Yom Hashoah, le jour de la mémoire

Écrit par Alain Penso
30.05.2010

  • FRANCE, Paris: Le 11 avril 2010, trois adolescentes lisent le Mur des noms qui porte, gravés dans la pierre, les noms, prénoms et dates de naissance des 76.000 juifs déportés de France entre 1942 et 1944. Le Mémorial de la Shoah, près de soixante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, est né d'une volonté commune du Mémorial du martyr juif inconnu et du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), déjà installés sur le site, de s'ouvrir à un plus large public sur 5000 m2. (FRED DUFOUR/AFP)(STF: FRED DUFOUR / ImageForum)

Il y a 63 ans, l'un des génocides les plus invraisemblables était perpétué, préparé avec minutie par l'un des pays les plus avancés sur les plans intellectuel, culturel et  scientifique: par une grande démocratie qui avait connu une politique originale avec Weimar.

Chaque année en Israël est commémorée la Yom HaShoa, ravivant dans les esprits ce grand cataclysme qui s'est abattu sur les juifs et sur tous les êtres humains du monde, pendant cette guerre hors normes de 1939-1945 où s'est illustrée la barbarie nazie.

Dès 1933 et l'avènement d'Hitler, la politique raciste et nationalisme a déferlé sur le monde exportant la destruction, la mort et la haine. Ce fait historique, indépassable dans la cruauté et l'ignominie, a été perpétué au XXe siècle par un peuple à la culture fine attachée aux valeurs humanitaires. Un peuple où la pensée elle-même a été polluée par un nationalisme exacerbé qui a écarté l'humain de la civilisation et de la vie. L'un des plus grand philosophe, Heidegger oubliant l'enseignement de Socrate sur la morale et le bon sens de la pensée, ralliait sans aucune opposition la cause nazie avec un enthousiasme maladif.

 

Deux minutes pour se recueillir

Le jour de Yom HaShoa à 10 heures du matin, les sirènes retentissent pendant deux minutes dans tout Israël. Les automobiles et les bus s'arrêtent et les passagers s'immobilisent sur place, les piétons restent sur place pendant deux minutes, il n'y a pas âme qui vive. La mémoire flambe dans les esprits et dans les cœurs.

A l'origine, cette commémoration était célébrée le jour anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie, le 19 avril 1943. Pour des raisons multiples – fêtes juives, commémorations – la date a été déplacée au 27 Nissan (selon le calendrier hébraïque). En 2010, il a eu lieu le 12 avril à cause du Shabbat.

Pendant cette journée, instaurée par une loi de 1959 signée par David Ben Gourion, Premier ministre et Yitzhak Ben-Zvi, président d'Israël, les établissements publics sont fermés. Les chaînes de télévision et de radio diffusent essentiellement des documentaires à propos de la Shoah et des interviews de survivants interrogés par des lycéens et universitaires. Tous ces événements font partie de l'enseignement octroyé aux enfants sur la seconde guerre mondiale.

Un peu d’histoire: du gouvernement de Vichy à aujourd’hui

Le gouvernement de Vichy, dans une entente consciencieuse et réfléchie avec les nazis, a permis de mettre au point une technique d'assassinat qui sera heureusement enrayée par la solidarité de Français: des justes, qui sauveront au péril de leur vie, nombre de juifs. Plus de 11.000 enfants ont été massacrés. Enfant caché, Boris Cyrulnik, psychiatre-psychanalyste fondateur de la théorie de la résilience, écrit que son quotidien était de cacher son nom pour se protéger et survivre (Je me souviens, L'Esprit du temps, 2009).

Daniel Farhi impose la lecture des 75.000 noms des convois de déportés de France

En France, il y a vingt ans, par souci de ritualiser les noms des déportés de la mémoire de la Shoah, le rabbin Farhi organise la lecture des 75.000 noms des convois de déportés de France pendant 24 heures. Tous les noms de l'ensemble des convois ne peuvent être lus en une seule fois, la liste est beaucoup trop longue. Daniel Farhi, rabbin libéral, est l'un des fondateurs du MJLF, Mouvement juif libéral de France. D'origine turque, le rabbin Daniel Farhi, par son ouverture, la compréhension des enjeux immédiats de la transmission d'une culture menacée de disparition, a ramené les juifs à leur philosophie humaniste: s'unir pour vivre ensemble. Cette année la lecture est allée jusqu'au convoi 66.

Il est incontestable que le MJLF a initié ce mouvement et assuré la pérennité  du souvenir  des millions de juifs disparus.

De même, le mur des noms est inauguré le 25 et 27 janvier  2005, soixante ans jour pour jour après la «libération» des camps d'Auschwitz. Il a été conçu et réalisé par Jean-Pierre Jouve et François Pin. Y figurent 75.721 noms, représentant un quart des juifs de France. À l'époque, la population juive s'élevait à 350.000 juifs en France sur une population de 40 millions d'habitants.

