Présidentielles égyptiennes : Mohamed El Baradei joue les trouble-fête

Écrit par Aurélien Girard, La Grande Époque
02.03.2010
  • Les soutiens au prix Nobel de la Paix Mohamed El Baradei attendent son arrivée à l’aéroport du Caire, le 19 février. KHALED DESOUKI/AFP/Getty Images(攝影: / 大紀元)

Après 30 années hors d’Egypte et 12 ans à la tête de l’AIEA, Mohamed El Baradei a été accueilli par une foule dense de sympathisants lors de son arrivée au Caire le 19 février dernier. L’ancien chef de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) et prix Nobel de la Paix Mohamed El Baradei pourrait être candidat aux élections présidentielles égyptiennes de 2011 – si les barrages constitutionnels se lèvent.

Dans une série d’interviews télévisés, Mohamed El Baradei a fortement critiqué la politique égyptienne et dit clairement son intention de se présenter contre Hosni Moubarak, à la tête du pays depuis 29 ans. La BBC cite par exemple sa réponse à Mona El-Shazly, présentatrice d’une importante émission qui affirmait que les égyptiens jouissent « de la stabilité » du régime Moubarak. M. El Baradei répond : « ne nous trompons pas nous-mêmes. Si quelqu’un ne peut pas trouver de nourriture, ne peut pas trouver de médicaments et ne peut pas recevoir d’éducation, il n’y a pas de stabilité. »

Peu connu dans son pays, M. El Baradei bénéficie cependant d’une aura internationale qui en fait à l’heure actuelle la seule alternative crédible à la dynastie Moubarak, et un espoir pour ceux qui voient déjà le président actuel positionner son fils, Gamal, comme successeur probable en 2011.

Osama El-Ghazali Harb, chef du parti d’opposition Front Démocratique, encense Mohamed El Baradei pour sa capacité à incarner un espoir de changement politique : « La politique revient dans la vie publique égyptienne », écrit-il dans le quotidien indépendant Al Masry Al Youm. « Les citoyens peuvent s’engager dans la politique de leur propre volonté, et pas parce que le gouvernement ou le parti au pouvoir les y force. »

Tous les journaux indépendants du pays ont fait leur Une de l’accueil de l’ancien responsable onusien à son arrivée en Egypte, les journaux officiels reléguant eux la nouvelle au monde obscur des entrefilets de pages internes.

Qu’à cela ne tienne : les champions du marketing viral sont déjà à l’oeuvre pour donner toutes ses chances à celui que la loi égyptienne pourrait ne pas autoriser à devenir officiellement candidat : deux activistes ont été arrêtés à la mi-février pour des tags en faveur d’El Baradei, tandis que la BBC rapporte le cas d’un restaurateur qui tamponne les billets de banque reçus de ses clients avec des slogans pro-El Baradei.

Candidat ou taon athénien ?

  • L’opposition égyptienne autour de Mohammed El Baradei (en bas, quatrième à gauche). AFP/Getty Images(攝影: / 大紀元)

Un groupe Facebook récemment créé  pour le soutenir a déjà des milliers de sympathisants, ce qui n’empêche pas le prix Nobel de la Paix de tempérer les ardeurs de ses supporters : sans garanties formelles que les élections soient « transparentes et honnêtes » – et en particulier en l’absence d’observateurs internationaux, Mohammed El Baradei affirme qu’il ne se présentera pas à la présidentielle de 2011.

Des barrages constitutionnels majeurs sont de toute façon là pour empêcher les candidats nouveaux : l’amendement à la Constitution égyptienne qui a en 2005 ouvert la voie à des élections multipartites, a cependant bloqué l’accès aux candidats indépendants. Tout candidat doit, soit être depuis plus d’un an à la tête d’un parti politique enregistré depuis plus de cinq ans, soit obtenir le soutien de 250 parlementaires et conseillers municipaux – or ceux-ci sont en grande majorité affidés au parti national démocratique d’Hosni Moubarak.

« Si quelqu’un comme moi ne peut être candidat, c’est une crise majeure. Comment une constitution peut-elle interdire la candidature de 99 % de la population ? », a dit Mohamed El Baradei dans une intervention télévisée.

Très probablement d’avance interdit d’élection, le diplomate se voit donc assumer le rôle socratique du taon piquant le cheval athénien : un empêcheur de tourner en rond dont la stature internationale forcerait le gouvernement à se réformer. « A l’heure actuelle, j’aimerais être un élément qui pousserait l’Egypte vers plus de démocratie et de transparence », cite Foreign Policy. « Si j’en suis capable, cela me rendra heureux car il faut que nous arrivions à la démocratie dans le monde arabe ».

Les analystes politiques locaux doutent cependant de la possibilité de changement et notent que les médias gouvernementaux présentent déjà Mohamed El Baradei comme un « étranger » dont même la nationalité égyptienne serait sujette à caution.

Mustafa Kamel Sayed, cité par NPR, reconnaît que l’opposition se trouve encouragée par le retour du diplomate. Cependant, « nous devons comprendre que le pays n’a pas la tradition des élections libres, en particulier avec le président Hosni Moubarak. C’est donc un rêve fou de penser qu’une majorité se dégagerait pour un candidat de l’opposition, et que le résultat de l’élection refléterait cette vraie majorité. »

Moins défaitiste, Amr Rabie, du centre d’études politiques et stratégiques Al Braham, se contente de penser que « ce qui est important est qu’El Baradei dérange le régime à l’international comme en interne car il montre qu’il [le gouvernement] ne permet pas à des personnes indépendantes de se présenter aux élections  »

En avril cette année, les élections parlementaires donneront une première radiographie de la santé de l’opposition égyptienne, avant les élections présidentielles de 2011. Mohamed El Baradei n’entend pas attendre l’arrivée de ces échéances : une semaine à peine après son retour en Egypte, il a déjà créé le Front National du Changement, mouvement de rassemblement des groupes d’opposition. C’est à son domicile que les principaux intellectuels et politiciens de l’opposition se sont réunis pour constituer cette alliance du front démocratique, du parti constitutionnel libéral, du parti Al Ghad, du mouvement Kefaya et des Jeunesses du six avril. Des réformistes parmi les Frères musulmans - parti en proie à des dissensions internes - auraient également assisté à la rencontre. Le brillant négociateur des accords de camp David commence son chemin de négociation sur ses terres, avec en ligne de mire rien moins que la démocratisation de tout le monde arabe.