La shoah au cinéma

Écrit par Alain Penso, La Grande Époque
23.03.2010
  • La rafle, réalisé par Roselyne Bosch avec Mélanie Laurent, Jean Reno, Gad Elmaleh.(攝影: / 大紀元)

Le cinéma américain n’a jamais oublié de parler de son histoire. Il n’a pas fait non plus un choix s’apparentant à l’amnésie ou à l’oubli, aux dépens des victimes et de la vérité historique. La guerre du Vietnam a été traitée sans retenue par les plus grands cinéastes. Leurs films ont été une occasion de panser les plaies et de réfléchir sur une période douloureuse.

Des Sentiers de la gloire à Né un 4 juillet

Les cinéastes américains se sont mobilisés pour montrer les problèmes de la société américaine sans restriction. Ainsi sont nés des films exemplaires mettant le citoyen américain face à lui-même : Mash de Robert Altman (1970), Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1974), Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter) de Michael Cimino (1978), Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick, Platoon (1986) et Né un 4 juillet (1989) d’Oliver Stone.

Quant à l’histoire de la France, elle est traitée par d’autres cinémas nationaux. Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory) (1957) de Stanley Kubrick, met en scène la révolte d’officiers français contre les exécutions pour non obéissance à des ordres saugrenus consistant à faire tirer sur ses propres troupes.

Les Italiens eux, sauront, grâce à leur esprit rebelle, au pouvoir sans partage, réaliser leur propre film. Avec Les Hommes contre de Francesco Rosi (1970), les Italiens n’hésitent pas à se critiquer en faisant même la marque de fabrique de leur cinéma.

Le fantasme de la résistance

Le général de Gaulle, soucieux d’asseoir son pouvoir et celui de la France dans les grandes institutions internationales, a tourné la page, ne parlant que de sa résistance à Londres, du débarquement et de la libération de Paris. Il considérait que Vichy n’était pas la France, mais une parenthèse  qu’il faudrait oublier pour que les Français s’aiment à nouveau. Cela donne Le Père tranquille (1946) de René Clément avec Noël-Noël dans le rôle principal où les Français étaient tous résistants. Le comble est atteint par La Bataille du rail (1945) de René Clément où les trains sont sabotés par des résistants au péril de leur vie.

René Clément, en 1952, dans Jeux interdits, ne fait aucune mention des enfants juifs raflés. Pourtant, l’histoire traitée parle d’une petite fille qui voit ses parents mourir devant ses yeux en voulant la protéger d’un bombardement. Il y a là l’évocation d’histoires tragiques dont il ne semble pas pouvoir parler vraiment, de crainte de froisser les autorités en place.

René Clément réitère son comportement en réalisant sans la moindre mention aux juifs déportés Paris brûle-t-il ? (1966). Nous sommes dans une société malade de son amnésie, qui n’a d’ailleurs pas peur d’utiliser l’un de ses fonctionnaires qui a courageusement participé à la grande rafle et aux massacres d’arabes à Paris pendant la guerre d’Algérie en 1962. Il faut voir Octobre à Paris de Jacques Panijel sur ce sujet.

Le film lave plus blanc que blanc, avec ce Paris brûle-t-il ? où l’architecture semble plus importante que toute mention humaine.

La Traversée de Paris (1956) est une belle série comédie de Claude Autant Larat avec Jean Gabin en résistant et Louis de Funès en fervent militant et « profiteur maladroit » du marché noir. Ce film procède d’une même volonté d’oublier la cruauté de la guerre, devenue une sorte de balade aventurière, dans cette œuvre où tout le monde s’amuse sauf ceux que l’on ne veut pas voir : les déportés, les exclus, les déchus de leur nationalité.

Les convois sensibles, personne n’en parle

Aucune allusion n’est faite aux wagons de juifs et de tziganes arrivant à heure fixe dans les camps sans identité. Il ne s’agit que de fret. Les historiens s’accordent à considérer que la résistance a fait sauter des trains sans en arrêter aucun à destination des camps d’extermination.

