« Tèt maré » ou coiffes créoles de Rony Théophile

Écrit par Jade Renata, La Grande Epoque
11.06.2010
  • Coiffes créoles à mettre en bandeau(攝影: / 大紀元)

Rony Théophile a plusieurs cordes à son arc : danseur, chorégraphe, musicien, chanteur, compositeur, écrivain…Rencontré au cours de son exposition, il s’emploie à défendre sans relâche le patrimoine culturel, musical et historique de sa région, la Guadeloupe. Aujourd’hui encore, cet artiste s’évertue à faire connaître à la nouvelle génération, en perte de repères et un peu désabusée, le travail remarquable des générations précédentes, réalisé bien souvent avec très peu de moyens. Son ambition est de servir la tradition : d’être le relais entre elle et la modernité.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour créer ces merveilleuses coiffes créoles ?

En fait un peu comme Obélix dans la potion magique, je suis tombé dedans tout petit. J’avais une grand-mère que je voyais évoluer dans ses costumes traditionnels. De plus, la musique, la danse et le costume traditionnel étaient indissociables au temps de ma grand-mère. En tant que musicien j’ai donc baigné dans la tradition. Ma grand-mère m’a indirectement guidé vers des gens qu’elle connaissait. De mon côté, j’ai effectué des recherches car il est  très important non seulement de rechercher les informations, mais aussi de vérifier ce que disent les anciens. Le résultat positif de ces recherches m’a conforté dans mon approche.

Qu’elles sont les différentes manières de fabriquer les coiffes créoles ?

J’ai découvert chez nous  trente deux façons de nouer le madras : depuis la forme la plus simple jusqu’à celles qu’on a pu découvrir dans l’exposition, qui ont le plus de piquant au niveau de l’art, de la forme et du langage du madras. A travers cela, j’ai pu comprendre que chaque région avait ses spécificités au niveau des coiffes et que derrière chaque coiffe il y avait une histoire. La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ont chacune la leur. Le madras est une étoffe à chaîne de soie et à trame de coton, de couleurs vives, originaire de la ville de Madras, l'actuelle Chennai, capitale de la province du Tamil Nadu au sud-est de l'Inde.

Racontez-nous un peu la petite histoire du madras ?

On retrouve le madras dans toute la Caraïbe. Le parcours du madras depuis l’Inde jusqu’ici est décrit dans un livre qui va sortir l’année prochaine, qui s’appellera « la Route du Madras » et que je suis en train de terminer. Je ne voulais pas que ce soit un livre d’histoire, mais un roman, afin que tout le monde s’y intéresse, y compris les écoles qui pourraient s’en servir pour aborder l’histoire des coiffes. Le madras a été l’œuvre de la souffrance, de la défiance et de la fierté. C’était de la provocation parce qu’à travers les interdits et les choses prohibées, des femmes ont su les exploiter et en faire des permissions. En effet, pour les femmes esclaves il ne leur était pas permis de porter des bibis ou des chapeaux à plumes comme leurs maîtresses. On leur achetait des bonnets ou des coiffes comme la calèche ou la dormeuse ou la baigneuse, une sorte de bonnet blanc et la robe de laine noire, la robe normande, la robe près du corps. Plus tard, pendant la colonisation de la Guadeloupe par les Anglais qui commerçaient avec les Indes, est arrivé le madras. Donc ces femmes ont commencé à travailler ce madras très coloré. Elles voulaient surtout rivaliser avec leurs maîtresses. Elles ont façonné ces coiffes et leurs ont alloué des noms. Étant donné qu’il leur était interdit de parler, de s’exprimer et de dire tout haut ce qu’elles pensaient, elles le disaient avec leurs coiffes. Je prends le cas de la libérale, sa coiffe était attachée pour dire : « je m’en fiche » ou l’indépendante  qui voulait dire : « rien ne m’attache ». Il fallait exprimer quelque chose. Il est vrai qu’en Guadeloupe les femmes exprimaient plus le côté révolutionnaire que celui d’un rang social. En Martinique, cela parlait plutôt de cœur à prendre, de beaucoup d’amour etc. En Guyane, ça parlait de tout et du côté révolutionnaire.

