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Le cinéma peut-il être cohérent sans se pencher sur son histoire?

Écrit par Alain Penso, La Grande Époque
14.04.2010
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  • Les poings dans les poches (1965) de Marco Bellocchio.(攝影: / 大紀元)

Comme nous l’avons vu souvent dans cette chronique, le cinéma est un véritable nid de sujets, de créativités de thèmes et de réflexions. C’est une sorte de puits sans fond, sans structure fixe ou définitive. Le film reflète par ces choix son imaginaire, parfois exacerbé, une volonté de représenter nos sociétés en tentant d’en faire la critique. Cette idée souvent développée est aujourd’hui admise de tous : en dehors de quelques récalcitrants qui voient dans l’œuvre d’art un ouvrage qui vient à point nommé et qui ne dépend essentiellement que du hasard.

L’analyse filmique prend bien des chemins en France, berceau de cette science. L’option uniquement séquentielle manque de pertinence et risque de paraphraser le scénario du film. En revanche, introduire la sociologie ou l’histoire permet à l’œuvre d’être éclairée par de nouvelles connaissances en fournissant de nouveaux éléments dans le contenu, invisibles dans une projection simple, puis repérables lors d’une seconde vision. Les différents contextes, politiques ou  environnementaux, vrais porteurs de sujets – La forêt d’émeraude de John Boorman (1985) – font perdre le nord aux scénaristes. Ils accouchent régulièrement dans la douleur et la confusion d’un monde où l’ours blanc parvient à se noyer faute de banquise. L’univers n’en finit pas de muter – Océans de Jacques Perrin (2009) – et de questionner sur l’avenir moral de l’homme face à un mode de vie menacé par une technologie omniprésente qui détruit peu à peu tous rapports sociaux.

Le polar social pour comprendre le monde

Dans Little Odessa (1994), le cinéaste James Gray qui n’a alors que 25 ans, montre la crise morale que traverse le monde. Il décrit une famille détruite de l’intérieur. L’amour y est défaillant, avec un entourage où la morale ne peut plus raisonnablement être suivie ou maintenue. Les équilibres sont rompus. Ils ne pourront à nouveau fonctionner que si l’homme croit encore à l’amour et à son enracinement dans une morale où la famille joue un rôle fondateur comme aux origines de l’humanité. Dans Two Lovers (2008), James Gray exprime l’amour et la revitalisation d’un futur proche. Le cinéaste semble dire que le pessimisme de l’avenir n’est pas une fin en soi. En tant qu’artiste observateur qui ne porte pas un jugement a priori, le dicton « qui vivra verra » semble être son cri de guerre contre l’impassibilité des institutions de tous ordres. Les cinéastes n’ont plus qu’à se réfugier dans le symbolisme, ce qu’un créateur comme Orson Welles a fait avec Citizen Kane (1941) et cette recherche désespérée de l’enfance lorsque la vie d’adulte signifie son effacement. Orson Welles donne une solution, à la limite de la provocation, pour William Randolph Hearst : il appelle son traîneau rappelant son enfance, Rosebud. Il faut noter que ce film, riche en symboles, traite de la philosophie et de la raison. C’est un chef-d’œuvre de composition artistique et humaine. La musique est composée par Bernard Herrmann. Le scénario est d’Herman J. Mankiewicz, frère de Joseph L. Mankiewicz, réalisateur de L’Aventure de Madame Muir (1947), de Cléopâtre (1963) et aussi de L’Affaire Cicéron (1952). La photographie fera date dans l’histoire du cinéma grâce à Gregg Toland : il filmera l’œuvre avec une profondeur de champ jamais atteinte jusque-là dans un film. Cet opérateur exceptionnel permettra à Orson Welles d’étendre sa vision du monde. William Randolph Hearst fera tout pour interdire ce film, sans y parvenir. A l’origine, l’histoire devait être la biographie du milliardaire Howard Hughes qui deviendra quelques années plus tard patron de la RKO, producteur du film. Régulièrement Citizen Kane figure, depuis une trentaine d’années, en tête du Top 100 de l’American Film Institute ce qui constitue un phénomène révélateur d’une conscience du spectateur vis-à-vis de la société dans laquelle il vit.

