Pénurie de main-d'œuvre «migrante» dans les manufactures chinoises

Écrit par He Qinglian, La Grande Époque
17.04.2010

  • Une employée d'une usine de confection de Pinghu, à une centaine de kilomètres de Shanghai le 10 avril 2010. (AFP PHOTO/PHILIPPE LOPEZ)(STF: PHILIPPE LOPEZ / ImageForum)

Au cours des derniers mois, certains fabricants du delta de la Rivière des Perles dans le sud de la province du Guangdong ont affronté un nouveau dilemme. Ils ont reçu de nouvelles commandes aux tarifs habituels, mais ont été incapables de trouver des ouvriers.

Le manque de main-d'œuvre a provoqué un taux de départ important chez les ouvriers, associé à des demandes d'augmentation des salaires.

Le temps de la main-d'œuvre omniprésente et bon marché en Chine semble donc révolu. Les fabricants ont construit leur modèle d'affaire sur la vente de gros volumes, à faible marge bénéficiaire. Augmenter les salaires signifie aujourd'hui pour eux la fin de la rentabilité économique.

Les industries du Guandong connaissent une situation difficile, car elles sont confrontées d'un côté à une baisse des demandes du marché extérieur et de l'autre à des coûts plus élevés à domicile, ce qui menace la survie de certaines.

La délocalisation des usines et de l'emploi

La pénurie de main-d'œuvre est principalement causée par les bas salaires payés dans les usines chinoises. La majorité des salariés des services et des industries manufacturières gagnent moins de 165 euros par mois (1.500 yuans). Nombreux sont ceux qui analysent donc le manque de main-d'œuvre comme une indication du fait que les ouvriers mal payés sont partis à la recherche de salaires plus élevés.

Ceci n'explique cependant pas la vraie situation du travail dans les zones côtières chinoises. Il est certainement plus probable que les travailleurs migrants ont préféré se déplacer vers les provinces dans lesquelles le coût de la vie est plus bas.

Dans la province du Guangdong, au Sud de la Chine, les ouvriers peuvent à peine subvenir à leur propre besoins avec leurs 1500 yuans mensuels, qui permettent par contre de faire des économies dans les provinces intérieures.

C'est donc à la concurrence des provinces intérieures que fait face la province du Guangdong. Depuis 2007, les investisseurs ont commencé à se déplacer vers l'Asie du Sud-Est et vers les provinces intérieures chinoises à cause des coûts élevés, de l'augmentation du prix des matières premières et de la forte taxation subie dans la province du Guangdong.

La raison principale des coûts de production inférieurs dans les provinces intérieures n'est donc pas le niveau des salaires, (dans la mesure où ceux-ci sont déjà au plus bas au niveau national) mais les avantages fiscaux et le coût de la vie.

Difficile transition vers le high-tech

A Dongguan, dans la province du Guangdong, les emplois disponibles sont pour l'essentiel dans la chaussure, les sacs à main, les meubles, les vêtements, la publication et l'électronique. Ceux-ci sont traditionnellement des industries fortement productrices d'emploi. Pour certains observateurs industriels on peut voir la pénurie de main-d'œuvre dans le sud du Guangdong comme «Une plainte collective des industries de basse technologie sur le point de partir du Guangdong.»

D'après ces analystes, le fait que des fabricants à forte demande de main-d'œuvre n'arrivent plus à survivre en se basant uniquement sur le travail à faible coût, peut servir de prétexte au Guangdong de lancer le remplacement de ces industries pour la production du high-tech ou des marques de luxe, afin d'attirer et de recruter des diplômés d'université. Possibilité réelle ou vœu pieu?

Depuis la fin des années 1980, Shenzhen, un centre industriel très actif de la province du Guangdong, a planifié une telle transformation et la rénovation de son complexe industriel. Sa mise en œuvre a commencé au milieu des années 1990, lorsqu'il a été demandé aux ouvriers de payer des frais élevés pour obtenir leurs «permis résidentiels provisoires»; dans l'espoir que la mesure forcerait les usines de productions de biens courants, low cost, à quitter la région.