La recherche des justes, la reconnaissance

La recherche des justes permet aux familles des disparus de mettre un peu de baume aux cœurs blessés ou de retrouver enfin des amis avec qui pleurer et exprimer la reconnaissance d'avoir échappé à l'innommable. Ces justes, qui au péril de leur vie, ont sauvé des juifs, s'appellent justes parmi les nations, en hébreu hasid ummot ha-'olam, littéralement «généreux des nations du monde». C’est une expression tirée du Talmud. En 1953, l'assemblée législative de l'État d'Israël, la Knesset, en même temps qu'elle créait le Mémorial Yad Vachem à Jérusalem consacré aux victimes de la Shoah, a décidé d'honorer les justes parmi les Nations qui ont mis leur vie en danger pour sauver des juifs. Le titre de juste est décerné au nom de l'État d'Israël par Yad Vachem. Il s'agit de la plus haute distinction honorifique délivrée à un civil.

Un juste honoré, le consul Bernardo Rolland

Alain de Toledo, cofondateur avec Haîm Sephiha de l'association Vidas Largas pour la promotion et la diffusion de la langue judéo-espagnole, lutte aujourd'hui pour que le consul d'Espagne Bernardo Rolland qui a sauvé, grâce à son action, des centaines de juifs, puisse obtenir le titre de juste parmi les nations. Sans l'aide du consul et de ses nombreuses interventions auprès des Allemands, bien des Judéo-Espagnols auraient pris le chemin des camps, comme le père d'Alain de Toledo, libéré du camp de Compiègne. Enrique Saporta y Beja, auteur du Refranero sefardí (1957), proverbes judéo-espagnols, lui dédicace son ouvrage En reconnaissance tout ce que vous avez fait pour les Sefaradis comme consul général de Paris pendant la guerre.

Un humaniste exceptionnel

Le consul a facilité le départ de nombreux Judéo-Espagnols en les faisant voyager à titre individuel et en les autorisant à emprunter les wagons de la phalange espagnole que les Allemands n'avaient pas le droit de contrôler. Le ministère des Affaires étrangères n'était pas favorable au fait de donner  des passeports aux protégés séfarades. Le consul a eu alors l'idée de fournir des certificats de nationalités. Ceci a permis à de nombreuses personnes d'être libérées du camp de Drancy. Bernardo Rolland n'avait pas le temps de préparer des dossiers souvent complexes. Il a alors chargé les Judéo-Espagnols de les gérer eux-mêmes. Selon la liste établie par Laurent Gattegno il y aurait eu 10.000 Sefardim déportés de France. Les convois 66-67 contenaient spécialement des juifs originaires de l'empire Ottoman.

Cette liste a permis de conserver la mémoire et l'histoire de ces juifs de Turquie qui, avant la fin de la seconde guerre mondiale, vers 1916, avaient émigré en France dans le pays des droits de l'homme où une foule d'idées joyeuses sur le bonheur circulaient alors dans l'imaginaire de ces nouveaux arrivants. C'était évidemment ne pas se projeter dans l'histoire, mais qui donc le pouvait?

Peut-on laisser un haut lieu de mémoire disparaître pour une vaine querelle de pouvoir?

L'association El Syete s'est donnée pour mission de sauver de la destruction et du détournement une très ancienne synagogue, fréquentée par la communauté juive de Turquie. À l'origine, c'était un ancien cinéma où l’on projetait des films muets, situé au 7, rue Popincourt, dans le XIe arrondissement de Paris.

Claire Romi, une femme énergique a contacté toutes les volontés qui permettraient de réhabiliter cette synagogue, jadis lieu de rencontre, pour en faire un haut lieu de la culture judéo-espagnole. Elle a utilisé pour cela les lumières de gens compétents comme Haïm Sephiha, première chaire de judéo-espagnol à La Sorbonne, Michel Azaria, docteur en économie et directeur des relations institutionnelles à l’ISC Paris, Edmond Cohen, Alain de Toledo, des documentalistes et des journalistes, ainsi que le rabbin Farhi. Il reste qu'une lutte assez surréaliste empêche le projet d'aboutir. Les instances de la communauté qui détiennent les finances réclament la concorde générale entre les associations.

L'Histoire dénaturée

Le terme de «mémoire» de la Shoah semble regrouper des faits culturels qui n'ont souvent plus rien à voir avec l'histoire. C'est une discipline qui suit des règles strictes pour établir un récit, comme l'affirme justement l'historienne Annette Wieviorka. Toutes ces lois sont détournées, dévoyées. Tout ce que l’on produit, ce sont des discours, des ouvrages comme Jan Karski, qui affirme, prenant le lecteur à témoin, que l'on aurait pu faire quelque chose pour éviter les massacres.

L’auteur, Yannick Haenel, prend la liberté de réécrire l'histoire à sa convenance ignorant l'antisémitisme polonais et chargeant les alliés de toute la culpabilité, plus que les nazis eux même: le comble ! Il met dans la bouche de Karski des jugements qui lui sont propres comme l'écrit Anny Dayan Rosenman, fine analyste de la littérature de la Shoah (Les alphabets de la Shoah, survivre témoigner écrire, Cnrs Éditions, 2007). L'auteur ne se positionne ni en tant qu'écrivain de fiction ni en tant qu'historien dont il ne connaît pas la discipline. Il entre ainsi dans ce qu'il est convenu d'appeler une imposture.

Rien n'est définitif si l'on fait confiance un peu plus à l'histoire et un peu moins au bavardage stérile pour fabriquer des oeuvres d'art. Les archives n'ont pas encore révélé leur dernier mot.