Le merveilleux pour saisir un espoir

Le désir bouscule donc la pulsion de mort qui atteint notre planète. Pour se refaire une santé psychique, les cinéastes, faute d’histoires d’amour, se réfugient dans le merveilleux ou parfois dans la science fiction. Pendant la guerre froide Le jour où la terre s’arrêta (1951) de Robert Wise met en garde les puissances nucléaires contre l’usage de la bombe atomique. Les destructions de centrales nucléaires, d’armées inquiètes de l’utilisation de bombes atomiques par des gouvernements irresponsables, soulignent la modernité et la prévention que peut parfois revêtir le film de science fiction.

Alice au pays des merveilles de Tim Burton (2010) fait suite à une série de films du réalisateur qui  ressemblent à ses propres thèmes. Les studios Disney ont commandé l’œuvre au cinéaste qui d’ailleurs n’était pas du tout intéressé au départ. Les accords entre Tim Burton et les producteurs du film se sont établis sur des questions techniques. Tim Burton était fasciné par l’idée de faire un film en 3D. Mais cependant, il a dû batailler pour réduire l’influence du champ de la technique sur son travail et surtout pour ne pas faire comme dans Avatar de James Cameron (2009) où les acteurs devaient être maquillés comme de véritables farces culinaires avant le tournage. Il a réussi à faire admettre, grâce à sa notoriété, qu’il valait mieux traiter l’image après le tournage afin de permettre aux acteurs de s’exprimer et de pratiquer leur art. Les yeux sont peints, traités par la suite sur la pellicule et transformés par le biais du numérique. Le regard original de Johnny Depp est irrémédiablement perdu au profit d’une falsification du personnage : un leurre.

Joies et déceptions dans la comédie cinématographique

Il semblerait que le cinéma n’ait plus de cohérence dans ses sorties sauf en ce qui concerne le cinéma de répertoire dont nous parlerons prochainement. Il est vrai que la production de film s’enivre de tout petits films sans grand intérêt, ni artistique ni thématique, où personne ne peut se reconnaître ni même se projeter : ces films sont beaucoup trop nombreux pour les citer. En revanche Tout ce qui brille (2010), petite comédie de Géraldine Nakache et Hervé Mimran paraît réaliste et pourtant sans prétention : l’amitié, l’amour, les classes sociales décalées, la jeunesse déboussolée, loin des belles comédies d’Arthur Joffé injustement mal distribuées ; Ne quittez pas (2004) ou Que la lumière soit (1998) sont de petits bijoux sabotés par une production et une distribution largement complices !

Le plein de super ou la frilosité des producteurs

Il faut souligner les producteurs frileux. Ils sont incapables de percevoir les scénarios de qualité, mais ne se sentent pas ridicules d’accepter des histoires écrites dans une station service, entre deux pleins. Cela peut donner, il est vrai, Le plein de super d’Alain Cavalier (1976) ou Le combat dans l’île (1961) du même réalisateur, mais là il s’agit d’une entreprise d’auteurs plutôt que de producteurs. Les Américains ont réalisé une quantité invraisemblable de films sur le sujet : Les Ensorcelés de Vincente Minnelli (1952), Chantons sous la pluie de Gene Kelly et Stanley Donen (1952), Quinze jours ailleurs de Vincente Minelli (1962).  De même les Français ont trouvé un filon en les imitant et en faisant jouer Fritz Lang dans Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963).

