L’épineux problème des sites et sols pollués

Écrit par Henri Durrenbach, La Grande Époque
08.04.2010

  • Photo prise le 22 septembre 2000 du 2e site d'extraction de l'or de Salsigne. Un siècle d'extraction de l'or a valu à Salsigne la "palme" du site le plus pollué de France. Depuis quelques semaines s'est ouvert sur les pentes stériles qui encerclent la mine un gigantesque chantier destiné, d'ici 2004, à débarrasser une partie du paysage de ses encombrants déchets. (AFP)(STF: PASCAL PAVANI / ImageForum)

Les 20 et 21 octobre 2009, à l’initiative de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) se sont déroulées à Paris 7e en la Maison de la Chimie les 2e Rencontres nationales de la Recherche sur les sites et sols pollués.

Cette recherche consiste en l’évaluation qualitative et quantitative des pollutions en réalité de toute nature, toutes résultant d’activités industrielles, y compris les plus anciennes exercées alors au stade artisanal, qui ont affecté d’abord localement leurs lieux d’implantation, mais  ont été diffusées ensuite, le plus souvent très largement dans les sous-sols par les nappes phréatiques; il s’agit aussi, après les avoir préalablement répertoriées, de déterminer leur degré d’expansion, c’est-à-dire de délimiter les zones touchées par leur dissémination, ce qu’on appelle désormais en termes techniques leur «panache»… Il s’agit encore, bien entendu, d’estimer leur degré de nocivité vis-à-vis des organismes vivants (biodisponibilité), les possibilités de les atténuer ou réduire par la mise en œuvre de tous processus, dont certains imaginés assez récemment et donc du domaine de la novation, à propos desquels manquent pour l’heure les retours d’expérience; les difficultés administratives, juridiques et bureaucratiques protégeant logiquement certains intérêts viennent d’ailleurs entraver ces initiatives et faire prendre un retard considérable à leur aboutissement éventuel, de sorte que les résolutions et accords internationaux signés naguère dans un but de préservation de l’environnement et de développement dit «durable» risquent de rester sans effet au plan pratique bien au-delà des dates butoirs initialement fixées.

Il s’agit enfin (c’est une préoccupation déjà ancienne) d’examiner quel parti pouvoir tirer d’un site ou sol pollué, après réhabilitation partielle ou non, alors que l’urbanisation débridée des terres paysannes à vocation agricole pousse à pratiquer de façon plus intensive que jamais la culture des terres restant disponibles, avec à la clé d’inévitables pollutions nouvelles, de type chimique…et la production de végétaux ou fruits d’intérêt discutable au plan diététique… ou même dangereux à terme pour la santé humaine, tout comme les élevages intensifs, du porc par exemple, conduisant aux nuisances multipliées ad libitum dont tout un chacun entend parler quasi-journellement par les médias, spécialisés ou non.

Ne perdons pas de vue la pollution nucléaire, exclue des investigations et travaux de ces 2e Rencontres nationales, qui soustrait à toute exploitation utile les territoires de plus en plus vastes contenant les «piscines» servant au «refroidissement» de réacteurs ayant «comburé» uranium fissile ou plutonium et devenus «déchets» à hauteur de plus de 250.000 tonnes et dangereux sur des centaines de milliers d’années, alors qu’a été écartée d’un revers de main il y a quelque 60 ans une filière nucléaire différente et beaucoup plus adaptée à l’usage civil, celle des réacteurs à sels fondus (RSF) de thorium aux produits de fission incomparablement moins longuement néfastes, à laquelle s’intéressent de plus en plus les nations asiatiques, dont le Japon, mais aussi la Russie, l’Inde, le Brésil, etc.

Ne perdons pas de vue non plus l’explosion démographique mondiale (malgré les guerres) qui fait que se trouvent saturés les processus naturels, de compensation des pollutions liées à l’activité humaine essentiellement industrielle, répétons-le, qui n’est due qu’à la quête effrénée des profits induits par le «progrès», sans vrai souci des retombées environnementales le plus souvent irréversibles qu’il provoque malgré de «pieux» (et coûteux) efforts pour y remédier, alors que l’homme est prédateur par nature. C’est ainsi que tel lagon classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO est menacé de ruine à court terme par la récente installation sur son site d’une usine métallurgique dont les rejets feront très rapidement disparaître faune et flore et même la population indigène qui y vit… par contrecoup.

Les partenaires du colloque

Toutes les entités et instances impliquées dans le marché de la préservation environnementale ont été les parties prenantes de ces deux très riches journées, auxquelles ont aussi participé nombre d’industriels. Ont donc été  représentés, à l’appel de l’ADEME, les ministères de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, mais aussi de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et également de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, avec le partenariat de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), du Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM), de l’Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS), de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), du Groupement d’Intérêt Scientifique Sites Sols et Sédiments pollués (GIS3SP), du Groupement d’Intérêt Scientifique sur les Friches Industrielles (GISFI), du groupement d’intérêt scientifique Sol et de l’Union Professionnelle des entreprises de Dépollution de Sites (UPDS).

