Séisme en Chine: quand un drame devient propagande

Écrit par Fang Xiao et Fang Zhou, La Grande Époque
25.04.2010
  • Des moines bouddhistes tibétains participent aux efforts de secours le 16 avril 2010 à Jiegu(Staff: FREDERIC J. BROWN / 2010 AFP)

Les moines, malgré leur travail inestimable, ont reçu l'ordre de quitter la zone sinistrée

Tout comme le tremblement de terre qui a frappé le Sichuan en 2008, celui du 14 avril dernier dans le Qinghai, en Chine, est rapidement devenu un terrain de bataille du gouvernement pour contrôler l'information et mener une intense campagne de propagande. Le nombre de victimes cette fois a été moindre, soit un peu plus de 2000 jusqu'à maintenant selon les chiffres officiels, mais le séisme est survenu dans une région où le facteur ethnique préoccupe beaucoup les autorités.

En effet, il y existe une forte composante tibétaine. Ce sont d'ailleurs les moines bouddhistes tibétains qui auraient offert les premiers et – selon des reportages et des témoignages – les meilleurs et les plus sincères secours. Cependant, la semaine dernière le gouvernement a donné l'ordre aux moines de regagner leurs monastères respectifs. Ayant d'abord nié cette information par la bouche du porte-parole du ministère des Affaires civiles, Peng Chenmin, Pékin a par la suite confirmé l'affaire.

Certains expliquent la chasse des moines par le fait que les secours gouvernementaux sont suffisants ou que la période cruciale de sauvetage est écoulée.

«Les tâches des secouristes dans la zone sinistrée sont pratiquement terminées et l'accent est maintenant mis sur la prévention des maladies et la reconstruction, ce qui nécessite des spécialistes», a indiqué le gouvernement chinois le 23 avril, selon la BBC.

«Alors que nous reconnaissons pleinement les contributions positives des moines qui sont venus des autres régions, nous leur avons suggéré de retourner dans leurs monastères pour assurer l'efficacité et l'ordre dans les efforts d'aide.»

D'autres estiment plutôt que les autorités en ont assez de voir des moines bouddhistes, en occurrence tibétains, gagner le cœur des gens. Les locaux ne semblaient pas tannés de leur travail comme secouristes, surtout qu'un Tibétain a fait remarquer que les soldats et les équipes de sauvetage souffraient du mal des montagnes, tandis que les moines n'avaient aucun problème et qu'ils pouvaient communiquer directement dans la langue des habitants. Ils agissent aussi comme pilier spirituel dans un moment sombre, pouvant exécuter les rites funéraires.

Selon un moine de Luosong, dans le village de Jiegu, près de 40 000 moines du Sichuan, du Tibet et des régions environnantes – qui étaient impliqués dans les efforts de secours – ont reçu l'ordre la semaine dernière de quitter la zone dans les 48 heures.

Cette peur de voir les moines tibétains gagner du capital de sympathie est illustrée par la déclaration d'un soldat chinois à un journaliste de La Grande Époque. Le 20 avril, il lui a indiqué que si des troupes chinoises rencontraient dans la zone sinistrée un militant pour l'indépendance du Tibet, celui-ci devait être abattu sur-le-champ sans besoin d'obtenir l'autorisation de la chaîne de commandement.

Propagande

Les Tibétains se sont plaints que les médias officiels ne mettent en lumière que les efforts de l'armée, tandis qu'ils ignorent le travail et le dévouement des moines tibétains.

Un reportage de l'Associated Press du 21 avril va dans le même sens : les moines ont été chassés des lieux et ignorés par les médias gouvernementaux en raison du «malaise de Pékin face à leur héroïsme et influence […] Pendant des heures de couverture de la journée nationale de deuil de mercredi [le 21 avril], aucun moine ne pouvait être aperçu dans les cérémonies officielles. Il s'agissait d'une omission troublante si l'on considère leur contribution durant les efforts de secours suivant le séisme».

Un certain témoignage indiquait qu'après que des moines ont trouvé une dépouille dans les décombres – tandis que les soldats chinois ne faisaient rien à proximité – les soldats ont alors bondi, repoussé les moines, amené l'équipe de nouvelles et sorti la dépouille pour démontrer au pays en entier qu'ils ne chôment pas. Un geste peut-être spontané, mais peut-être aussi motivé par une directive.

«[Nous] devons faire de notre mieux pour propager […] le progrès positif dans les secours, ne ménager aucun effort pour propager le travail de sauvetage de l'Armée populaire de libération […] ne ménager aucun effort pour propager l'esprit noble des cadres et des masses dans la région sinistrée, sous le leadership du [Comité] central du Parti, du Conseil d'État et du gouvernement local», a déclaré Li Changchun, un haut responsable de la propagande au sein du Parti communiste, selon le Financial Times.