Psychanalyse et stratégie des cinéastes

Une honte pour les producteurs du cinéma français qui ont mis à l’écart des cinéastes de talent, alors que persévèrent les tâcherons et les comédies médiocres. Alberto Express (1990) d’Arthur Joffé a remporté un succès d’estime. Sergio Castellitto avait obtenu un rôle d’enfant obsédé par ses dettes vis-à-vis de son père une fois devenu adulte, mais pas du tout du cinéaste qui lui avait fait jouer ce rôle. Sergio Castellitto aurait pu faire quelque chose pour Arthur Joffé en imposant son film en Italie où lui-même était très populaire. Nous ne pouvons hélas pas savoir ce qui se trame de stratégique dans ces têtes d’artistes ! Histoires de famille et psychanalyse freudienne enrichissaient le film et la profession par la même occasion. Il est vrai que les films à série, avec les mêmes acteurs fidèles aux mêmes metteurs en scène, se sont épuisés : pour prendre l’un des plus célèbres, Alex Joffé qui avait tourné sept films avec Bourvil dont Les Cracks (1968). Nous sommes loin des comédies délicieuses de Gérard Oury : Le Corniaud (1964), La Grande Vadrouille (1966), Le Cerveau (1968), Rabbi Jacob (1973).

Un talentueux personnage : Pierre Etaix

Pierre Etaix, merveilleux acteur de comédie et réalisateur talentueux, a été bloqué pendant plusieurs décennies pour obtenir les droits de ses films. Le Tribunal de grande instance de Paris lui a donné raison et lui a rendu ses droits, mettant un terme à cinq ans d’imbroglio juridique. La société Gavroche prétendant détenir les droits a fait appel de cette décision. L’artiste est souvent seul. En 1962, il réalise Le Soupirant qu’il a écrit avec Jean-Claude Carrière et obtiendra le prix Louis Delluc en 1963, suivi de Yoyo (1964), Tant qu’on a la santé (1965), puis Le Grand Amour (1969). Pierre Etaix est un des rares comiques à avoir puisé dans le répertoire du burlesque américain en le travaillant avec ses moyens personnels. Il a utilisé pour cela ses ressources graphiques et sonores. Aujourd’hui, ses films vont sans doute prochainement ressortir et faire la joie des spectateurs avides de rires et de bonne humeur.

Le potentiel d’enseignement en matière de cinéma est immense, partout se trouvent des pépites à développer, il suffit d’une volonté artistique. Ne pas ignorer ce qu’un cinéaste a fait est une erreur qui ne fait en rien avancer l’art.

Le passé est la promesse du futur. La preuve, toute naissance se dit au passé pour enclencher la vie : il est né est un passé composé valable pour toutes œuvres artistiques y compris le cinéma.

Les poings dans les poches (1965)

Si nous revenons en arrière, nous pouvons trouver des petites perles surprenantes comme celle de Marco Bellocchio. En 1965, il réalise Les poings dans les poches. Il a tout juste 26 ans. Il dénonce le conformisme social et familial, déclare avoir le droit de se rebeller contre l’ordre établi depuis des lustres et qu’il faudra bien un jour ou l’autre le remettre en question. Faisant partie de l’école des cinéastes politiques prêts à combattre le bavardage politique non critique, l’ordre établi. Avec Bernardo Bertolucci, Pier Paolo Pasolini et Francesco Rosi, ils établissent un groupe capable de dialoguer, quand c’est possible, avec le pouvoir souvent hostile au changement. Mais telle n’était pas sa fonction jusque-là, face à des artistes et des intellectuels dont le fondement profond est de critiquer. Lou Castel, jeune homme, est extraordinaire dans ce rôle d’adolescent prolongé qui ne veut pas se faire entraîner par ses aînés : il désire trouver une autonomie de pensée et veut tenter de s’assumer. La monstruosité des institutions rejaillit sur lui et le rend d’une monstruosité repoussante. Il n’a pas de ressources pour se débarrasser de ses impulsions morbides, seule sa poésie non productive pour la société, peut le sauver de ce pessimisme croissant envers l’avenir. Un authentique chef-d’œuvre que l’histoire a le don de nous faire connaître avec un peu de retard.

Plus de 204 718 434 personnes ont démissionné du PCC et de ses organisations.