Acquis et perspectives

En fait, rien n’est jamais vraiment acquis ou certain dans le domaine foncièrement complexe et souvent désopilant du traitement des sites et sols pollués, si ce n’est qu’une véritable réversibilité est objectivement impossible et qu’il ne faut donc pas l’envisager. La gageure est de réussir à rendre ces terres aptes à un usage socio-économique d’apparence normale ce qui n’est pourtant jamais parfaitement le cas. Encore est-il bien souhaitable que les pseudo- réhabilitations n’entraînent pas des coûts qui ne pourraient plus être supportés… Pour le moment, en France, le marché de la dépollution serait de l’ordre de 800 millions d’euros… Cependant, les efforts accomplis par l’ADEME et l’ensemble de ses partenaires et associés restent porteurs de très intéressantes leçons : à l’occasion du colloque dont nous rendons compte, ont été communiqués plus de 200 résultats de recherche dans six domaines bien distincts, des caractérisations et diagnostics aux processus socio-économiques et environnementaux de la gestion des pollutions des sols et eaux, spécialement souterraines, qui cernent le plus clair du savoir-faire actuel.

Nous en développons ci-après certains aspects, en évoquant simplement pour mémoire les interventions très lourdes appelées «construction de sols, avec excavation de terres, etc.

Types de rémédiation et leurs limites

Nous l’avons dit, les substances polluantes installées dans les sous-sols sont absolument de toute nature et provenant toutes de l’activité industrielle de tous secteurs. Les sous-sols exercent d’ailleurs sur elles le plus généralement une action de dégradation dite «naturelle» de la part par exemple des bactéries qui y sont présentes et d’autres agents. Une part importante du métier de la dépollution consiste à identifier les molécules qui en  résultent et à mesurer leur concentration, éventuellement infime mais jamais négligeable quant à ses effets. D’autres attaques in situ des polluants sont d’origine spécialisée humaine par injection d’agents chimiques appropriés ou par d’autres voies, par exemple la mise en œuvre d’organismes vivants tels des lombrics ou autres, qui ont la capacité de métaboliser et stocker les substances polluantes sans que leur physiologie en soit affectée, alors qu’elles sont toxiques pour l’homme. De même des végétaux, par exemple des salades cultivées sur sites pollués chargent leurs cellules des polluants locaux, même s’il s’agit d’ions métalliques et deviennent inconsommables comme cela se produit à Saint-Laurent-le-Minier (Gard). C’est un site  contaminé, comme tant d’autres, par le plomb, et à très haut niveau (31g/kg de sol sec à certains endroits), ce qui a nécessité l’établissement d’une cartographie de la dissémination, avec gel des permis de construire, interdiction de la consommation des produits végétaux locaux et suivi sanitaire de la population, des cas de saturnisme ayant été observés chez les enfants… mais le site est également chargé en cadmium, arsenic, baryum, cuivre, antimoine, zinc, thallium, mercure.

La biodisponibilité dont nous avons parlé d’emblée est la fraction du contaminant atteignant la circulation systémique. Pour l’évaluer, on peut faire appel à des porcelets â jeun avec dosage du plomb dans les reins…

Bien entendu, ce qui est vrai pour le plomb l’est aussi de façon très analogue pour l’arsenic, présent parmi d’autres métaux lourds, à l’emplacement minier abandonné très ancien de Salsigne - la Combe du Saut (Aude), fortement contaminé que nous choisissons, comme le précédent, comme archétype.

Les informations les concernant ont été données au cours de l’atelier «évaluation des risques pour la santé humaine» mais aussi de celui intitulé «processus socio-économiques et environnementaux de la gestion des pollutions des sols».

Mais deux autres ateliers de grand intérêt ont «tourné» encore durant ce colloque : «caractérisation et diagnostics» bio-indicateurs» déjà évoqué et «solutions de gestion des sols et eaux souterraines» spécialement voué aux pollutions par les solvants et les hydrocarbures et essences…

La session plénière de clôture

Une première «table ronde» s’est inquiétée de l’insuffisance actuelle des outils d’investigation et de démonstration dont disposent les chercheurs.

La seconde s’est interrogée sur la désaffection jusqu'à présent de la société civile face aux problèmes perpétuellement aggravés des pollutions devenues menace universelle. Le vieux dilemme «prévenir ou guérir» a refait son apparition…

Il est évident que rien n’est moins simple que la résolution de telles questions en raison de leur dramatique complexité, des intérêts antagonistes en jeu et de l’écrasante charge financière à envisager, si les difficultés ne sont prises en compte qu’en aval, jamais en amont et c’est là le pire des écueils.

En conclusion

Malgré tous ces blocages, sans doute irrémédiables même à long terme, des rencontres de cette densité sont quasi-indispensables car elles situent avec clarté le niveau de fragilité de l’homme qu’elles invitent à la plus grande humilité quant à ses propres compétences lui montrant structurellement (et non philosophiquement) les limites de son génie et de ses moyens. Aucune issue vraiment heureuse ne se dessine aujourd’hui, ce qui n’exclut pas pour autant que le déséquilibre écologique planétaire, grandissant de manière quasi-exponentielle, ne débouche sur des bouleversements frappant «en amont» les ambitions humaines trop souvent impulsives et dictées par la seule passion.

Remerciements

Tous nos remerciements et compliments à Evelyne Perreon Delamette, organisatrice et coordinatrice du colloque, tél: 02.41.20.42.30, email : evelyne.perreon@ademe.fr