Le résultat a plutôt été le développement d'activités industrielles à forte intensité de main-d'œuvre dans les villes voisines de Dongguan et de Panyu. A Shenzhen même, le secteur de la haute technologie n'a jamais réellement décollé.

La Chine doit donc repenser le positionnement du «Made in China» dans la chaîne de valeur mondiale par le développement d'un partage international du travail.

Attirer les investisseurs étrangers

Lorsque la Chine a décidé de s'engager dans la réforme économique il y a de cela 30 ans, l'orientation de son partage international de production reposait surtout sur l'inter-industrie (la division entre les industries) et l'intra-industrie (la division dans l'industrie). S'inspirant des expériences des quatre dragons d'Asie que sont Hong-Kong, Taïwan, Singapour et la Corée du Sud, la chine a pu attirer des industries de Hong-Kong et de Taïwan, grâce au bas coût de sa main d'œuvre et des terres.

Cependant, au cours des quinze dernières années, avec l'expansion de son réseau de production mondial, le nouveau partage international du travail prend un rôle dominant. Pour un seul et même produit, la chaîne de valeur s'étend maintenant sur plusieurs pays.

La plus grande différence entre la nouvelle et l'ancienne division internationale du travail est le passage de la division industrielle du travail à la division intra-produit du travail, c'est à dire que les différents pays coopèrent et se partagent le travail afin de fabriquer un produit en fonction de leur positionnement dans la chaîne de valeur du produit.

Des entreprises mondiales incorporent à présent dans l'infrastructure économique globale les fabricants dans différents pays. Par leur participation dans la division internationale du travail, de plus en plus d'entreprises ont été incorporées dans la chaîne mondiale de valeur du produit, qui continue à grandir.

Un des traits de ce nouvel arrangement réside dans le fait que les pays développés qui contrôlent la technologie, tiennent la valeur la plus haute dans la chaîne de valeur de tels produits.

A l'opposé, les pays en développement travaillent uniquement dans une fabrication à faible composante technologique et sont donc au plus bas du classement de valeur. La Chine n'ayant pas de technologie de pointe, elle ne peut participer à la chaîne de valeur que grâce à sa main-d'œuvre bon marché et à ses surfaces bon marché. Si elle est devenue «l'usine du monde», ce n'est pas comme pour les mêmes raisons que la Grande-Bretagne lors de la Révolution Industrielle.

Maintenant, que les dépenses de fonctionnement des usines dans les provinces côtières ont augmenté, les industries se déplacent vers les régions à faible coût de la vie comme en Chine centrale ou occidentale. Les provinces côtières veulent attirer de nouvelles industries étrangères de haute technologie, à grand-peine puisque ces dernières sont souvent découragées par le protectionnisme local et le manque de protection des droits de propriété intellectuelle.

Dans un article pour Time Magazine en début d'année, James McGregor écrit: «En plus de vingt ans de présence en Chine, j'ai rarement vu la communauté internationale des affaires aussi fâchée et aussi désabusée qu'elle l'est aujourd'hui... Dans les diners des PDG d'entreprises, on n'entend plus que les histoires d'arrogance et d'insolence des bureaucrates et associés chinois.»

«Les plaintes concernent également l'incohérence et l'application délibérément opaque des règlements, l'augmentation folle des violations de propriété intellectuelle, l'intrusion de l'état dans les multinationales par le biais des syndicats et des organisations du Parti communiste, les obstacles flagrants au marché par des normes et des essais de produits truqués, des tribunaux politisés et des organismes qui favorisent presque toujours les entreprises locales, l'application fantaisiste et sélective des exigences de l'OMC... La liste n'est pas exhaustive.»

En conclusion, dans l'état actuel des choses même si «le manque de main-d'œuvre» dans les zones côtières chinoises conduit réellement les fabricants à faible valeur ajoutée à se déplacer vers d'autres endroits, cela est loin de signifier que des fabricants à forte valeur ajoutée viendront s'y s'installer.