Comment expliquez-vous qu’en Martinique c’était beaucoup plus fleur bleue?

C’est parce qu’en Martinique il y a eu moins de révolutions. La condition d’esclave était plus la soumission et moins de révoltes d’esclaves. La Martinique était considérée comme un petit Paris, avec ses théâtres, l’on parlait plus d’amour, de cœur à prendre. C’était une façon d’amadouer le maître, de communiquer. On peut dire que pendant longtemps la Guadeloupe a été considérée comme le bagne des esclaves. Cela a beaucoup influencé notre culture d’où les sept rythmes que nous avons sur notre tambour. La diversité des rythmes et des costumes est due aux esclaves de plusieurs ethnies différentes. Nous avons eu un grand nombre de révolutionnaires dont Ignace et Delgrès sont les plus connus.

Vous avez parlé de trente deux coiffes. Quelles sont celles que vous préférez tant pour leur beauté que pour leurs significations ?

Je crois que ce sont celles exposées ici, mais chaque coiffe a une histoire, elles ont toutes quelque chose à raconter: La voile au vent  était une coiffe très simple mais qui rappelait les voiles d’un bateau.  La torche  une coiffe de maintien pour pouvoir porter son panier, qu’il fallait bien centrer, sur la tête. À l’époque il n’existait pas de caddie et elles portaient tout de cette façon, cela les obligeait à se tenir droite et leur donnait l’air hautain du matador. Le costume traditionnel était donc un mélange de français, d’anglais et d’espagnol, comme la langue créole. Avec l’apport espagnol, on disait que la femme créole toisait son monde comme un matador, d’où son surnom de matador.

Grâce à leurs coiffes, on savait qui était qui et qui faisait quoi. Il y en a une que j'aime beaucoup, celle nommée la casserole qui était celle de la bonne d'enfants. C'est avec cette coiffe qu'elle emmenait l'enfant jusqu'à l'autel du mariage, cette coiffe servait de curriculum vitae. Elle y accrochait tous les bijoux qu'elle recevait en gage. Plus elle avait de bijoux, plus cela montrait qu'elle était une excellente nourrice et aussi que c'était elle qui l'avait élevé jusque là. Le jour du baptême, elle portait la chaudière pour montrer qu'elle était juste la mère nourricière appelée la Mabô en Guadeloupe et la Da en Martinique. Il fut créé un bijou officiel le tremblant où étaient accrochés un grain d'or et un ressort où on fixait la première dent ou une mèche de cheveux de l'enfant. Plus il y avait de branches à ce bijou, plus on savait combien d'enfants elle avait élevé. Au fil du temps ce bijou a perdu de sa valeur morale. Plus tard, les jeunes femmes ont décidé de le porter comme un objet de provocation. Elles fixaient la mèche de cheveux de l’amant qui les entretenait, au ressort et portaient ce bijou à l’arrière. Lorsqu’elles voyaient passer l’épouse, elles bougeaient la tête pour attirer son attention sur la mèche de cheveux.

L'origine du madras est-elle bien l'Inde ?

Oui, il était fabriqué en Inde, je vais vous expliquer pourquoi. En Angleterre, il y a toujours eu des guerres et l'Écosse se trouvait encore sous la tutelle anglaise. Lorsqu'ils sont rentrés en guerre, l'Angleterre avait déjà colonisé l'Inde. Pour ne pas perdre toutes leurs industries, ils ont tout renvoyé en Inde en leur demandant de reproduire le kilt anglais. Comme il y avait de la laine dedans qui n'existait pas en Inde, ils l'ont reproduit en coton avec les couleurs de chez eux. Les Anglais ont donc fait expédier tout cela dans les colonies... Maintenant ces costumes sont magnifiquement représentés dans le monde entier.

Pensez-vous que les coiffes pourraient être réhabilitées et réutilisées afin de reprendre le statut qu’elles avaient ? Cela se pourrait, je souhaite qu’un jour je pourrais créer du madras et avoir une journée dans l’année ou hommes et femmes porteraient du madras. Il existe aussi des coiffes pour hommes. Ce pourrait être le jour de Pâques ou du Nouvel An.