Le cinéma français a longtemps traîné avant de pouvoir parler de son passé. Etonnant pour un pays où se sont développés les droits de l’homme, et où l’on a exporté une révolution dans le monde entier.

Un sérieux travail de recherche sur la période sombre de la seconde guerre est venu d’outre-Atlantique avec deux ouvrages fondamentaux pour comprendre cette période : La France de Vichy de Robert Paxton (1973) puis, plus tard, Vichy et les juifs de Paxton et de Michael Marrus. Quelques films vont timidement voir le jour. Le Vieil homme et l’enfant (1967) de Claude Berry, Les Violons du bal (1973) de Michel Drach, avec Marie-José Nat. De grands acteurs vont susciter de grands films comme Monsieur Klein (1976) de Joseph Losey avec Alain Delon où un juif homonyme prend l’identité d’un vrai aryen.

Les Guichets du Louvre (1974), film de Michel Mitrani d’après le roman de Roger Boussinot, est une œuvre remarquable qui décrit les mécanismes de la rafle du Vel d’Hiv des 16-17 juillet 1942. L’interprétation de Christine Pascale y est exceptionnelle. Le film vaut par sa sobriété.

Le Chagrin et la pitié est un documentaire de Marcel Ophüls (1969) – fils de Max Ophüls, réalisateur de Lola Montès (1955) – qui met l’accent sur des comportements de collaboration pendant l’occupation à Clermont-Ferrand. Les acteurs de la guerre s’expriment, révélant parfois de nombreuses contradictions, parfois suspectes.

Robert Enrico tourne en 1983 Au nom de tous les miens sur la résistance juive, d’après le roman homonyme de Martin Gray. Martin, l’aîné des Gray en 1939, se trouve dans le ghetto de Varsovie. Il est bientôt déporté à Treblinka d’où il arrive miraculeusement à s’échapper. Sa vie est une succession de batailles pour la survie.

Le débat est ouvert. Serge Klarsfeld qui a milité avec son épouse, Beate Klarsfeld, dans la chasse aux nazis, présente, dans l’émission littéraire de Bernard Pivot « Apostrophe », son ouvrage Vichy Auschwitz : le rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France 1942 (Fayard). Marc Ferro apporte son analyse des événements dans son émission « Histoire parallèle » sur Arte au cours de laquelle il analyse une journée de guerre en compagnie d’un témoin ou d’un historien. Par ailleurs, Marc Ferro a réalisé des films d’histoire pour la société Pathé : le documentaire Comment l’on devient nazi  utilise des documents d’époque avec un commentaire dépouillé. Un peu plus tard, Jean Marboeuf réalise Pétain (1993) d’après la biographie Pétain de Marc Ferro. Ce film évitera la caricature en gardant un sens critique sur le personnage avec une objectivité empruntée aux documents.

La Rafle

Le film de Roselyne Bosch raconte les événements de 1942 que vit un enfant âgé de onze ans. Le film est tourné à hauteur d’enfant. Le petit Jo Weissman profite de l’été pour se promener dans un Paris occupé. Sa vie, ainsi que celle de toute sa famille, va basculer les 16 et 17 juillet 1942, lors de la rafle du Vel’ d’Hiv, appelée cyniquement « vent printanier ». Avec une violence inouïe, la police française mènera 113.152 juifs dont 4.115 enfants dans des bus regroupés au vélodrome d’Hiver. Ils seront acheminés vers des camps de transit, Drancy, Beaune-la-Rolande et Pithiviers, avant d’être envoyés à Auschwitz, dans le plus grand camp d’extermination, en Pologne près de Cracovie.

Tourné entre Paris et Budapest, le film de Roselyne Bosch sonne juste. Le décor du vélodrome d’Hiver est une réussite. Cela participe à cette notion d’authenticité qui fait parfois défaut dans les évocations historiques. Gad Elmaleh joue un père crédible. Quant à Sylvie Testud, mère enceinte, elle est bouleversante. Tous les autres acteurs sont très bons. La scène, où le chef des pompiers donne de l’eau aux enfants assoiffés et recueille des petits mots pour les distribuer, est une scène revigorante dans laquelle un brin de vie apparaît.

