasion desquels on faisait de grands repas familiaux, avec les amis et les voisins du village, réunissant pas moins d’une centaine de personnes dans la cour de la ferme. Bien que mes grands-parents étaient modestes, ils avaient une culture ancrée dans le partage et la convivialité en organisant ces grandes fêtes. En vieillissant, j’ai compris l’importance de cet héritage culturel que j’avais connu étant enfant.

C’était un monde différent du monde d’aujourd’hui, au niveau du rythme et des méthodes de travail. On ne mangeait de la viande que deux fois par semaine, on mangeait beaucoup de légumes venant directement de la ferme car c’était moins cher. J’ai toujours gardé en souvenir de cette époque la puissance des saveurs : le jaune d’œuf, le potage de légumes, etc. C’est aujourd’hui ce qui me fait défendre cette tradition de la cuisine française. J’ai beaucoup voyagé dans le monde et expérimenté des cuisines différentes, mais je ne veux pas perdre ces origines que j’ai eu la chance de connaître. Quand je vais manger de la cuisine chinoise, je suis content de manger une cuisine qui est au plus près de ses vraies racines. Il y a toujours une origine très forte à chaque produit et à chaque façon de faire la cuisine.

Parfois il est difficile de se réapproprier ces traditions, que ce soit au niveau des aliments ou des techniques. Qu’est-ce qui vous permet de renouer avec ces traditions?

C’est une très bonne question. Tout va tellement vite en cuisine aujourd’hui. Je suis entré dans le métier par le compagnonnage à l’âge de dix-neuf ans. C’est une philosophie ouvrière très sérieuse où l’on m’a appris l’esprit de droiture dans le travail. C’est ce qui m’a permis d’arriver un jour à devenir meilleur Ouvrier de France. Grâce à cette tradition de compagnonnage, j’ai eu la chance de rencontrer de vieux chefs cuisiniers âgés de 80 ans qui faisaient une cuisine classique, Escoffier et traditionnelle, mais dans une autre mesure.

C’est un combat de garder ces traditions, car la cuisine d’aujourd’hui est basée sur les produits et les produits ont malheureusement terriblement changé. On mange toujours très bien, mais ce sont des cuisines dépouillées, très photogéniques, très sophistiquées dans lesquelles on privilégie plus l’aspect extérieur que le goût véritable du produit.

La cuisine est une question de sensibilité, de vouloir donner le meilleur de soi-même et de faire plaisir aux autres. Pour cela je vais souvent sur le terrain pour retrouver des goûts perdus que j’ai connus dans mon enfance. Pour préserver ces saveurs, je suis en contact direct avec des jardiniers et je leur commande à l’avance les légumes qu’ils vont cultiver pour ma cuisine. Je peux ainsi préserver certaines saveurs, certains légumes et certaines méthodes de terroir qui font partie de la tradition culturelle française.

Mais c’est un combat au quotidien car la qualité des produits a beaucoup diminué et il faut être un vrai connaisseur pour trouver de vrais produits. Pour apporter des produits authentiques, je mets en place un processus entre de jeunes agriculteurs et les tables de cet établissement.

Je pense que c’est à nous, les chefs cuisiniers, d’aller chercher des produits différents, parce que si on tombe dans les produits communs, c’est vraiment dommage.  

La vraie cuisine, c’est d’apporter des vrais produits. Aujourd’hui mon exotisme, je le trouve plus à travailler avec des légumes oubliés, car cela permet aux gens de découvrir des nouveaux goûts forts et puissants ou des goûts qu’ils avaient oubliés.

Quel est le rapport entre la grande cuisine et la réception de vos clients au restaurant?

La réception des clients dans le restaurant du George V est bien sûr très importante. Les gens qui viennent manger ici sont souvent stressés par le monde des affaires ou par leur vie privée. C’est notre rôle de bien les accueillir et de les servir avec justesse et gentillesse.

On doit arriver à ce que les gens se détendent, se disent qu’ils sont autour d’une table et qu’ils peuvent oublier leurs soucis pour apprécier ce qu’on leur sert. C’est pour cela que j’ai toujours un peu le trac à chaque service, car il s’agit à chaque fois d’accueillir de nouvelles personnes et de passer un moment agréable ensemble.

Quels sont les plus beaux compliments que l’on vous ait faits sur votre cuisine?

Mon plus beau compliment, c’est de voir des gens vraiment émus. Mon objectif est aussi d’arriver à faire passer une émotion à travers des choses brutes et simples comme un bon plat ou un bon pain. A dire vrai, en tant que cuisinier, j’apprécie particulièrement de donner une émotion sincère à un jeune couple modeste qui doit casser la tirelire pour manger au Cinq.

Ce n’est pas parce que vous avez les moyens de vous acheter une grande bouteille de vin que vous savez bien manger et apprécier un plat. C’est dans ce principe, de ne pas me laisser aveugler par tout ce qui brille, que je puise toujours mon énergie et que je garde la tête froide. Je vis vraiment mon métier dans cette simplicité là. C’est dans cette modestie là que j’avance, sinon on peut facilement se laisser griser par des choses qui sont futiles, comme la célébrité par exemple.

Y a-t-il une différence entre la cuisine de vos débuts et la cuisine que vous faites aujourd’hui?

J’ai commencé le métier il y a trente-quatre ans et j’ai eu un apprentissage digne d’un roman de Zola. On dormait chez notre employeur et on vivait six jours par semaine sous la poigne de fer du patron. Le travail était dû : on mangeait peu, on faisait toutes les tâches ingrates, on dormait sans le feu, etc. Maintenant, c’est trop dans l’autre sens. Je pense que la vie trop facile n’est pas forcément synonyme de bien-être. Je pense que chaque individu se grandit dans les épreuves. Dans le temps, il y avait une dignité et un respect de la parole qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. C’est pourquoi j’essaye aujourd’hui de transmettre mon expérience du compagnonnage et des valeurs traditionnelles aux jeunes apprentis cuisiniers et cuisinières que j’ai dans mes cuisines.

Propos recueillis par Stéphane MEYER

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