Guerre de mots en Thaïlande

Écrit par James Burke, La Grande Époque
28.03.2010

  • Des chemises rouges, partisans de l'ex-premier ministre Thaksin Shinawatra, défilent dans les rues de Bangkok(Staff: PORNCHAI KITTIWONGSAKUL / 2010 AFP)

La rhétorique de l'ère communiste des opposants inquiète le gouvernement

La coalition au pouvoir en Thaïlande craint que la rhétorique de «guerre des classes», avancée par les dirigeants des chemises rouges, n'embourbe le pays dans un chaos similaire à l'époque où il était troublé par une insurrection communiste.

Les chemises rouges, dont le nom formel est le Front uni pour la démocratie et contre la dictature (UDD), sont une coalition de partisans de l'ex-premier ministre fugitif Thaksin Shinawatra, de militants pro-démocratie et d'anciens communistes. Leurs dirigeants utilisent un langage qui décrit leur conflit avec le gouvernement comme une guerre de classes entre l'élite au pouvoir et les paysans pauvres.

Durant les manifestations à Bangkok, qui auraient forcé l'armée à abandonner ses positions dans la ville le 27 mars, Thaksin a fait parvenir des discours téléphoniques à ses partisans, utilisant un jargon comme «divisions de classe et d'aristocratie», la «guerre des classes», «aristocrate» et «roturier».

Face à cette rhétorique, un ministre a dernièrement soulevé la possibilité d'un retour à cette période de conflit de nature idéologique dans le royaume, tel que c'était le cas durant la guerre froide. Satit Wongnontoey, le ministre responsable de la supervision des médias officiels, a mis en garde que les discours de Thaksin aux milliers d'opposants aux chemises rouges «pourraient engendrer un sérieux conflit».

Satit a affirmé que Thaksin utilisait un tel vocabulaire pour tromper le public et que la «guerre des classes» n'existe pas dans la société thaïlandaise contemporaine.

Satit a indiqué que le gouvernement du premier ministre, Abhisit Vejjajiva, s'efforcerait d'informer la population thaïlandaise au sujet de ses programmes d'aide destinés aux démunis. Le gouvernement va également chercher à clarifier des mots tels que «aristocrate» et «roturier» qui, selon lui, sont utilisés à outrance par Thaksin, lui-même un homme d'affaires milliardaire exilé et dont le gouvernement provisoire élu a été renversé par un putsch en 2006.

 

Satit a également demandé aux institutions académiques de «coopérer pour étudier ces questions, incluant les clarifier conjointement au public», afin d'éviter des conflits qui pourraient replonger la Thaïlande dans une «ère de guerre communiste».

Tout en appelant à la «guerre des classes», Thaksin et les dirigeants de ses chemises rouges ont assuré que leurs manifestations monstres dans Bangkok allaient demeurer pacifiques, afin de rallier la population à leur cause visant à provoquer des élections.

Pitch Pongsawat, qui enseigne la politique thaïlandaise contemporaine à l'Université Chulalongkorn à Bangkok, estime que la réaction de Satit est exagérée.

«Le ministre essaie d'exciter le sentiment royaliste, puisque auparavant la guerre communiste [était considérée comme] un mouvement antiroyaliste», indique-t-il.

Durant la guerre froide, la Thaïlande a été tourmentée par une insurrection communiste de basse intensité. Elle a atteint son apogée dans les années 1970 alors que les forces communistes comptaient environ 12 000 combattants dans leurs rangs.

«Cette confrontation [telle que suggérée par Satit] ne se produira probablement pas, car l'UDD déclare être très loyal à la monarchie et agit en ce sens», affirme Pitch. Il ajoute que l'UDD a affirmé vouloir occuper une place au sein d'une monarchie équitable et constitutionnelle, et souhaite être le pont officiel entre la monarchie et la population.

La famille royale est hautement respectée en Thaïlande et elle est protégée par des lois anti-lèse-majesté qui proscrivent toute discussion ouverte à son sujet.

Depuis les émeutes à Bangkok l'année dernière, lorsqu'une manifestation de chemises rouges a dégénéré et causé la mort de deux personnes et de nombreux blessés, l'UDD a tenté de polir son image et s'est distancé des éléments militants et antiroyalistes comme le Siam rouge (un groupe dissident de l'UDD) et des rebelles au sein des forces armées.

«Les chemises rouges ne devraient même pas être un mouvement durable», commente à Reuters Supavud Saicheua, directeur de Phatra Securities. «Les gens ne devraient pas les approcher même avec une perche de péniche, [enfin] c'est ce qu'on croirait, après ce qu'ils ont fait à Bangkok l'année dernière.»

Il ajoute : «Mais un an plus tard, ils sont encore plus forts, avec un meilleur message, plus convainquant, et ils sont capables d'être acclamés par les gens de Bangkok qui leur souhaitent la bienvenue. C'est quelque chose.»

«C'est le risque politique principal auquel fait face [le premier ministre] Abhisit.»

Cependant, l'action d'éclat étrange de l'UDD dernièrement – lorsque des chemises rouges ont aspergé des édifices gouvernementaux de leur propre sang – et les appels à la guerre des classes laissent les commentateurs perplexes au sujet de la crédibilité fondamentale du mouvement.

L'ex-militante politique des années 1990 et maintenant éditrice du Bangkok Post, Atiya Achakulwisut, a écrit dans un article d'opinion : «Je n'ai entendu aucun dirigeant des chemises rouges clamer qu'ils veulent implanter le communisme ici au lieu de la démocratie, mais je ne peux vraiment comprendre pourquoi ils doivent invoquer la guerre des classes.»

«Je peux voir que c'est accrocheur et dramatique et que ça peut exciter les manifestants – ça peut aussi capter l'imagination romantique des correspondants étrangers – mais ce n'est pas la vérité», a-t-elle ajouté.

En plus des manifestations, la tension a augmenté de quelques crans alors que de fréquentes attaques à la grenade sur des édifices gouvernementaux demeurent inexpliquées.