Shoah (1985) réalisé par Claude Lanzmann reste un film documentaire exceptionnel dans lequel les hommes et les femmes disent leur souffrance et leur déception du monde.

La reconnaissance des déportations par l’administration française

Il est significatif de constater que Frédéric Rossif (Les Animaux, 1983) a fait un  documentaire sur le Vélodrome d’Hiver sans jamais mentionner la rafle. Il a tenté de se rattraper en réalisant De Nuremberg à Nuremberg (2005).

René Bousquet, haut fonctionnaire de Vichy responsable de la rafle du Vel’ d’Hiv, avait pris l’initiative non seulement de faire rafler les juifs de la zone occupée mais également ceux de la zone libre, y ajoutant les enfants qui posaient problème. Il ne fallait pas séparer les enfants des parents, cela faisait désordre dans l’esprit des Français, selon Laval et Bousquet.

François Mitterrand va entretenir une amitié fidèle avec Bousquet et soutenir, au fil des ans, que la République n’a pas à s’excuser.

Jacques Chirac reconnaîtra le 16 juillet 1995, la responsabilité de la France et de son administration dans la déportation de 75.000 juifs.

Filmer avec une morale irréprochable

Une réflexion sur la responsabilité du cinéma pour évoquer le passé permet de s’amorcer grâce à l’exposition « Filmer les camps, de Hollywood à Nuremberg » au Mémorial de la Shoah1.

Comment un cinéaste doit-il se comporter face à la découverte des atrocités nazies ? Christian Delage, historien du cinéma, met en parallèle plusieurs cinéastes hollywoodiens dont la fonction avait été de donner toutes les pièces nécessaires pour préparer le procès de Nuremberg, impossible à mettre en œuvre sans des images représentatives des crimes perpétrés par l’Allemagne nazie.

George Stevens réalise en 1936 Sur les Ailes de la danse (Swing Time) avec Fred Astaire et Ginger Rogers. John Ford avait tourné Le Mouchard (The Informer) en 1935 et La Chevauchée fantastique (Stagecoach) en 1939. Chargé par le haut commandement de filmer des images reprochables, Samuel Fuller décrit et commente les images qu’il filme en 1945 dans le camp de Falkenau à la libération. Il tournera à Dachau et fera des entretiens de déportés. Tous ces documents permettront aux nazis jugés à Nuremberg de prendre conscience de leurs crimes. En 1949, Fuller tourne son premier film J’ai tué Jesse James.  

Tous ces cinéastes ne feront jamais plus de cinéma comme avant. George Stevens abandonnera la comédie et fera des films plus sérieux tels que Le Journal d’Anne Frank (1959). Samuel Fuller tournera Ordres secrets aux espions nazis (1959). Ford est fier de réaliser en 1964 un film sur l’exclusion, Les Cheyennes.

Sur commande d’Henri Michel, historien, Alain Resnais commence le tournage de Nuit et Brouillard en 1955. Les images en noir et blanc sont mélangées à des prises en couleur. Les commentaires de Jean Cayrol sont narrés par Michel Bouquet. Le mot juif n’y est prononcé qu’une seule fois. La vision de la déportation est essentiellement politique et résistante. Il obtient le 31 janvier 1956 le prix Jean Vigo. Le gouvernement allemand demande que le film soit retiré de la sélection du festival de Cannes 1956. Sans protestation de la direction, le film est retiré.

Parallèlement, la commission de censure exige qu’une photographie représentant un gendarme français gardant le camp de Pithiviers soit retirée. Le képi du gendarme est masqué par un recadrage de la photographie. L’image a depuis retrouvé son intégrité.

Jean Ferrat vient de nous quitter, le 13 mars à Aubenas. Il avait composé une très belle chanson, Nuit et brouillard, en 1963 en souvenir de son père, mort à Auschwitz lorsqu’il avait onze ans. Nuit et Brouillard avait été « déconseillée » de passage sur les ondes.

1 Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy l’Asnier, Paris 4e. Tél : 01 42 77 44 72. Entrée libre.